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L'Appel des Dragons

  • Auteur de la discussion DeletedUser13249
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DeletedUser13249

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SOMMAIRE

Chapitre 1 : La Renaissance d’Esgaroth

Une jeune grive voleta au-dessus du Long Lac, laissant un fin sillon sur l’eau calme, frôla quelques brins d’herbes puis redressa son vol pour se poser sur une épaule. Elle laissa échapper un gazouillis aigu et mélodieux.

- Tu as raison, fit une voix calme. Nous y sommes… enfin.

Face à l’oiseau et l’homme se tenait Esgaroth, l’ancienne ville réduite en cendre par un dragon il y a des siècles et reconstruite par les survivants. Il n’en restait que quelques huttes éparses, quelques champs à cultiver et un cercle de pierre, au centre, pour se rappeler d’une tragédie passée : la dévastation de Smaug. Bien loin était le temps glorieux de la reconstruction. Esgaroth était devenu un hameau misérable, sans ambition, sans avenir.

L’homme, la grive perchée sur son épaule, traversa la « ville » d’un pas décidé, presque possédé. Il ne remarqua pas les habitants autour de lui qui le fixaient, murmuraient sur son passage. Ils n’avaient pas l’habitude des visiteurs et celui-ci était impressionnant. Il ne disait mot, ne leur jetait pas un regard mais inspirait le respect. Ce n’était pas sa carrure, celle d’un guerrier certes, mais moins imposante que bon nombre de mercenaires itinérants. Sa détermination peut-être.

Il s’arrêta au centre du hameau, face au cercle de pierre, posa un genou à terre, une main sur la première pierre où était incrustée une écaille du dragon catastrophe, puis baissa la tête et ferma les yeux pendant quelques instants. Après s’être relevé, il regarda droit dans les yeux chaque villageois autour de lui. Un par un, comme s’il voulait jauger leur valeur. Les murmures cessèrent, le silence fut long. Tous étaient comme hypnotisés par sa présence. La majorité était constituée de paysans mais il y avait aussi quelques soldats, chargés de la défense du hameau. L’un d’eux était marqué par les batailles, une balafre sur la joue, le regard dur.

- Qui est votre chef ? lança l’homme après avoir examiné son auditoire.
- Nous n’avons pas de chef, répondit le soldat à la cicatrice. Nous sommes peu et vivons de nos récoltes.
- Est-ce là toute votre ambition ? Vivre de vos récoltes ?
- Les guerres ont décimé les nôtres. Quand un groupe d’habitants commence à devenir important, il fait peur et est aussitôt attaqué par les villages voisins. Vivre simplement est devenu notre vie, nous nous en accommodons.

L’homme à la grive observa une nouvelle fois l’ensemble des villageois, comme pour vérifier qu’ils étaient d’accord avec ce qui avait été dit. Il fixa ensuite intensément celui qui semblait être le porte-parole naturel du groupe, et lui demanda :

- Quel est ton nom ?
- Je m’appelle Barn, descendant de Barde, celui qui sauva Esgaroth il y a plusieurs siècles.
- Barn… répéta l’homme, un léger sourire sur le visage. Tu seras le nouveau Maître d’Esgaroth.
- Mais vous, qui êtes-vous, mystérieux étranger ? Rétorqua Barn, s’empressant d’oublier ce qu’il venait d’entendre. Vous ne ressemblez en rien aux voyageurs habituels passant par nos contrées.
- Fêrka. Tel est mon nom, annonça-t-il d’un ton toujours laconique mais pénétrant. Je suis votre guide.





Chapitre 2 : L'Ascension de Fêrka

L'idée de Fêrka de nommer Barn Maître d'Esgaroth - aussi péremptoire l'annonce fut-elle - fit l'unanimité parmi les villageois. Il leur manquait un leader et, peu importe que l'élément déclencheur soit venu d'un étranger, le descendant de Barde était leur chef naturel : celui que chacun suivrait sans discuter. Il ne restait plus à Barde qu'à choisir une direction. Il en détermina deux, sous les conseils de Fêrka.

Tout d'abord, chaque villageois continua l'activité qu'il exerçait auparavant, mais les espaces furent arrangés. Les champs furent redécoupés de façon rectangulaire puis partagés, les huttes déplacées, les chemins sinueux alignés. Le but était de gagner un maximum de place : les activités d'Esgaroth allaient désormais se développer mais ils ne pouvaient se permettre d'étendre leur territoire sans provoquer le courroux des villages voisins.

Il fut tout de même admis qu'un affrontement avec les chefs des villages alentours était inévitable et pour s'y préparer, chaque habitant reçu un entraînement particulier. Ceux-ci furent à la charge de Fêrka et chacun put voir à cette occasion qu'il maniait aussi bien la lance que la fronde. Il restait très mystérieux pour les villageois et même après quelques mois ils n'avaient appris ni d'où il venait, ni ce qui le poussait à les aider de la sorte. Il vivait dans une simple hutte dans un recoin du village et ne demandait rien en échange de ses conseils. Il acceptait simplement la nourriture qu'on lui proposait, comme à chacun en Esgaroth. Sa seule particularité était un oiseau qui se posait deux ou trois fois par jour sur son épaule. L'oiseau chantait alors, un son magnifique, une mélodie toujours différente qu'il était impossible de ne pas apprécier.

Les mois passèrent et comme Barn et Fêrka l'avaient prévu, malgré toutes les précautions qu'ils prirent pour dissimuler leur développement, une attaque de villages voisins eut lieu. Aucun villageois ne sut jamais comment les deux dirigeants Gaslim et Korlash eurent connaissance de ce qui se passait en Esgaroth, pas plus qu'un villageois put ne serait-ce qu'imaginer ce qui s'était réellement passé le soir de l'attaque. C'est pourtant ce que je m'apprête à vous raconter.

Un jour d'hiver, alors que la nuit commençait à tomber, les armées de deux cités voisines fondirent sur la ville de Barn. Chacun était préparé à cette éventualité et le combat fut rude, les soldats ennemis semblant peu surpris de voir des paysans aussi aguerris au combat. Barn élimina bon nombre de ses adversaires mais, se faisant isoler de ses soldats, finit par s'effondrer au sol, non sans avoir achevé l'auteur de sa blessure. Sans s'en rendre compte, il s'était éloigné du champs de bataille et se retrouvait seul dans une forêt, allongé sur le dos, incapable de se relever. Il pensait devoir rester ainsi un long moment quand, quelques instants plus tard, Fêrka fit son apparition. Le Maître d'Esgaroth fut soulagé de voir son compagnon arriver au moment où il en avait le plus besoin.

Fêrka fixait Barn dans les yeux tout en s'approchant lentement. Il s'agenouilla auprès du blessé puis saisit une lance ennemie, tombée à proximité.

- Un Maître tant respecté et si compétent, quel dommage qu'il doive mourir.
- Non, ma blessure n'est pas si grave... Commença Barn, puis il crut comprendre ce que voulait dire le mystérieux étranger.

Fêrka sourit. Le même sourire qu'il avait eu en apprenant le nom de Barn et celui de son illustre ancêtre : Barde, le tueur de dragon. Un sourire qui commençait à prendre sens.

« Sais-tu ce qu'est une proie ? Demanda Fêrka. Bien entendu tu crois le savoir, mais tu n'en as pas la moindre idée. Imagine un lion blessé, pas mortellement : une blessure qui guérira mais qui l'empêche momentanément de se déplacer ou de mordre. Imagine un troupeau de gazelles passant près de lui. Les gazelles pourraient l'achever, elles sauveraient certaines d'entre elles en le faisant et pourtant elles n'en feront rien. Elles le laisseront vivre. Pourquoi ?

Un homme dirait que c'est parce qu'une gazelle ne réfléchit pas, qu'elle ne pense pas aux conséquences de ses actes, mais si vous saviez. Ah ! Si vous saviez ! Les gazelles sont bien plus intelligentes que vous : les gazelles ne tueraient jamais leur prédateur. Car elles sont des proies, et, elles, savent ce qu'est une proie.

L'Homme est une proie qui s'ignore. Quand un homme voit son prédateur, il cherche à le tuer par tous les moyens, sans réfléchir aux conséquences de cet acte. Vous avez, un à un, décimé chaque Dragon, votre prédateur, sans savoir ce que cela allait engendrer. La fin des Dragons est en train de causer la fin des elfes, des nains, des magiciens et de bien d'autres espèces mais cela, votre cerveau est trop primitif pour le prévoir. »

Barn ne comprenait pas ce qui se passait et ne voyait pas où son ancien compagnon voulait en venir. Il se contenta de répondre : « Tu parles comme si tu avais oublié que tu es un homme ».

« Ah ! Tu n'as toujours pas compris, cerveau primitif. Le corps d'un Dragon meurt, mais son âme est immortelle. Quand un Dragon est tué, son âme s'infiltre dans le corps de l'assassin pour attendre son heure, patiemment. Je vois que tu commences à comprendre : l'âme de Smaug a vécu en Barde, son bourreau, puis a suivi sa descendance jusqu'à faire surface. Je suis moi-même un descendant de Barde. Mon corps est celui d'un homme, mais mon âme est bien plus magnifique. Il est temps, mon frère, de rendre aux Dragons ce qui leur appartient. »

En prononçant ces mots, Fêrka planta la lance dans le cœur de Barn.





Chapitre 3 : Le Passé de Fêrka

Au moment où Fêrka planta la lance dans le cœur de Barn, il se passa une chose qu'il n'avait pas prévu et qu'il n'aurait même jamais pu imaginer. Il avait pourtant tout organisé pour que ses plans se réalisent et la mort de Barn était la clef de voûte de son projet. Il faisait ainsi d'une pierre deux coups : il vengeait la mort de Smaug - sa propre mort sous son ancienne forme – et prendrait la tête d'Esgaroth en faisant croire que cela ne l'intéressait aucunement. Les hommes étaient si prévisibles. Ils seraient tout d'abord abattus de voir leur Maître tué par une lance ennemie mais ils ne tarderaient pas à nommer à sa place son lieutenant, celui qui avait toute la confiance de Barn. Tout ceci Fêrka l'avait planifié quelques années auparavant.

Étant jeune, il avait tout d'abord cru être totalement fou quand, au fur et à mesure qu'il grandissait, des souvenirs s'étalant sur plusieurs millénaires avaient refait surface. Des souvenirs qu'un homme ne pouvait avoir. Cependant, ces souvenirs étant ceux d'un seul et même Dragon et se terminant par la mort de celui-ci, il avait cru comprendre ce qui se passait et ce qu'il était vraiment. Jamais il n'eût l'impression d'être le Dragon Smaug : pour lui il était né le jour de la naissance de son corps d'homme, mais il se sentait à l'étroit dans ce corps, limité, et au fond de lui Dragon. Il avait supposé que l'ambiguïté de son identité et de ses souvenirs était probablement due à son changement de forme.

Vers l'âge de sept ans, quand tous ses souvenirs millénaires lui furent revenus, il s'était mis en quête d'autres Dragons, visitant tous les antres qu'il avait connus dans son ancienne vie. Les Dragons ont toujours été des êtres solitaires, se croisant en général une ou deux fois par siècle, mais Fêrka n'avait jamais entendu parler d'un Dragon changeant de forme et avait voulu savoir si d'autres Dragons en savaient plus. Ce qu'il avait découvert pendant vingt ans au cours de ses voyages fut des plus morbides et son moral s'était progressivement assombri en même temps que sa haine des hommes avait cru.

Tous les antres étaient soit vide, soit les vestiges de très anciennes batailles. Nulle part il ne trouva de Dragons encore en vie et les trésors de chacun de ses frères avaient été presque totalement pillés. Il avait entrepris de rassembler le peu de trésor qui restait de tous les Dragons et trouva l'endroit idéal pour cela. Il établit son Sanctuaire dans l'ancien antre de Gîsca, le Dragon Apaisant. Gîsca avait été l'un des seuls Dragon – en tout cas le seul que Fêrka avait connu – à refuser tout conflit et toute violence à l'égard des autres espèces. Pourtant son cadavre était là, au milieu de quelques misérables pièces d'or restantes, entouré de mille flèches et de mille lances. Il était impossible que Gîsca ait pu faire le moindre geste contre les hommes et pourtant ils l'avaient assassiné, comme tous les autres. Rester en ce lieu attisait sa répugnance envers les hommes et, en s'allongeant contre le squelette de Gîsca, au milieu de l'or qu'il avait réussi à réunir, il oubliait son corps et se sentait totalement Dragon.

Pendant plusieurs mois il continua de réunir tout l'or au Sanctuaire. Un jour, il eût l'impression d'être suivi alors qu'il entrait dans l'immense grotte où vivait autrefois Ryûjka, le Dragon Économe. Pourtant cette grotte était la plus difficile à trouver et il faisait toujours bien attention à ne pas être suivi, car avec les siècles les hommes avaient oublié l'emplacement exact des différentes demeures de Dragons. Il fit demi-tour sur quelques mètres mais ne vît rien, à part quelques oiseaux s'envolant sur son passage, et retourna donc à ses affaires dans la grotte. Cette désagréable impression de ne pas être seul était pourtant toujours présente et pendant qu'il remplissait d'or son sac, une voix étrange lui parla :

- Que fais-tu ici ?

Fêrka se tourna en direction de la voix mais il ne pouvait rien voir. La grotte était extrêmement sombre et il se repérait surtout d''après sa mémoire. En tant que Dragon, l'incandescence de son corps avait toujours suffit à éclairer toutes les pièces et il lui arrivait donc très souvent d'oublier de prendre une torche avec ce corps d'homme. Il sentit un courant d'air et la voix reprit, d'un autre recoin de la grotte :

- Qui es-tu ?
- Je n'ai pas à te répondre, dit Fêrka. Je suis ici chez mon frère. Qui donc ose me poser ces questions ? Qui donc ose souiller de sa présence la dernière demeure de l’Économe ?
- Tu n'es pas un Dragon... Protesta la voix.

Cette voix avait quelque chose d'inhabituel mais Fêrka n'arrivait pas à saisir ce qui l'intriguait précisément. Il se rapprocha lentement du coin de la grotte d'où elle provenait, convaincu que l'intrus ne pouvait plus lui échapper.

- Je n'ai pas besoin de ressembler à un Dragon pour en être un. Le nom de Smaug suffira à te faire trembler. Montre-toi, tu es de toute façon piégé.

Un nouveau courant d'air se fit sentir et la voix provint alors de l'entrée de la grotte.

- Smaug n'est pas un nom de Dragon : c'est le nom que les hommes lui ont donné. Tu es donc bien un homme et c'est à toi de trembler devant le vrai nom de Smaug : « … » .

Fêrka n'arriva pas à saisir le nom prononcé, et il s'aperçut alors que le langage utilisé par son interlocuteur depuis le début n'était pas celui des hommes. Le nom était constitué de sons qu'il n'avait jamais entendu et qu'il ne pouvait répéter. Des sons qui bourdonnaient et tourbillonnaient autour de lui. Des sons chauds et enflammés, pleins d'espoir et de fierté. Ce nom imprononçable le fit frissonner jusqu'au plus profond de son être, comme si son âme vibrait à l'unisson de ce nom qu'elle avait oublié. Il tenta de le prononcer avec ses cordes vocales limitées, le transformant énormément tout en essayant de s'en rapprocher au maximum. C'est ainsi qu'il prononça pour la première fois son nouveau nom, celui que vous connaissez, face à la grive qui allait aussitôt devenir son compagnon, trop heureuse de revoir un Dragon. Il murmura « Fêrka » et les fragments de son âme qui vibraient quelques instants auparavant se soudèrent et se figèrent aussitôt. Il n'avait plus aucun doute sur ce qu'il était et ses plans pour l'avenir furent décidés en une seconde. Il allait retourner à Esgaroth, diriger les hommes et se venger de tous les descendants de Barde.

C'est ainsi que fort de son nouveau nom et d'une âme de Dragon achevée, il accomplit - à l'issue des évènements que vous connaissez - la partie la plus importante de sa vengeance en tuant Barn. Ce qu'il n'avait pu prévoir, c'est qu'au moment précis où le Maître d'Esgaroth rendit son dernier souffle, des milliers de fragments de l'âme de Fêrka se dissocièrent et volèrent en éclat...





Chapitre 4 : L'Appel des Dragons

Les yeux de Barn se perdirent dans le vide. La tension de son corps se relâcha d'un coup et sa tête retomba, inerte. Fêrka serrait la lance de toutes ses forces et restait figé ainsi, à regarder la mort de son assassin. Il y avait quelque chose d'impossible, de contre-nature dans la scène qui venait de se produire. Son esprit se brouillait. Il perdait la notion de ce qu'il était. Un homme ? Un Dragon ? Quel Dragon ? Il pouvait être Smaug, Fêrka mais aussi Gîsca, Ryûjka, Zêrika... Le décor autour de lui s'estompait. Les arbres se réduisaient en cendres sans la présence d'aucune flamme et sans la moindre étincelle ou chaleur. Les couleurs pâlissaient, le sol blanchissait. Tout semblait disparaître lentement et Fêrka n'arrivait plus à bouger.

Tout disparaissait excepté des ombres qui se faisaient de plus en plus visibles. Ne pouvant bouger, le Dragon au corps d'homme ne pouvait que les apercevoir du coin de l'œil mais il les reconnaissait ! Ces ombres se déplaçaient à une vitesse vertigineuse avec grâce et maîtrise au milieu du vide immaculément blanc entourant désormais Fêrka. Leurs propriétaires ne pouvaient être que ses frères, disparus depuis si longtemps. Un bonheur incroyable l'envahit. Il n'était plus seul. Tous les Dragons étaient toujours présents, l'avaient retrouvé et tourbillonnaient autour de lui.

Il savait pourtant que tout ceci n'était pas réel. Il devait probablement rêver. Peut-être s'était-il évanoui après la mort de Barn, même s'il ne voyait aucune raison pour cela. Finalement il s'en moquait : il n'avait qu'à savourer cet instant si intense, même sans pouvoir voir directement ses congénères.

Et puis ils lui parlèrent :

- Réveille le Dragon Harmonieux...
- Appelle-nous...
- Nos âmes sont éparpillées...
- Chaque homme porte en lui des fragments d'âmes de centaines de Dragons différents...
- Appelle-nous...
- En tuant Barn, tu as libéré les fragments d'âmes des autres Dragons qui dormaient en toi...
- Retrouve le Dragon Harmonieux...
- Seule l'âme de Smaug vit en toi désormais...
- Prononce nos noms. Nos âmes ne sont plus certaines d'exister. Elles errent, fragilisées...
- Le Dragon Harmonieux attend...
- Appelle-nous pour nous faire renaître...

Ces murmures continuèrent pendant un temps indéfini. Les ombres frôlaient Fêrka, lui mettant du baume au cœur, lui redonnant plus d'espoir qu'il n'aurait pu espérer en tuant Barn. Il restait figé ainsi, dans un paysage fantomatique et fantasmagorique, la lance soudée à sa patte et au cœur de Barn. Jusqu'à son réveil.

Quand le rêve prit fin, Fêrka se retrouva allongé dans un lit. Il aurait pu reconnaître la hutte d'Esgaroth servant d'infirmerie pour les soldats blessés s'il n'avait pas été perdu dans ses pensées. L'infirmière dut lui demander de rester couché car elle s'affolait autour de lui en faisant de grands gestes mais il ne l'écoutait pas. Était-ce possible ? Faire renaître les Dragons... Jamais il n'avait cru que cela serait possible. Il essaya de se rappeler les dernières paroles des fragments d'âmes de ses frères avant qu'ils le quittent. Il n'avait jamais entendu parler d'un Dragon Harmonieux, cela ne pouvait donc pas être un simple rêve. De plus tout ceci était cohérent : son âme avait été la première à se réveiller car elle n'avait quasiment pas été divisée. En effet un homme seul avait réussi à tuer Smaug donc toute son âme s'était réfugiée en Barde, puis dans sa descendance. Les autres Dragons ayant été tués par des centaines, voire des milliers d'hommes, leurs âmes s'étaient alors séparées en autant de parties.

Les appeler ? Prononcer leurs noms ? Cela pouvait-il être aussi simple ? Il chercha dans sa mémoire le nom d'un Dragon, le transforma pour qu'il devienne prononçable par sa voix d'homme, se redressa et murmura, les yeux clos : « Ryûjka... »

Il venait de lancer l'Appel du premier Dragon.





Chapitre 5 : Ryûjka, le Dragon Économe

Au moment où le nom de « Ryûjka » fut prononcé, un homme perdit connaissance à quelques kilomètres de là. L'homme était alors en train de marchander des tonneaux de vin qu'il avait lui-même achetés à bon prix. La négociation était longue et âpre et l'acheteur potentiel fut donc ravi du malaise du vendeur et saisit l'occasion pour fuir avec plusieurs tonneaux. Cette scène s'était passée sur la place du marché de Karanta et personne ne se rendit compte de rien (ou chacun fit semblant de ne rien voir, trop occupé à vaquer à ses affaires tant importantes). Le vendeur en question était surnommé « Greco » dans les affaires car il était vu comme plutôt fainéant par les autres marchands. En réalité lui considérait qu'il optimisait ses efforts : pourquoi travailler des heures supplémentaires pour gagner quelques pièces d'or dont il n'aurait pas l'utilité immédiate ?

Il se réveilla une dizaine de minutes plus tard avec un migraine infernale. Quelque chose avait changé en lui, en tout cas il en avait l'impression, et il étendit lentement ses bras, en les observant comme s'il les découvrait. Il regarda autour de lui, vit la foule s'affairant et eut envie de partir immédiatement d'un bond pour fuir ce brouhaha... Pourquoi d'un bond ? Pensa-t-il en levant les yeux. Il fut ébloui par le soleil qui lui semblait plus que jamais éloigné et crut se souvenir l'avoir déjà vu de plus près. De beaucoup plus près !

« Qu'est-ce que tu nous fais ? Se demanda-t-il à lui-même. Ce n'est pas du tout ton genre de rêver et encore moins de penser à des choses absurdes... »

Il secoua la tête et se remit au travail en commençant à faire l'inventaire de la journée. Le commerce n'avait pas été mauvais, si on exceptait la perte des tonneaux, et il avait déjà amassé un petit pactole qu'il se mit à compter. C'était quelque chose qu'il avait toujours apprécié faire mais aujourd'hui cela lui paraissait encore plus agréable. Comme s'il ne l'avait pas fait depuis très longtemps. Depuis des siècles... « Tu racontes encore n'importe quoi ! Se dit-il. »

Il prenait les pièces d'or une par une et les faisait glisser de la paume de sa main dans sa bourse. Il se mit à en gratter quelques unes avec l'ongle de son index. Il aurait eu envie d'avoir un ongle plus fin, plus long pour qu'il puisse crisser sur le métal doré. Il commençait à s'imaginer allongé au milieu d'un tas de pièces d'or. Il se voyait dans une vaste grotte, pourquoi pas ? Il pourrait compter et recompter ses biens à l'abri des regards indiscrets. La grotte serait sombre mais son corps brûlant l'éclairerait d'une lumière tamisée pourpre. Il y aurait assez de place pour étendre ses ailes au réveil, pour hurler de sa voix magnifique et résonnante sans être entendu par qui que ce soit. Un jour il serait réveillé par des bruits de pas d'intrus dans sa grotte, il s'approcherait alors du tunnel menant à la sortie mais des centaines d'hommes armés d'arcs et de lances surgiraient soudain et l'attaqueraient, sans crier gare...

Soudain Greco se réveilla en sursaut. Quel était ce rêve étrange ? Il avait eu l'impression d'y être réellement, d'être ce Dragon pris par surprise. Il reprit lentement ses esprits pour s'apercevoir qu'il faisait maintenant nuit, qu'il transpirait à grosses gouttes malgré la fraîcheur du crépuscule et qu'une nouvelle fois, les autres marchands l'avaient ignoré après son deuxième malaise de la journée. Il se disait qu'il avait grand besoin de repos quand il eut la désagréable impression d'être épié par... un oiseau ! Celui-ci était immobile depuis le réveil de Greco, perché sur le sac de pièces d'or entrouvert, c'est-à-dire à quelques centimètres à peine de son visage. C'était un oiseau pour le moins original ! D'ailleurs sa spécificité ne s'arrêta pas là car il donna trois coups de bec sur les pièces d'or, en prit une dans ses griffes puis s'envola au loin.

Greco était fou de rage ! Il referma sa bourse et s'élança à la poursuite de la grive à travers les rues terreuses de Karanta. Le marchand se surprit lui-même à pouvoir la suivre si facilement. Elle volait très haut mais il la distinguait parfaitement. Elle volait aussi vite qu'une grive puisse voler mais il sentait qu'il pouvait courir bien plus rapidement s'il le voulait... lui qui n'arrivait même pas à se souvenir la dernière fois qu'il avait couru ! Il sautait par dessus les étalages, les caisses et tous les débris que l'on pouvait trouver dans les rues nauséabondes de Karanta avec une agilité et une rapidité qu'il ne se connaissait pas. L'oiseau volait à une altitude beaucoup plus basse après quelques minutes, comme pour narguer son poursuivant. Lui continuait sa course, les yeux fixés sur la grive tout en évitant les obstacles sur son passage, comme si un sixième sens l'en prévenait. Après avoir tourné pendant un moment dans les rues de la ville, Greco sentit qu'il se rapprochait des palissades délimitant sa cité d'accueil et dut faire un détour pour rejoindre la Porte Nord où deux gardes étaient postés. Il n'avait d'autre choix que de s'arrêter devant eux.

- Où cours-tu ainsi comme un dératé ? Fit l'un d'eux en levant sa lance.

L'oiseau voleur s'enfuyait et allait d'ici peu être hors de vue. Il fallait agir sans attendre. Le premier garde avait une lance dans la main droite, pointée sur le torse de Greco mais tenue avec négligence. Le soldat avait chaud et avait défait sa tunique au niveau du col.

- Es-tu sourd ? Beugla l'autre. Sais-tu ce que nous faisons des fauteurs de trouble ?

Très bien : le deuxième garde qui était trop loin commençait à se rapprocher avec sa lance tenue à la verticale. Il ne manquait plus qu'un ou deux pas... « Voilà... parfait, avance encore un peu... » pensa une voix de braise en Greco.

Quand le guerrier fut assez proche, au moment précis où il entamait un nouveau pas et où le premier garde détourna les yeux vers son collègue, le marchand s'empara de la lance pointée sur lui d'un geste souple, la planta dans la gorge de son propriétaire puis la fit tournoyer à deux mains pour trancher le cou du deuxième garde. En quelques secondes ils étaient morts.

Greco laissa tomber l'arme funeste, paniqué par ce qu'il venait de faire. Il n'avait jamais été violent et n'avait encore moins déjà tué. C'était tout juste s'il avait déjà tenu une lance dans ses mains ! Pourtant à cet instant il se trouvait couvert de sang avec deux cadavres à ses pieds... pour une pièce d'or ! Il s'empressa de rejoindre sa tente de marchand ambulant en prenant soin de se faufiler dans les ombres pour n'être repéré par personne (encore un talent qu'il se découvrait). Arrivé à l'abri, il se nettoya, vida discrètement l'eau à l'extérieur puis enterra ses vêtements dans un coin sombre. Ceci dura une bonne partie de la nuit, après quoi il s'allongea et s'endormit épuisé, espérant infiniment que tout ce qu'il avait vécu ce jour ne serait plus qu'un mauvais rêve au matin...

 
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DeletedUser12

Guest
Salut,

"Esgaroth" en lisant vite on peut croire à "escargot" mais bon, c'est notre faute si on lit trop vite.

Le début de l'histoire est très intéressant, avec un style bien écrit, fluide, qui se lit bien. Et tu suscites assez d'intérêt pour donner envie de lire la suite.
 

DeletedUser13249

Guest
N'hésitez pas à donner votre avis et surtout à me dire si vous voulez la suite : je ne la publie que si ça intéresse quelques personnes...
 
Dernière édition par un modérateur :

DeletedUser

Guest
Pour Esgaroth j'avais cherché, et c'est une cité lacustre dans les écrits de Tolkien..

Fêrka, j'apprécie toujours autant ton écriture et c'est un plaisir de lire ici les fondements de ta guilde..
Au plaisir de lire la suite.
 

DeletedUser13249

Guest
Effectivement Esgaroth, Smaug et Barde viennent des mondes Tolkien. Mon histoire se passe quelques siècles après, entre notre Âge de Pierre et notre Âge de Bronze (j'ai jamais été très bon en Histoire ^^).

Merci pour tes compliments Ynys, voici le Chapitre 5 : "Ryûjka, le Dragon Économe" !
 

DeletedUser7580

Guest
Je viens de tout lire et franchement, je dois dire que tu sais écrire. Ton histoire est bien ficelée tout en n'étant pas linéaire. Les personnages sont bien campés et en les renforçant encore un peu plus, ils deviendront réellement attachant. Il y a peu de maladresses ou de fautes et ça fait plaisir aussi.
En développant un peu les chapitres tu as matière à un roman.
Perso, je lirai avec plaisir la suite, tu as réussi à m'appater.
Seule amélioration que je vois, c'est d'un peu ralentir le truc, ça va un peu trop vite. Mais juste un poil pour ne pas tomber dans l'excès inverse.
 

DeletedUser13249

Guest
Merci beaucoup ! Ça va effectivement vite parce que je pense que c'est plus facile à lire avec de petits chapitres pour ceux qui n'en ont pas l'habitude.
Ça faisait très longtemps que je n'avais pas écrit avant cette histoire et vos messages me poussent à continuer et à m'améliorer :)
 

DeletedUser13249

Guest
Thorïn à Bilbo : « Si un plus grand nombre d’entre nous préféraient la nourriture, la gaieté et les chansons aux entassements d’or, le monde serait plus rempli de joie. »

Gandalf à Bilbo : « Vous êtes une personne très bien, monsieur Baggins, et je vous aime beaucoup ; mais vous n’êtes, après tout, qu’un minuscule individu dans le vaste monde »
Réponse de Bilbo : « Dieu merci ! »

Extraits de Bilbo le Hobbit.​

SOMMAIRE

Chapitre 6 : Le Réveil des Dragons

Mais le lendemain rien n'avait changé. Deux gardes royaux avaient été assassinés durant la nuit et la surveillance et la sévérité des soldats furent augmentées au centuple. Plusieurs guerriers furent accusés puis pendus à tort, pour l'exemple, alors que Greco jamais ne fut inquiété. En effet ce double meurtre n'avait pu être l'œuvre que d'un ou plusieurs combattants aguerris et aucun marchand ne fut évidemment suspecté. Pendant trois jours après ces évènements, Greco se fit encore plus discret qu'auparavant, ne sortant de sa tente que pour poursuivre ses affaires en cours et subvenir à ses besoins primordiaux. Ses voisins se félicitaient du surnom parfait qu'ils lui avait trouvé.

Le matin du quatrième jour, une voix forte et rauque l'appela de l'extérieur de sa tente :
- Greco ! Une gente-dame te demande !
- Je ne commerce pas le matin ! Cria de son côté Greco. Dites-lui de repasser dans quelques heures !

Le chef de la garde de Karanta, un homme imposant qui dut se baisser largement pour entrer dans l'abri fusilla Greco du regard :
- Tu vas t'empresser d'accueillir ton invitée comme il se doit. Ce n'est pas n'importe qui : elle a fait longue route pour arriver jusqu'ici et dirige une cité au bord du Long Lac.

Le marchand se redressa aussitôt, épousseta ses vêtements et interrogea le garde, oubliant à qui il avait affaire : « De quoi j'ai l'air ? ». Son interlocuteur l'observa avec dédain avant d'entrouvrir le rideau de la tente et de faire signe à une personne d'entrer.

La femme était grande mais sa toge noire et large empêchait de deviner autre chose sur sa silhouette. Son visage encapuchonné était en partie dissimulé et on ne pouvait que deviner des traits fins, une peau blanche, des lèvres rouges et une chevelure mi-longue qui ressortait par-dessus le vêtement. Elle se tourna vers le chef de la garde et celui-ci sortit alors, confus, lui présentant ses « plus plates excuses ». « Je ne t'avais jamais vu aussi plat, pensa Greco. Quel est donc ce personnage pour qu'un soldat d'ordinaire si bourru lui fasse des courbettes ? »

Le personnage en question se tourna vers lui et fit, d'une voix grave et monotone :
- Toutes mes excuses pour ce piètre déguisement.
Joignant le geste à la parole, le maître d'Esgaroth releva son capuchon et se passa un morceau de tissu sur le visage. Le blanc de sa peau qui adoucissait son visage laissa la place à un brun marqué et ses lèvres prirent une couleur plus naturelle que le rouge vif précédent.
- Les hommes sont plus enclins à discuter et à rendre service à une jolie femme qu'à un guerrier. De plus ils sont si faciles à berner, cela fait partie de leurs nombreuses particularités ajouta-t-il en souriant.

Greco l'écoutait d'une oreille, pensif. Il était persuadé de n'avoir jamais rencontré cet original individu, sans compter qu'il n'avait jamais eu de relations hautes placées (du moins pas sur ce continent), et pourtant il avait la sensation étrange de le connaître.
- Ceci est à toi, continua l'homme en lançant une pièce d'or au marchand. Désolé pour la petite scène d'il y a quelques jours, nous devions nous assurer que tu es bien celui que nous cherchons.

Le marchand sentait que si cela avait été n'importe qui d'autre, il aurait été dans l'obligation de se ruer sur lui et de l'étrangler sur place, dans l'instant. Mais la situation était particulière : un peu comme si ce n'était que son frère qui lui rapportait un objet emprunté.
- Sais-tu qui je suis ? Demanda Fêrka, en ouvrant les bras comme pour se montrer plus clairement.

Greco fixait son interlocuteur, stoïque.
- Dans ce cas le nom de Ryûjka te dit-il quelque chose ?

Des frissons parcoururent le dos du commerçant bien qu'il ne se souvenait pas de ce nom. Il continua de se taire car le maître d'Esgaroth semblait avoir deviné tout cela. S'ensuivirent des paroles de Fêrka, faisant les cent pas, dont le sens échappait à Greco :
- Bien ! Ton âme est bien présente mais pas encore totalement éveillée. Il faut visiblement trouver autre chose que ton simple nom pour la libérer définitivement... L'ouïe ne suffit peut-être pas, essayons un autre sens. Si le problème est uniquement de lui apporter une preuve qu'elle existe la meilleure solution est probablement que tu le vois par toi-même...

Fêrka s'arrêta à ces mots, se tourna vers le porteur de l'âme de Ryûjka avec un sourire ébahi qu'il n'avait jamais eu, habité d'une joie immense que son corps d'homme découvrait. Sans savoir pourquoi il faisait totalement confiance en cet homme étrange qui se faisait passer pour une femme quand il traversait Karanta, Greco suivit sans discuter le maître d'Esgaroth. Ils voyagèrent ensemble pendant plusieurs jours en parlant très peu : Fêrka restait distant, voyant beaucoup trop d'attitudes humaines chez son compagnon de route et Greco était pensif, pressentant que l'issue du voyage allait modifier le cours de son existence.

C'est ainsi qu'ils se rendirent au Sanctuaire des Dragons. En ce lieu, les fragments d'âmes de Ryûjka se soudèrent, comme il en avait été pour ceux de Fêrka quelques années auparavant, au moment où il posa les yeux sur le squelette d'un Dragon. Quelques temps plus tard Ryûjka, le Dragon Économe, retourna à Karanta et en prit la direction... mais ceci est une autre histoire. A eux deux, ils amassèrent de plus en plus d'or dans le Sanctuaire, récupérant une partie de ce qui était produit par les citoyens humains de leurs cités respectives. A mesure que leur butin croissait, étrangement, les souvenirs de noms de plusieurs de leurs frères leur revenaient, ce qui leur permettait d'appeler d'autres Dragons, chacun d'entre eux rejoignant le Sanctuaire d'une manière différente.

Pendant la première période qui dura deux décennies, Fêrka et Ryûjka réussirent à appeler puis guider au Sanctuaire Gîsca le Dragon Apaisant, Zêrika le Dragon Efficace, Tarûnka le Dragon Curieux, mais aussi les deux Dragons Fidèles qui ne se quittaient jamais, le Dragon Major qui élaborait toujours de nouvelles stratégies d'attaque ou encore le Dragon Nocturne. Vinrent aussi le Dragon Cinglant, le Dragon de Feu qui était composé à quatre-vingt pour cent de flammes, le Dragon Gris Généreux dont la mémoire remontait plus loin que n'importe quel autre et le Dragon Mondes capable de voyager là où aucun ne pouvait s'aventurer.

Mais parmi eux, aucune trace du Dragon Harmonieux et aucun ne put apporter la moindre information sur ce congénère. Peu leur importait cependant : après le réveil de son âme, chaque Dragon retournait dans la ville où leur corps d'homme avait vécu et en prenait les commandes grâce à leur prestance et un peu d'or du Sanctuaire. Ainsi grandissait de jour en jour le trésor des Dragons, ce qui suffisait amplement à leur bonheur. Ils ne savaient pas encore qu'à chaque pièce d'or déposée au Sanctuaire, ils se rapprochaient du réveil du Dragon Harmonieux et de celui de leurs corps originels...





Chapitre 7 : Le Conseil des Dragons

Au bout de vingt ans, les impôts collectés par chaque Dragon et déposés dans le Sanctuaire à l’insu des hommes avaient suffi à rendre à l’ancien antre de Gîsca un trésor comparable à celui qui avait été le sien avant le massacre des Dragons. On commença alors à éparpiller le butin dans plusieurs grottes différentes et l’espace disponible semblait ainsi infini. Les lieux étaient choisis en fonction de leur difficulté d’accès pour éviter que des aventuriers ne tombent par hasard sur une partie du trésor.

Avec plaisir, Fêrka s’aperçut assez tôt que son corps avait cessé de vieillir. Après tout ce temps il conservait l’apparence d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, les traits fins et le visage bronzé. Seuls ses cheveux bruns continuaient à pousser, à une vitesse exceptionnelle d’ailleurs, si bien qu’il les gardait toujours longs mais devait les couper toutes les deux semaines. L’Héritier des Dragons passait de plus en plus de temps pour se grimer en une personne plus âgée, traçant des rides sur son visage et commençant à se griser la coiffure. Leur immortalité conservée, les Dragons pouvaient voir très loin et continuer à garder leur mainmise sur les villes des hommes qu’ils dirigeaient. Ils accordaient chaque été leurs lois et le commerce entre leurs cités lors de Conseils où chacun était convié. Le dix-huitième Conseil se préparait ce jour.

Viviane fut le premier Dragon Fidèle à se réveiller. Elle s’extirpa du lit en douceur, s’efforçant de ne pas réveiller Zardoz, puis sortit sur le balcon ouest qui surplombait sa cité d’Iridicia. La rambarde était rouge et or. Un hibiscus était planté en pot sur la droite du balcon et les murs de pierre de la demeure des maîtres étaient recouverts d’un lierre épais. De l’autre côté, le cadran solaire sculpté à même la façade indiquait entre 8h00 et 8h30. La route de terre principale de la ville partait en ligne droite de juste en-dessous jusqu’à la sortie de la cité de Viviane. De part et d’autres, des bâtiments de bois aux toits de chaume récents servaient d’habitations de luxe aux plus riches. Les routes secondaires menaient au quartier des artisans où travaillaient potiers et teinturiers ou à des quartiers moins huppés composés de huttes. Le tout donnait une couleur très brune mais, en en visitant toutes les nuances grâce aux rayons obliques du soleil à cette heure, il y avait quelque chose de magnifique dans cette vue.

Les bruits métalliques provoqués par les forgerons travaillant sur de nouvelles armes et armures et qui rythmaient la vie de toutes les cités de Greifental à cette époque se faisaient de plus en plus sonores et Zardoz, le deuxième Dragon Fidèle, ne tarda pas à se lever. Il jeta un rapide coup d’œil par le balcon du côté est, comme pour vérifier que sa cité de Zankhaara n’avait pas été rasée pendant la nuit, puis rejoint Viviane qui contemplait toujours sa propre ville. Il l’enlaça tendrement, déposa un baiser sur sa joue, puis lui proposa :

- Tu peux rester ici pour te reposer aujourd’hui si cela t’en dis : je défendrai à la fois les intérêts d’Iridicia et de Zankhaara.
- Mais bien évidemment ! Ainsi ma ville verra ses impôts doublés et tu t’arrangeras pour que je me retrouve avec des tonnes de marbre inutiles sur les bras !

Zardoz lâcha aussitôt sa compagne :
- Au moins j’aurais essayé… dit-il dans un sourire.
- Je te connais trop bien !
- En parlant de se connaître, ce n’est plus la peine de demander à ma haute-garde de te servir des fruits pour ton déjeuner. Les bretelles du petit nouveau ont été remontées et tu ne pourras plus lui demander tout et n’importe quoi.
- Quel dommage ! Lui qui était si mignon et innocent !

La rhétorique dura encore plusieurs minutes, comme chaque matin chez les Dragons Fidèles. Chacun d’eux était à la tête d’une cité différente, mais ces cités étaient limitrophes et situées de part et d’autres de la rivière Arkhen. La demeure des deux maîtres, seul bâtiment de pierre que ce soit en Iridicia ou en Zankhaara, était construite en hauteur au-dessus du cours d’eau et était ainsi aussi le seul pont entre les deux cités. Les disputes matinales des deux Dragons Fidèles étaient devenues une routine visant à casser la routine. Tout en se chamaillant, ils s’étaient préparés et avaient monté leurs nobles montures pour se rendre au Conseil des Dragons.

Le Conseil tenait lieu en Esgaroth, comme toujours. Autour d’une table rectangulaire en bois massif montée sur une estrade en extérieur, Fêrka était installé en bout et attendait que ses derniers compagnons le rejoignent. Gîsca, le Dragon Apaisant, était assise à sa droite et Ryûjka, le Dragon Econome à sa gauche. Sur les côtés de la table, Zêrika le Dragon Efficace et Tarûnka le Dragon Curieux étaient les plus proches. Ces cinq Dragons étaient considérés comme les plus importants et en cas de conflit, ils se chargeaient de trancher et de départager les parties. Ils étaient aussi chaque année les premiers à se rejoindre en Esgaroth pour faire un bilan préalable entre eux.

- Bienvenue mes amis, fit Fêrka dans un sourire quand les cinq Dragons Nommés furent installés.
- Ravi de te voir, répondit Gîsca.
- Toujours présent, se contenta de dire Zêrika.
- Chef, fit simplement Tarûnka avec un signe de tête.
- C’est un plaisir, dit chaleureusement Ryûjka.
- Profitons d’être seuls ce matin pour aborder les sujets principaux sans détours.

Fêrka se retourna pour vérifier qu’aucun villageois ne passait près de l’estrade. Elle était située à la vue de tous mais en retrait des habitations pour que l’on ne puisse entendre ce qui s’y disait en s’occupant de ses affaires quotidiennes. Une fois la table remplie, des badauds s’approcheraient pour entendre les nouvelles venant de tout le continent mais à cette heure, chacun pensait que les dirigeants principaux n’échangeaient que d’amicales banalités. Ils étaient donc bien seuls et l’Héritier poursuivit :

- Le transfert de l’or s’est-il déroulé comme prévu ?
Zêrika prit la parole :
- Comme convenu, nous avons transporté une bonne partie du trésor du Sanctuaire dans la grotte de Tarûnka. A nous deux cela est allé assez vite malgré les ralentissements du Dragon Curieux.
- Ça pour être rapide, ça l’a été ! Enchaîna ce dernier. On ne s’arrêtait même pas pour déjeuner ou pour satisfaire nos besoins naturels ! Voyager avec le Dragon Efficace, merci du cadeau ! J’ai connu plus amusant !

Les Dragons éclatèrent de rire à l’exception de Zêrika, qui avait trouvé cela tout à fait normal, et de Fêrka, que personne ne se souvenait avoir déjà vu rire. Leur sérieux retrouvé, le maître d’Esgaroth conclut sur ce premier point :
- Bien ! Cela devrait suffire pour quelques années. Je recommencerai à déposer l’or au Sanctuaire et nous aviserons de nouveau quand il n’y aura plus d’espace. Évitons d’éparpiller l’or car les hommes s’étendent de plus en plus, inventent sans cesse de nouveaux équipements et stratagèmes pour atteindre des lieux qui leur étaient autrefois inaccessibles et pourraient découvrir l’un ou l’autre de nos emplacements. La grive surveille les quatre antres que nous utilisons pour le moment et me tiens régulièrement au fait des voyageurs qui s’approchent à quelques kilomètres.

Fêrka vérifia une nouvelle fois autour de lui avant de reprendre :
- Les derniers Dragons ne devraient plus tarder maintenant. Néanmoins j’aimerais avant cela que nous parlions brièvement du Dragon Harmonieux.
- Si même le Dragon Gris Généreux et le Dragon Mondes n’en ont jamais entendu parler, il est probable qu’aucun Dragon ne sache quoi que ce soit à son sujet, rappela Gîsca.
- Nous savons déjà cela. S’il n’y a rien de nouveau je ne vois pas d’intérêt à remettre cela sur le tapis… Surtout que nous sommes plusieurs à penser qu’il n’existe pas et n’a jamais existé, lança Zêrika, toujours aussi direct.
- Il ne s’agissait sûrement que d’un rêve Fêrka, tu en es conscient ? ajouta Tarûnka.

Ces paroles choquèrent Gîsca et Rûjka. Ce dernier donna son point de vue :
- Si Fêrka pense qu’il y a un Dragon Harmonieux qui nous attend quelque part, moi je lui fais confiance et vous devriez en faire de même !
- Merci Ryûjka, mais tu n’as pas à me défendre, tout comme je n’ai pas à me justifier ou à vous donner des explications. Le Dragon Harmonieux existe, ce n’est pas discutable, et si vous avez été appelés c’est en grande partie pour que nous le trouvions.

Du mouvement commença à se faire entendre à l’entrée d’Esgaroth, qui était alors entourée de palissades de bois. Plusieurs habitants se dirigèrent vers les visiteurs. Les dirigeants que recevait Fêrka à cette époque étaient toujours impressionnants et avaient une aura particulière que les hommes admiraient, si bien que leur arrivée était chaque année considérée comme un spectacle en soi. Le premier arrivé fut le Dragon Major, un soldat aguerri et très musclé qui chevauchait un cheval noir tout aussi volumineux. Il représentait aussi les intérêts du Dragon Nocturne qui refusait de participer aux Conseils tant qu’ils se passaient de jour. Quelques minutes plus tard le Dragon Mondes se présenta, arrivant à pied. Il était grand et élancé, vêtu d’une ample toge bleue foncée. Vinrent ensuite les Dragons Fidèles, toujours en désaccord sur un point que personne ne chercha à comprendre, puis le Dragon Cinglant et le Dragon Gris Généreux. Ce dernier était le seul Dragon dont le corps n’avait pas encore cessé de vieillir.

Le Dragon de Feu fut le dernier à rejoindre le Conseil, à bord d’un chariot renforcé tiré par quatre chevaux. Son âme n’avait été appelée qu’à la fin de l’année précédente et il s’agissait du premier auquel il allait participer. Il était vêtu d’une armure et d’un heaume de bronze qui le recouvraient entièrement et une chaleur impressionnante émanait de sa personne. Un homme l’accompagnait et il le présenta comme son second. Fêrka refusa de serrer la main de l’humain et n’accepta qu’il s’asseye à la table des Dragons que sous l’insistance du Dragon de Feu et du Dragon Apaisant. Le Conseil put alors réellement commencer.

On établit les échanges principaux de ressources à effectuer entre cités et répartit les productions de chacun sur l’année pour que les besoins de toutes les villes soient satisfaits. Les contributions que chacun versait officiellement à Esgaroth furent actualisées en fonction de l’importance des villes et on échangea sur la menace que pouvaient représenter certaines cités ennemies. Le Dragon de Feu présenta alors une nouvelle arme qu’il avait aidé à créer en manipulant des fours chauffant à une température jusque-là jamais atteinte. Il s’agissait de la première épée forgée en Greifental.
- Nos villageois ont trouvé un moyen pour augmenter l’efficacité de nos fourneaux, ce qui pourra permettre à chacun d’entre vous d’équiper ses armées de telles armes, ajouta l’humain alors que l’épée passait de main en main autour de la table. Les fourneaux doivent en fait être équipés de cheminées d’argiles ou agrandis à la base et percés pour aérer le foyer.

Fêrka fusilla l’homme du regard. Pour qui se prenait-il pour prendre la parole au milieu de onze Dragons ? Il se rappela cependant que l’homme pensait se trouver au milieu d’autres humains et se contenta donc de répondre :
- Ce n’est pas l’arme qui fait la victoire mais la qualité du combattant.
- Moi, ça m’intéresse, dit avec entrain Tarûnka, qui n’avait pas ressenti le malaise de Fêrka.
- Vous verrez cela entre vous plus tard, coupa net l’Héritier des Dragons, il est temps d’aborder le dernier point du Conseil : la recherche du Drarmo.

Le « Drarmo » était le nom de code que les Dragons avaient donné au Dragon Harmonieux pour pouvoir en parler librement devant les hommes. Ceux-ci pensaient qu’il s’agissait d’un trésor sacré caché. Comme vous avez déjà pu le constater, les avis des Dragons sur la question étaient très partagés. C’est une nouvelle fois ce qui ressortit de cette scène :
- Ceci ne me concerne pas, dit d’emblée le Dragon Cinglant en se levant, c’est donc à cet instant que je prends congé mes amis.

Gîsca sentait la colère monter en Fêrka et posa sa main sur son bras avant de répondre :
- Tu as un point de vue qui t’appartient, il serait tout de même agréable de terminer ce Conseil tous ensemble.
- Je te respecte énormément noble Fêrka, dit le Dragon Cinglant en s’apercevant qu’il allait devoir être diplomate. Nous sommes tous ici grâce à toi et l’organisation que nous sommes en train de créer sous ta direction nous mène vers des horizons que nous n’avions jamais imaginés. Je te suis reconnaissant pour cela mais ne te suis pas sur d’autres points. Je respecte et apprécie mes citoyens, quoique leurs ancêtres aient pu faire, et la recherche du Drarmo, s’il existe toutefois, relève à mon avis uniquement de ta quête personnelle.
- Dans ces conditions, je ne te retiens pas Oushen. Si je dois mener seul cette quête alors soit, continua Fêrka en observant ses compagnons un par un alors que le Dragon Cinglant quittait la table.

Les autres Dragons - ainsi que l’humain qui ne comprenait pas vraiment de quoi il était question – restèrent cependant même si certains étaient de l’avis du Dragon Cinglant. Il fut décidé que le Dragon Major, accompagné du Dragon Nocturne, partiraient sur les routes rechercher des informations sur tous les Dragons connus des hommes afin de trouver comment réveiller le Dragon Harmonieux. En réalité, le Dragon Major et le Dragon Nocturne ne revinrent jamais de cette aventure, mais ceci est une autre histoire.

Le Dragon Mondes et Fêrka, quant à eux, entreprirent de lancer des recherches hors du monde connu, là où seul le Dragon Mondes pouvait se rendre. Celui-ci n’avait pas encore retrouvé toutes ses capacités et ne pouvaient pas se rendre dans beaucoup d’univers différents mais après avoir détaillé chacun d’eux à Fêrka, il fut décidé qu’ils se rendraient dans un monde où semblait-il, aucun Dragon ne vivait plus. C’est ainsi qu’ils se préparèrent à se rendre en Fel Dranghyr.

 
Dernière édition par un modérateur :

DeletedUser17880

Guest
Je ne fais pas partie de la communauté FoE mais ayant pu lire ces 6 premiers chapitres ce week-end, j'ai accroché à l'histoire plus que ce que j'avais imaginé en entamant la lecture !
Il y a juste quelques petits "détails" que j'ai relevé et dont je t'ai déjà parlé, mais qui ne gâchent en rien le récit.
J'attends donc la suite avec impatience, même si je patienterai le temps qu'il faudra pour qu'elle soit aussi aboutie que le reste. :)
 

DeletedUser15083

Guest
Magnifique !! Le texte est très bien écrit, les descriptions sont assez complètes, et l'histoire est passionnante !!! Je trouve que tu as beaucoup de talent !! J'attends la suite avec impatience, mais comme Yune j'espère qu'elle sera aussi bien écrite que ce début ! En tout cas bravo ! Continues comme ça !
 

DeletedUser13249

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Merci beaucoup ! Je viens de rajouter le chapitre 7 qui a mis beaucoup de temps à arriver ! Les chapitres 8 et 9 devraient moins tarder et contenir plus d'action...
 

DeletedUser15083

Guest
J'aime beaucoup le 7 ! J'attends la suite avec impatience ! ^^ Ah, peux t-on espérer voir un combat ?
 

DeletedUser13249

Guest
Pas de vrais combats de prévus dans l'immédiat mais ça va venir dans un ou deux chapitres, promis !
 

DeletedUser15083

Guest
Super !! C'est la seule chose qui manque à ton récit, j'ai hâte de voir ça !! ^^
 

DeletedUser13249

Guest
SOMMAIRE

Chapitre 8 : Les Voyages du Dragon Mondes – Fel Dranghyr (1/2)

Un vent glacial soufflait dans la rue étroite. Aux gouttières surmontant les murs de pierre des maisons environnantes étaient pendues des stalactites d’eau de pluie. La soirée était sombre mais le blanc de la neige recouvrant le sol permettait de voir quelques mètres alentours. Des poubelles en aluminium débordaient de déchets blanchis au bout de la rue. Heureusement, le froid atténuait considérablement les odeurs. Soudain, l’air se tordit tout près des immondices. Dans un espace irrégulier de deux mètres de largeur, un mètre de longueur et deux mètres de hauteur, il se referma sur lui-même, puis tourbillonna, pour finalement disparaître et laisser place à un vide total, sans couleur. Ni noir, ni blanc, il s’agissait d’un espace inexistant dessinant les contours des silhouettes de deux hommes. Cet espace ne mit que quelques instants à se remplir pour laisser apparaître deux individus côte à côte vêtus de fourrures épaisses, l’un ayant sa main gauche posée sur l’épaule droite de l’autre.
- Ça va ? Interrogea le Dragon Mondes.
- Ça va, répondit simplement l’Héritier des Dragons en retirant sa main et en remuant ses doigts engourdis par autre chose que le froid environnant.

Le voyage avait été presque instantané. Il y avait quelques secondes, les deux Dragons étaient en sueur avec leur accoutrement dans une pièce reculée du Sanctuaire des Dragons, alors qu’une chaleur d’été étouffante pesait dans le désert à l’extérieur. La préparation du Dragon Mondes, elle, avait duré plus d’une demi-heure et il avait insisté sur le fait que Fêrka devait bouger le moins possible pendant ce temps. En tout cas il ne devait pas lâcher l’épaule du Dragon Mondes. Celui-ci avait fait d’amples mouvement avec ses bras, avait récité des incantations dans une langue improbable ou était resté totalement silencieux et immobile selon les moments, avant que l’espace ne se distorde en même temps dans le Sanctuaire et dans la rue enneigée, que le corps de Fêrka soit malaxé, retourné, rétréci, agrandi pour enfin retrouver sa forme d’origine dans un autre monde. Ç’avait été très impressionnant et l’Héritier des Dragons en gardait encore un sérieux vertige et l’estomac soulevé mais comme toujours, il voulait ne rien laisser paraître. Le Dragon Mondes qui, lui, était habitué à ces voyages, savait tout de même ce qu’il devait ressentir et lui laissa donc le temps de reprendre ses esprits.

Après une quinzaine de secondes, Fêrka demanda, en s’accroupissant près des déchets :
- Qu’est-ce ?
- Des boîtes où les hommes cachent ce dont ils ne veulent plus. Ce monde est bien plus avancé que Greifental.

Le Dragon Mondes se souvint qu’il parlait à quelqu’un qui ne connaissait l’existence des différents mondes que depuis peu et précisa donc :
- Pour ceux qui savent voyager de mondes en mondes, Greifental est le nom donné à celui d’où nous venons : le tien. Celui-ci, où nous sommes maintenant, s’appelle Fel Dranghyr.

Fêrka était interloqué mais les deux Dragons se concentrèrent rapidement sur le but de leur voyage, contournèrent l’Auberge de la Folle Dragée que la rue longeait et entrèrent dans le bâtiment bruyant, empli de tables rondes complètes.



**​

Cela ne faisait que quelques mois que le Dragon Mondes s’était aperçu qu’il pouvait toujours se téléporter. En réalité, il avait tout fait pour cela. Depuis que son âme avait été appelée et qu’il avait rejoint le Sanctuaire des Dragons, une dizaine d’années auparavant, il n’avait cessé de chercher un moyen de récupérer sa capacité d’autrefois. Du temps de l’âge d’or des Dragons, il lui suffisait de fermer les paupières une demi-seconde, même en mouvement, même en plein vol, pour disparaître et réapparaître n’importe où il l’avait décidé, dans n’importe quel monde existant. Cela était bien plus compliqué désormais et il n’avait réussi à rejoindre qu’un nombre très limité de mondes. Il avait fallu qu’il se rappelle précisément comment il avait appris à faire ses voyages la toute première fois, du temps où il n’était encore qu’un tout petit Dragon qui s’énervait, battait des ailes dans tous les sens et poussait des cris stridents pour ne se téléporter que d’un ou deux mètres. Il avait tenté de reproduire le même genre d’actions avec son corps d’homme adulte grand et mince, ce qui avait donné lieu à bons nombres de scènes cocasses.

Tout d’abord il s’était entraîné dans son chalet à flanc de montagne qui surplombait sa ville, mais les cris étranges qu’il poussait n’avaient pas manqué d’intriguer ses citoyens vivant en contrebas. Il n’avait donc pas tardé à plutôt choisir une arrière-salle du Sanctuaire des Dragons pour y effectuer ses séances plusieurs fois par mois. Cela amusait beaucoup les Dragons qui passaient alors, et Tarûnka, le Dragon Curieux, s’était même un jour installé confortablement sur un tabouret de bois devant l’ouverture de la salle d’entraînement, un verre de vin à la main et un morceau de pain qu’il grignotait dans l’autre. Il avait bien ri de l’étrange spectacle. Cela avait bien évidemment gâché la concentration et la séance du Dragon Mondes mais il avait pris soin de ne faire aucune remarque à Tarûnka qu’il connaissait trop bien, et qui aurait passé son temps à recommencer à chaque entraînement s’il avait senti que cela titillait un tant soit peu son ami. Ces efforts avaient été récompensés des années plus tard, quand il avait effectué son premier déplacement avec son corps d’homme.

Le Dragon Nocturne et le Dragon Gris Généreux se trouvaient alors dans la pièce voisine et au moment où les hurlements du Dragon Mondes disparurent sans prévenir, s’étaient regardés sans comprendre dans un premier temps, puis le plus âgé de tous les Dragons s’était précipité vers l’entrée de la pièce, suivi de peu par le jeune Dragon Nocturne. Ils n’y étaient pas entrés, comme le Dragon Mondes leur demandait systématiquement avant ses séances si toutefois il réussissait, mais avaient bien vu qu’il ne s’y trouvait plus. Il était réapparu une heure plus tard, hurlant de joie cette fois : il avait enfin trouvé comment fonctionnait ce corps.



**​

Dans l’Auberge de la Folle Dragée, qui ressemblait plus à une taverne, Fêrka et le Dragon Mondes purent retirer leurs fourrures et les accrocher à un porte-manteau. Une nouvelle chose que l’Héritier des Dragons découvrait mais cette fois ci il ne dit rien, car ils avaient convenu que seul son compagnon devrait prendre la parole au sein des hommes, puisqu’il connaissait les habitudes de Fel Dranghyr et qu’ils ne voulaient pas attirer l’attention. Ils restèrent debout au comptoir et le tavernier ne tarda pas à s’approcher, enthousiaste :
- Comment vas-tu, Ethan, depuis l’autre jour ? Ton voyage s’est bien passé ? Dit d’une voix forte l’imposant barbu en servant un verre de vin.
- Deux, Kormack, répondit le Dragon Mondes. Tout s’est passé comme prévu. Même mieux que prévu, ajouta-t-il avec un discret clin d’œil.
- Quel chanceux celui-là ! Tonna le tavernier. Il faudra que tu m’expliques un jour d’où tu tiens toutes tes relations ! Je n’ose pas imaginer ce que tu as gagné cette fois… Heureusement que tu viens partager un peu !
- Justement, je viens ce soir te proposer de partager bien plus.

Le Dragon Mondes, qui parmi les hommes se faisait appeler Ethan, était obligé de parler fort pour couvrir le bruit de la salle mais baissa inconsciemment le ton de sa voix sur cette dernière phrase. L’homme bourru se dit aussitôt que cela allait l’intéresser : après toutes les aventures extrêmement rémunérées dont Ethan lui faisait part depuis quelques jours, c’était la première fois qu’il lui proposait de l’associer à l’une d’elles. Kormack approcha son visage et son client continua :
- Je te présente ici mon ami qui se fait appeler Fêrka. Ne cherche pas l’origine de ce nom, tu ne trouverais pas. Il vient de très loin et travaille pour un des hommes les plus riches de son pays. Va savoir pourquoi, la lubie de ce milliardaire est de se faire conter les histoires et légendes dont personne ne se souvient. Tous des originaux, tu sais comment ils sont. Enfin bref, l’important est que j’ai tout de suite pensé à toi.
- Moi ? Des histoires ?
- Bien sûr ! La première fois que je suis venu ici, il y a une semaine et demi, je t’ai entendu dire que tu savais des choses que tu préfèrerais ne pas savoir sur tu-sais-quoi.

A ces mots, le tavernier se décomposa. Ethan avait fait un signe de tête vers l’arrière-cuisine en parlant de sa conversation et Kormack se souvenait très bien de ce qui s’y était dit il y a plusieurs jours, entre lui et sa femme. Pourtant personne n’aurait dû l’entendre. Depuis ses 31 ans, le tavernier maudissait le jour où on lui avait raconté cette histoire. Toutes les autres personnes qui l’avaient entendue était mortes, poignardées dans leur sommeil, et voilà qu’aujourd’hui on lui proposait de le payer pour la conter de nouveau… C’était plus que louche mais Ethan avait dit que son ami s’appelait Fêrka. La consonance était évidente, et difficile de croire que la milice qui se faisait appeler Seigneurs de Guerre prenait ce genre de nom d’emprunt. Autant envoyer un courrier pour prévenir : « je vais venir vous tuer cette nuit ». Et de toute façon, quand la milice posait ses griffes sur vous, c’était qu’il était trop tard et aucune fuite n’était possible. Il n’avait plus qu’à croiser les doigts pour avoir affaire à un fou, et accepter l’offre que lui proposeraient Ethan et ce « Fêrka » qui le regardait de haut depuis le début et qui n’avait toujours pas ouvert la bouche.
- Comment as-tu dit que ton ami s’appelait ? Finit par dire Kormack.

Ethan eut un large sourire et tendit la main pour celer cet accord : ils s’étaient bien compris.



**​

Fêrka avait très vite eu vent du fait que le Dragon Mondes savait de nouveau se téléporter. Il s’était aussitôt entretenu avec lui car dès l’instant où il avait participé à l’Appel d’Ethan, l’Héritier des Dragons avait eu une idée en tête. Le Dragon Mondes était très heureux d’avoir rejoint le Sanctuaire et avait accepté avec enthousiasme sa nouvelle mission : chercher des informations sur le Dragon Harmonieux dans les autres mondes. Le constat avait cependant partout été le même qu’en Greifental et aucun des Dragons qu’il avait pu rencontrer dans les autres mondes n’avait jamais entendu parler du Drarmo, tout comme ils n’avaient jamais eu vent auparavant de Dragons se réincarnant en d’autres créatures, d’ailleurs. Parler à tous les Dragons de tous les mondes allait de toute façon prendre des millénaires – et ils n’étaient pas pressés – donc le Dragon Mondes avait continué à voyager cinq jours par semaine, s’occupant de sa ville pendant une journée et rapportant ce qu’il avait vu à Fêrka le dernier jour.

Un monde très étrange avait attiré l’attention de l’Héritier : un monde où, semblait-il, ne vivait aucun Dragon et où aucun homme ne savait même ce que signifiait ce mot. Un Ethan venu de nulle part avait donc commencé à enquêter sur la question en Fel Dranghyr. Assez vite, il s’était aperçu que si la plupart avait l’air sincère quand ils disaient ne pas savoir ce qu’était un Dragon, d’autres tournaient la tête autour d’eux et semblaient gênés en lui répondant. Etant donné que le Dragon Mondes était très doué pour se lier sincèrement d’amitié avec les humains, l’un deux lui confia qu’il devait cesser de poser ce genre de questions s’il ne voulait pas avoir d’ennuis. Une fois à l’abri des regards indiscrets, Ethan avait voulu des explications mais l’homme lui avait répondu qu’il ne pouvait pas en donner et que de toute façon, il n’en savait pas beaucoup plus. Il avait tout de même fini, après plusieurs verres de vin, par dire au Dragon Mondes qu’il connaissait un homme qui en savait plus : le tavernier de l’Auberge de la Folle Dragée. Ethan avait donc suivi Kormack toute une journée sans se faire remarquer et s’était présenté le soir comme un nouveau client fort sympathique. L’histoire qu’il avait à raconter semblant très obscure et importante pour tous les Dragons introuvables de Fel Dranghyr, Fêrka avait voulu l’entendre de ses propres oreilles.



**​

Voici ce que Kormack murmura aux deux Dragons la nuit-même, dans la cave de l’auberge, une fois le dernier client parti :

« Je sais pas qui vous êtes réellement ni d’où vous venez et je veux pas le savoir. Ce qui est certain, c’est que vous devez être fous pour vouloir connaître ce que je sais sur les dragons. J’accepte quand même votre or, mais je vous demande en plus à tous les deux de ne plus jamais remettre les pieds dans mon établissement à partir de demain. Vous avez l’air de ne rien savoir alors je vais commencer depuis le début.

Ici, quiconque dit le mot dragon se fait assassiné. C’est aussi simple que ça. Cela dure depuis des siècles donc certains ne savent même plus ce qu’est un dragon. Tous les autres savent qu’ils ne doivent pas prononcer ce mot, mais très peu savent pourquoi. En tout cas des cinglés dans votre genre j’en avais jamais vu. Il y a une milice secrète qui s’occupe de ça. Dès qu’ils apprennent que quelqu’un à la langue bien pendue, couic, au cimetière. Pour que vous compreniez pourquoi, je dois commencer par vous raconter comment le monde était il y a plusieurs millénaires. Enfin, de ce qu’on m’en a dit.

En fait à l’époque il y avait moins de villes, plus de forêts, des animaux sauvages partout et surtout… des dragons. Des bestioles immenses recouvertes d’écailles comme un poisson mais avec des ailes et crachant du feu. Difficile à imaginer mais c’est l’idée général. Là vous avez les hommes qui construisent des villages mais qui se font attaquer par pas mal de bêtes sauvages, dont des dragons. Un groupe de mercenaires se construit, pour qu’on les retienne ils prennent le nom de Seigneurs de Guerre, et ces guerriers vont de villes en villes pour qu’on les paye quand ils débarrassent les habitants des bêtes sauvages. Seulement un jour il n’y a plus de bêtes sauvages gênantes, ou très peu. Jusque-là ils ne faisaient pas dans le dragon (c’étaient des monstres redoutables) mais avec les meilleurs d’entre eux ils ont commencé à organiser des expéditions pour tuer les plus dangereux. Les pertes étaient énormes mais pour cinquante soldats tués par un dragon, une centaine rejoignait les Seigneurs de Guerre : les frères, les enfants, les amis des morts… Quand tous les dragons dangereux ont été tués, après plusieurs siècles, ils se sont mis à tuer les dragons qui restaient, au cas où, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul. »

Fêrka se leva de colère, dégoûté. Dans ce monde ci les hommes avaient donc fait la même chose que chez lui. Il serrait ses poings de toutes ses forces et envisageait sérieusement de se jeter sur Kormack sur le champ.
- C’est tout ? Demanda Ethan, qui avait l’impression d’avoir raté quelque chose.
- Bien sûr que non : c’est que le début, s’énerva le tavernier. Si vous m’interrompez toutes les trois secondes on va jamais arriver au bout !

Ce n’était que le début ? L’Héritier se rassit alors, se demandant ce qui pouvait bien suivre. Et il fit bien, car il allait apprendre énormément de choses de cet homme.

Kormack leur raconta que plusieurs siècles après la mort du dernier Dragon, l’apocalypse s’était abattue sur Fel Dranghyr. Le ciel s’était obscurci, des tornades étaient apparues sur toute la surface de la planète et des météores de plusieurs centaines de mètres de diamètre s’étaient fracassés un peu partout. Une bonne partie des hommes avait alors péri, tout comme les animaux et la végétation avaient souffert. Aucune espèce n’en était sortie grandie. Aucune, excepté… les Dragons. L’apocalypse terminée, sans que personne ne se l’explique, des Dragons étaient réapparus, plus nombreux qu’ils n’avaient jamais été. Les hommes survivants avaient de nouveau bâti des villes, les Seigneurs de Guerre s’étaient reformés, s’étaient remis à chasser les Dragons, les tuèrent tous et, quelques siècles plus tard, une nouvelle apocalypse eut lieu, à l’issue de laquelle les Dragons revinrent encore.

D’après le tavernier, tout ceci s’était probablement passé sur plusieurs millénaires. Personne ne le savait vraiment, certains pensaient même que cette histoire n’était qu’une légende. Lui ne savait qu’en penser, tout ce qu’il savait c’était qu’elle tuait encore aujourd’hui. Après la deuxième apocalypse, les Seigneurs de Guerre avaient changé de tactique et s’étaient divisés en deux. La plus grande partie avait recommencé à chasser les Dragons mais un petit groupe s’était mis à vénérer l’un deux. Ils lui faisaient des offrandes, d’or principalement, et en échange le Dragon les protégeait. Cela avait été extrêmement difficile de trouver un Dragon qui avait pu accepter, mais ils avaient réussi, et petit à petit il avait baissé sa garde. C’était lui-même qui avait enterré les siens en expliquant un jour à ses sujets présumés que l’apocalypse était étroitement liée aux Dragons. Il leur avait expliqué que tant qu’au moins un Dragon vivait, il ne pouvait pas y avoir d’apocalypse.

Comment cela était possible, les Seigneurs de Guerre ne s’étaient pas posés la question : ils en savaient déjà bien assez. Ils avaient ensuite utilisé la confiance que ce Dragon avait accumulée en eux pour l’enfermer dans une prison inviolable, puis avaient fini de décimer ceux qui restaient. Ainsi, un Dragon restait toujours vivant et plus aucune apocalypse ne pouvait éclater. Il ne restait plus qu’à s’assurer que la prison du Dragon reste à jamais fermée et pour cela, les Seigneurs de Guerre se transformèrent en une milice secrète dont le but final était de faire oublier à tous que les Dragons avaient même un jour exister. Quiconque avait connaissance de la prison du dernier Dragon devait mourir et pour ne prendre aucun risque, quiconque parlait de Dragons était assassiné. Ainsi les Seigneurs de Guerre préservaient le monde de l’apocalypse.

Une fois le récit terminé, Fêrka ne put se retenir et se rua sur Kormack. Sans l’intervention d’Ethan, le tavernier aurait été tué sous les coups sauvages de l’Héritier. Il trouvait les humains infects. Partout où ils étaient, ils devaient se développer et détruire tout ce qui les ralentissait en utilisant trahison, lâcheté ou en se battant à mille contre un sans honneur… Plus que jamais, il voulait satisfaire sa colère et sa haine. Ce serait peut-être son prochain projet, mais, dans l’immédiat, il avait bien plus urgent à faire que de s’occuper de ces êtres insignifiants. Le tavernier avait aussi révélé aux deux Dragons que la prison inviolable n’était autre que la Montagne Rouge.


 
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SOMMAIRE

Chapitre 9 : Les Voyages du Dragon Mondes – Fel Dranghyr (2/2)

Fahid préparait son projet depuis une dizaine d’années. Il espérait bien qu’il aurait un impact suffisant pour changer, au moins un peu, la manière de vivre de beaucoup de personnes. Cela lui avait demandé d’étudier la Montagne Rouge dans ses moindres recoins, ce qui n’était pas simple quand tout le monde pensait que c’était une montagne maudite. Il avait tout de même réussi à en récolter des plans, et à les compléter lui-même. Il était donc fin prêt depuis trois ans déjà, mais se trouvait bloqué devant la dernière étape. Tout le village au pied de la Montagne Rouge savait qu’il avait besoin de plusieurs solides gaillards pour transporter ses sacs, mais il ne vint à personne l’idée de se proposer. Sans compter le fait que Fahid n’était pas connu pour sa richesse, aucune personne sensée – à part le météorologue, même si certains doutaient justement de sa santé d’esprit – n’avait escaladé la Montagne Rouge depuis des siècles. On racontait qu’elle tremblait parfois ou qu’il en émanait des sons étranges, comme si la montagne murmurait, même si cela faisait bien longtemps que personne n’avait entendu ce genre de phénomènes de ses propres oreilles.

Vous imaginez donc sa surprise quand, un jour comme un autre, on frappa à sa porte pour lui proposer de le rémunérer pour l’accompagner sur la Montagne Rouge ! Ils étaient deux hommes. Le premier se présenta chaleureusement sous le nom d’Ethan, et dit simplement que lui et son ami cherchaient des sensations fortes et avaient donc comme envie soudaine de rejoindre le sommet de la Montagne Rouge. Ils avaient besoin d’un guide, qu’ils paieraient grassement, et avaient entendu dire au village que Fahid était la personne parfaite pour ce travail. Le météorologue, de son côté, leur expliqua qu’ils devraient tous porter des sac-à-dos très lourds emplis de sondes à déposer autour de la montagne au court du trajet, mais que dans ces conditions il acceptait dans la seconde. Le deuxième homme fut très discret - il ne se présenta d’ailleurs même pas - mais semblait très aguerri, ce qui était bien la seule chose qui importait. Dès le lendemain, les trois hommes partaient à l’assaut de la Montagne Rouge avec tout l’équipement nécessaire.



**​

Fêrka n’appréciait pas du tout l’idée de se faire aider par un humain, mais le Dragon Mondes avait insisté car il avait bien conscience que leurs corps étaient très fragiles, qu’ils n’avaient aucune notion d’alpinisme, et que les habitants de Fel Dranghyr avaient inventé de très bons équipements pour rendre toute escalade sans dangers. C’est donc accompagnés de Fahid qu’ils comblèrent les quelques kilomètres de la vallée séparant le village le plus proche du pied du massif neigeux et rocailleux. L’aiguille même de la Montagne Rouge se trouvait à plus de quatre mille mètres au-dessus de leur niveau, et surtout encore à une douzaine de kilomètres à l’est. Dès cet instant, les Dragons virent l’intérêt d’être accompagnés de l’homme car ils contournèrent alors une première falaise qui leur faisait face par la gauche pour ensuite s’enfoncer dans une cluse tout à fait praticable à pied. Ils continuèrent de marcher entre deux à-pic pendant cinq kilomètres, puis l’escalade débuta.

Tous trois portaient un lourd sac-à-dos rempli du matériel de Fahid et un harnais. Ils devaient, pour commencer, grimper un éperon de trois-cent mètres et le météorologue éclaira le chemin pour assurer la cordée. Il fut surpris de voir comment, malgré leur amateurisme manifeste, ses deux employeurs ne peinaient pas du tout à le suivre. Au bout d’une heure ils atteignirent le sommet et purent continuer à pied sur un glacier plutôt plat. Ils avaient alors une vue magnifique. Le seul roc qui dépassait du paysage était l’aiguille de la Montagne Rouge qui transperçait de fins cumulus de coton. Le soleil était au Zénith et éclairait une vaste étendue blanche parsemée de lacets gris tout autour d’eux. Ils n’eurent aucun mal à rejoindre le pied de la Montagne Rouge à proprement parler cette fois, en marchant dans une neige souple et légère qui montait lentement.

Le massif était beaucoup plus impressionnant de près. La pointe se trouvait toujours à plusieurs kilomètres de hauteur et le cône très irrégulier que formait l’aiguille avait un diamètre de trois ou quatre kilomètres à la base. Fahid expliqua que c’était surtout cette partie qui était vue comme maudite et qu’il était le seul à avoir escaladé depuis plusieurs générations. Il ajouta qu’ils devraient monter jusqu’au sommet en faisant plusieurs fois le tour de la montagne. La montée allait devenir plus difficile et il leur rappela alors qu’il devait disposer ses sondes météorologiques tout autour à des emplacements bien précis. Si tout se passait bien, il déposerait trois sondes par jour et ils atteindraient le sommet dans une semaine. Le retour serait plus rapide car ils ne feraient pas de détour et ne prendrait que trois ou quatre jours.

A partir de ce moment, la montée fut beaucoup plus laborieuse, et les trois hommes devaient avancer encordés la plupart du temps, toujours Fahrid en éclaireur. Le soir tomba rapidement et ils s’arrêtèrent pour monter un campement sur un plateau. Une fois l’emplacement trouvé, Fêrka laissa tomber son sac-à-dos sur le sol enneigé.
- Faites attention ! S’exclama Fahid, très énervé. Les sondes sont très fragiles, il faut les manier avec délicatesse !
- Tu n’avais qu’à construire quelque chose de solide, répondit placidement l’Héritier des Dragons en soutenant le regard de son guide.

Le Dragon Mondes sentait les ennuis arriver et préféra détendre l’atmosphère :
- Evitons de nous énerver pour un sac tombé par terre, je propose que nous échangions nos meilleures anecdotes autour d’un feu ce soir.

Fahid salua l’idée et Fêrka ne dit mot, comme à son habitude. L’Héritier regarda le sac puis son guide qui s’était installé à côté d’Ethan autour du feu qu’il avait allumé. Quelque chose l’intriguait dans ce qui venait de se passer mais visiblement, le Dragon Mondes était trop occupé à faire ami-ami avec l’humain pour s’en rendre compte, se dit-il. Ce soir-là, Fahid raconta qu’il espérait pouvoir prédire parfaitement le temps qu’il ferait des mois à l’avance grâce aux résultats que ses sondes lui apporteraient. Il s’agirait d’une grande avancée technologique. Ethan, quant à lui, inventa une histoire de ballon géant dans lequel il avait pu voler, d’après ce que comprit Fêrka, mais celui-ci n’écouta que très peu la conversation des deux hommes. Il n’y prêtait aucun intérêt et essayait surtout de sentir l’âme du Dragon emprisonné dans la montagne, sans pour autant y arriver. Cela ne signifiait rien, car sentir l’âme d’un Dragon que l’on n’avait jamais rencontré était une chose presque impossible, mais ne le rassurait pas.

Le lendemain, ils reprirent l’ascension très tôt. Ils franchissaient tantôt des falaises abruptes, tantôt des fissures profondes, tantôt de larges plateaux où ils pouvaient marcher dans la neige épaisse. Le ciel était dégagé, si on exceptait les quelques cumulus éparses, et le cheminement rapide. A trois reprises, comme prévu, Fahid laissa les deux Dragons en arrière pendant qu’il cherchait l’emplacement idéal pour placer son matériel. Il avait voulu déposer une sonde de chaque sac-à-dos mais Fêrka avait refusé qu’on allège le sien tant que les deux autres n’étaient pas vides. Il était le plus entraîné des trois hommes et était persuadé qu’ils iraient progressivement de plus en plus vite ainsi. Les jours passaient et se ressemblaient : Ethan et le météorologue discutaient beaucoup, sur le trajet et le soir avant qu’ils se reposent, alors que Fêrka n’ouvrait la bouche que pour faciliter l’ascension ou organiser les campements.

En début d’après-midi du cinquième jour, alors que seul Fêrka portait désormais des sondes, ils se rapprochaient du sommet et avaient déjà fait plusieurs fois le tour de l’aiguille de la Montagne Rouge. Fahid était parti quelques minutes auparavant dans un chemin sinueux, entre deux cônes d’avalanches, pour placer un de ses équipements.
- Et une fois que nous serons au sommet, que ferons-nous ? Interrogea le Dragon Mondes.
- J’y réfléchis, répondit Fêrka. Pour enfermer un Dragon dans la montagne, ils ont dû fermer une immense issue une fois qu’il était entré. Il nous suffit de la trouver et de l’ouvrir.
- Admettons que nous la trouvions, je doute qu’ils aient laissé une serrure et la clef sur la porte, ironisa Ethan.

L’Héritier des Dragons ne releva pas. Il regarda dans la direction où était parti Fahid et demanda :
- Il n’y a rien qui te paraisse étrange dans tout ceci ?
- Dans le fait que nous cherchions à entrer dans une montagne ou dans le fait que nous soyons des hommes à âme de Dragon ?
- Je ne sais pas comment fonctionnent ses appareils primitifs, mais moi quand je veux savoir le temps qu’il va faire, j’écoute ce que le vent a à me dire. Or le vent souffle sur l’autre versant de la montagne, et l’humain est en train de s’enfoncer encore plus profondément, là où le vent ne parlera jamais…

Ethan tourna la tête autour de lui et écouta, effectivement ils étaient totalement abrité du vent. En même temps les sondes mesuraient peut-être autre chose. Il observa Fêrka qui avait sorti une sonde du sac et l’examinait. Vu de l’extérieur, il ne s’agissait que d’un simple cylindre métallique. L’Héritier la secoua près de son oreille pour écouter.
- Fais attention elles sont fragiles, rappela le Dragon Mondes.
- Vraiment ? Alors pourquoi n’a-t-il pas vérifié leur état après que j’ai laissé tomber le sac ?
- Peut-être que de toute façon il ne peut pas les réparer ici. Quel intérêt aurait-il à nous dire qu’elles sont fragiles si elles ne le sont pas ?

Fêrka pinça les lèvres et continua de manipuler l’objet. Comme il tirait sur les deux extrémités pour essayer de l’ouvrir, Ethan lui expliqua qu’il suffisait de dévisser le culot en le faisant tourner. Une fois la coque de métal retirée, le Dragon Mondes écarquilla les yeux, se redressa et recula de quelques pas.
- Alors là on a un problème, dit-il le plus calmement qu’il pouvait.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Des explosifs. Comme son nom l’indique, c’est quelque chose que les hommes ont inventé pour faire exploser des choses. En fait, ça imite l’effet d’une boule de feu que tu ferais tourner sous ta langue dans tous les sens avant de la cracher.
- Posez ça tout de suite !

Les deux Dragons n’avaient pas vu Fahid arriver. Il tendait le bras droit avec dans la main un petit appareil qu’il semblait pointer sur Fêrka. Le Dragon Mondes leva aussitôt les mains, une position de soumission évidente qui était indigne d’un Dragon, pesta intérieurement l’Héritier. Il commença à tourner autour de l’humain en lui parlant, toujours la « sonde » à la main, malgré les recommandations d’Ethan qui lui répétait que l’arme de Fahid était dangereuse.
- Il y a une règle de base que les hommes ne savent pas appliquer : on ne lance jamais une menace que l’on sait ne pas être capable d’appliquer. Je vois très bien que tu n’utiliseras pas ton arme.
- Je suis désolé, vous n’auriez pas dû voir ce qu’il y avait dans les sondes. Mais maintenant je ne peux plus reculer. C’est le projet de ma vie, je ne vous laisserai pas tout gâcher.

Fêrka s’arrêta. Il posa son regard sur l’explosif, puis sur l’aiguille de la Montagne Rouge, et enfin sur Fahid. Il savait parfaitement lire les expressions et les intentions des hommes et pourtant quelque chose lui échappait dans la détermination de celui-là. Il refit mentalement le parcours qu’ils avaient suivi jusque-là et crut comprendre, bien que cela paraisse impossible. Un regard vers le visage hébété du Dragon Mondes lui suffit à remarquer qu’il en était arrivé à la même conclusion.
- Nous allons t’aider à placer tes objets. Le prochain doit être mis à environ un kilomètre sur le versant nord, n’est-ce pas ? Je m’en occupe.
- Comment… Je n’en ai jamais parlé, je ne l’ai même jamais écrit nulle part, s’étonna le météorologue.

Fêrka se rapprocha de son sac et une fois à deux mètres, y jeta nonchalamment ce qu’il avait dans la main.
- Non ! S’écrièrent en chœur Fahid et Ethan.

Fort heureusement, rien ne se produisit, et Fêrka murmura un désormais habituel « Primitifs… ». Il mit son sac-à-dos et poursuivit le chemin, comme si de rien n’était. Puisque Fahid ne bougeait toujours pas, semblant totalement perdu et ne sachant que penser, le Dragon Mondes s’approcha de lui et dit simplement :
- Tu n’es pas le seul à savoir faire sauter une montagne.



**​

L’ascension continua, mais dans le silence le plus total désormais : les Dragons ne comprenant pas les intentions de Fahid et Fahid ne comprenant pas pourquoi on l’aidait. Dans cette ambiance lourde, l’humain refusa que n’importe qui d’autre que lui pose les charges – ne sachant pourquoi il devrait leur faire confiance – et Fêrka accepta, même s’il vérifia consciencieusement que chacune d’elle était parfaitement située. A sa plus grande surprise à vrai dire, ce fut toujours exactement le cas. Le dernier explosif installé, ils n’avaient plus qu’à descendre la Montagne Rouge du côté où se trouvait le village et à s’éloigner suffisamment. Au bout de quatre jours après que la dernière charge ait été déposée, autrement dit onze jours après le début de l’ascension, ils pouvaient déclencher l’explosion.

Assis contre un large rocher, dos à la montagne, Fahrid sortit un boîtier de son sac, l’ouvrit et pressa un bouton. Ethan était assis un peu plus loin, les mains sur les oreilles. Fêrka était resté debout face à l’aiguille de la Montagne Rouge. Dans un vacarme assourdissant, la montagne fut enveloppée d’une brume blanche, mais on devinait l’aiguille qui s’effondrait du côté nord. Des avalanches se déclenchaient tout autour, mais les trois hommes avaient choisi un emplacement qui serait épargné. Ils reçurent tout de même des projectiles de pierre et même des rochers entiers larges de plus d’un mètre tout proches d’eux. Ethan et Fahid restaient recroquevillés pendant que Fêrka se tenait droit, stoïque, se décalant de quelques centimètres à peine pour éviter les projectiles qui arrivaient directement sur lui. Au bout d’une demi-minute, il s’approcha de Fahrid qui n’avait toujours pas bougé mais qui allait certainement lui aussi vouloir entrer dans la montagne et l’assomma, en frappant dans la nuque de la tranche de sa main. Il ne s’agissait pour lui que d’un bouton « on/off » dont étaient pourvus tous les corps incroyablement fragiles des hommes. Il se tourna ensuite vers Ethan qui était avachi avec les mains sur les oreilles et lui cria, en lui écartant les mains : « Attends-moi ici ! Il se pourrait qu’il ne reconnaisse pas tout de suite en toi un Dragon ! ».

L’Héritier des Dragons se dirigea alors vers la prison inviolable du dernier Dragon de Fel Dranghyr. Il était couvert de neige et de poussière, le visage égratigné par les micro-minerais qu’il avait forcément reçus mais n’en avait que faire. Les décharges avaient fait s’effondrer le sommet de la Montagne Rouge et une ouverture à sa base avait dû aussi être creusée sur le versant est, de l’autre côté. Fêrka marcha pendant tout l’après-midi et toute la nuit qui suivirent, dans une brume blanche incroyablement épaisse, ne se fiant qu’à son sens de l’orientation interne. Il trouva la faille qu’il cherchait dans l’énorme roc à l’aube. Elle s’étendait sur plusieurs centaines de mètres de largeur et allait jusqu’au sommet effondré de la Montagne Rouge. L’Héritier se glissa à l’intérieur et au bout d’une centaine de mètres, atteint le cœur creux du massif. Sur les parois intérieures, on devinait une architecture humaine qui avait probablement servi d’escalier autrefois. Bien que large d’une dizaine de mètres, il était effondré à bien des endroits et la descente fut laborieuse, alors que le fond même était invisible.

Fêrka n’eut pas la moindre idée du temps qu’il mit à descendre. Il était comme en transe, attiré par ce qu’il sentait qui vivait au plus profond de la prison. Il ne sentait pas encore l’âme magnifique d’un Dragon mais savait qu’il y avait quelque chose de vivant qui l’attendait. Au bout d’un temps indéfini, il commença à deviner une lueur rouge au fond de la montagne. La lueur s’agrandit, et à mesure qu’il s’en approchait, le froid glacial de l’extérieur se transformait en une chaleur étouffante. Au plus profond de la Montagne Rouge reposait un lac de lave d’une couleur étrange : rouge carmin… et rien d’autre. Les cheveux de Fêrka crépitaient, leurs extrémités tombant en cendre, tout comme ses fourrures avaient brûlées depuis un moment déjà. Tout son corps le faisait souffrir mais il s’en moquait : au bord du lac, reposant sur le sol, il croyait deviner l’aile immense et majestueuse d’un Dragon.

Il ne pouvait pas s’approcher davantage sous peine de voir son corps désespérément si fragile carbonisé définitivement. Etant donnée la position de l’aile, le corps du Dragon aurait dû se trouver dans le lac mais aucun Dragon ne pouvait survivre dans du magma et Fêrka sentait bien une âme flotter autour de lui. Soudain, la lave se mit à bouillonner et des flammes rouges en jaillirent, se rassemblant en son centre en une boule mouvante imparfaite puis se déplaçant en rebondissant, tels des ricochets, avant de s’arrêter sur un rocher tout proche de l’aile de Dragon. Il n’y avait aucun doute possible : l’âme que Fêrka sentait provenait directement de cette boule de flamme et était bien celle d’un Dragon… mais que s’était-il passé ?
- Je suis venu te sauver, dit-il, totalement nu désormais car ses vêtements étaient tombés en cendre, et le corps sérieusement bruni.

La boule de flamme changea de forme pour dessiner la silhouette d’un immense Dragon gracieux, les deux griffes rivées sur le rocher, puis ce Dragon de flammes plongea dans le lac de lave. Sous forme de boule de feu encore une fois, il retourna ensuite sur le rocher. Le message était clair.
- Que t’est-il arrivé ? Demanda Fêrka, ému par le fait de voir son congénère prisonnier ainsi d’un lac de lave.

La boule de feu reprit alors la forme d’un Dragon, et celui-ci ouvrit grand sa gueule comme s’il voulait hurler, mais aucun son ne pouvait sortir de son corps de flammes. Il cracha ensuite des boules de feu tout autour, sur les parois intérieures de la montagne, notamment aux endroits où l’escalier était effondré nota l’Héritier, puis il se remit à rugir silencieusement. Cela ne faisait aucun bruit mais on sentait une tristesse infinie en le Dragon de Flammes. Fêrka ne le remarqua pas mais il n’y avait toutefois aucune colère. Il changea alors de méthode et jeta tout son corps de flamme contre les murs de sa prison millénaire, s’effondrant à chaque fois sur le sol. Il répéta ce mime une dizaine de fois puis s’arrêta sur son rocher, observa le lac de lave et se jeta une dernière fois, sur une paroi située au-dessus du magma. Sa chute lui avait alors été fatale, comprit Fêrka, et tout comme l’âme de l’Héritier des Dragons avait ressuscité en son corps d’homme, il avait semblé que l’âme du Dragon de Flammes se soit réincarnée dans le magma qui l’avait achevé, y restant prisonnière. Une montagne n’était pas une cage suffisante pour enfermer un Dragon mais sans le savoir, les hommes avaient tout de même réussi à créer une prison inviolable. Fêrka n’avait qu’une envie à cet instant : se jeter lui aussi dans la lave pour détruire ce corps qui n’était pas digne d’abriter une âme de Dragon. Il serrait ses poings noircis de toutes ses forces et s’écria, alors que le Dragon de Flammes avait repris place sur son rocher :
- Je te vengerai ! Tous les hommes paieront pour ce qu’ils t’ont fait !

Le Dragon fixa alors Fêrka, d’un regard que celui-ci n’arrivait pas à déchiffrer, et se jeta sur l’Héritier des Dragons, lui brûlant la joue et l’épaule gauche, avant de disparaître dans le lac de lave. Le Dragon au corps d’homme tomba à genoux, les mains sur le sol. Tous ses membres étaient en train de brûler mais il ne voulait pas bouger, comme s’il méritait ce châtiment. Tout ne pouvait toutefois pas se terminer ainsi et au bout de quelques secondes, il prit le chemin du retour car il avait bien compris que le Dragon de Flammes ne lui dirait plus rien. S’ils avaient vécu dans le même monde, sous la même forme, étant donnée la résonnance de son âme, nul doute que le Dragon de Flammes aurait été bien supérieur à Fêrka et il devait respecter sa sagesse.



**​

Fahid se réveilla chez lui, dans son lit, avec une migraine infernale. Au bout de quelques instants, il eut peur que ce qu’il avait vécu ne soit qu’un rêve et se rua à sa fenêtre, se cognant au passage le pied sur quelque chose d’extrêmement dur. Se tenant l’orteil de la main et marchant à cloche pied, il fut à la suite impressionné, soulagé puis inquiété en voyant que l’aiguille de la Montagne Rouge ne dépassait plus des cumulus. Il ne se souvenait pourtant pas ce qui s’était passé après l’explosion, et comment il était rentré chez lui. En se tournant vers son lit, se grattant l’arrière de la tête, il vit au pied les trois sac-à-dos qui semblaient totalement plein. Il faillit faire une crise cardiaque en en ouvrant un.

Totalement nu, le corps entièrement brûlé puis gelé, Fêrka avait rejoint Ethan et Fahid dans un état de faiblesse incroyable. Le Dragon Mondes, très inquiet, lui avait proposé ses fourrures mais l’Héritier les avait refusées sèchement. Ethan n’avait pas non-plus eu son mot à dire quand Fêrka avait pris sur son dos le corps de Fahid encore inconscient – il avait frappé beaucoup plus fort qu’il ne l’aurait voulu – et qu’il commença à prendre le chemin du village ainsi, titubant un pas sur deux. Le Dragon Mondes aurait pu les emmener directement, mais il savait que Fêrka le savait alors il ne lui proposa pas. Ils firent néanmoins tous deux un aller-retour entre Greifental et Fel Dranghyr, pour emplir les trois sac-à-dos d’or du Sanctuaire des Dragons, à la demande de l’Héritier des Dragons.

Avec l’argent infini qu’il possédait, Fahid construit plusieurs organisations défendant les droits des animaux, et notamment certaines visant à préserver les espèces en voie de disparition. Mais ceci est une toute autre histoire…


 
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DeletedUser15083

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Magnifique !!!!!!! La suite est excellente !! J'ai hâte de voir les prochains chapitres !!!!!!!!
 

DeletedUser13249

Guest
Merci ! Je crois aussi que je m'améliore de chapitre en chapitre. Le prochain devrait particulièrement te plaire car il s'intitulera "La Guerre d'Esgaroth". De belles batailles à venir donc !

(Et oui je fais dans la bande-annonce aussi maintenant ^^)

EDIT : Finalement il y aura un petit chapitre intermédiaire, désolé ^^
 
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