• Événement Historique 2024

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L'Appel des Dragons

  • Auteur de la discussion DeletedUser13249
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DeletedUser15083

Guest
Génial !! Tu as raison, je prends de plus en plus de plaisir à te lire !!! J'ai hâte de le lire !! Mais surtout, prends le temps de bien l'écrire !! ;)

(Tu te lances dans la pub ? ^^)
 

DeletedUser13249

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SOMMAIRE

Chapitre 10 : Avant la Bataille

De la poussière se soulevait au loin dans le désert. Le soleil frappait de très haut et faisait briller les sables volants dorés. Le tourbillon se rapprochait et on y distinguait progressivement la silhouette d’un cavalier. Il portait élégamment, avec hauteur, une longue toge beige qui se perdait dans le paysage et un chèche bleu nuit. Sa tête était droite, fière, et la monture semblait l’être tout autant, bien que d’un blanc sali par les sables, la crinière noire tressée immobile malgré le galop. L’individu contourna une dune pour s’engouffrer dans un étroit passage creusé dans un roc brun, presque invisible dans le désert. Un chemin sinueux s’enfonçait de plus en plus profondément entre les dunes de sable et le cheval s’ébroua quelques kilomètres plus loin, une fois enfin arrivé devant le Sanctuaire des Dragons. Son propriétaire descendit à terre avec grâce, soulevant une gerbe de sable sous ses pieds chaussés de souliers de cuir. Il attacha la longe autour d’un rocher prévu à cet effet devant l’entrée du Sanctuaire puis repoussa d’une main son chèche en arrière.

La longue chevelure blonde de Gîsca fut dévoilée et ondula alors que le Dragon Apaisant secouait la tête. Son visage était petit et aurait même pu sembler fragile si ses yeux verts n’affichaient en permanence une intelligence et une détermination sans faille. Les lèvres étaient pincées et le nez fin et pointu, terminant de donner une touche distinguée à cette femme. Les Dragons ne faisaient quasiment pas la différence entre leurs sexes. Leurs anciens corps étaient identiques mais avec leurs réincarnations, les femelles avaient trouvé des corps de femmes et les mâles des corps d’hommes, soulignant certaines de leurs caractéristiques intérieures. La cavalière rassembla enfin ses cheveux en arrière et frotta sa toge poussiéreuse avant d’entrer dans son immense antre.

L’intérieur du Sanctuaire des Dragons était extrêmement sombre et Gîsca attendit dans l’entrée plusieurs secondes que ses yeux se fassent au changement de luminosité. Lentement, devant elle, elle vit se dessiner une immense salle d’une centaine de mètres carrés au centre de laquelle se tenait une montagne d’or qui recouvrait partiellement le squelette d’un ancien Dragon : son ancien squelette. Allongé contre les vertèbres du cou, une main sur le dernier crâne de Dragon existant dans tout Greifental, l’Héritier des Dragons était immobile, le regard perdu dans le vide.

- Tu n’as toujours pas bougé ? Lui demanda le Dragon Apaisant.
- Il n’y a qu’ici, près de ton squelette, que je me sente encore réellement Dragon, répondit laconiquement Fêrka.
- Oui, et bien ceci me met d’ailleurs terriblement mal-à-l’aise ! Voulut plaisanter Gîsca d’un ton désinvolte.

Cette phrase aurait suffi à faire sourire ou à gêner n’importe qui au monde. N’importe qui sauf l’Héritier des Dragons. Il se contenta d’ajouter, sans bouger le moins du monde :
- J’en suis désolé.
- Esgaroth est prête à être assiégée, confia calmement le Dragon Apaisant. Depuis huit mois que tu n’y es pas retourné, la nouvelle de ta disparition a fait le tour du continent et les villes voisines veulent en profiter. Tes citoyens ont besoin de toi.
- Qu’ils s’entretuent. Cela fera moins d’humains.

Gîsca soupira longuement, peinée à la fois pour les hommes d’Esgaroth et pour son ami qui semblait ne plus avoir les idées claires. Elle s’approcha de l’Héritier des Dragons et s’accroupit tout près de lui, non sans ressentir un certain frisson en se trouvant aussi proche de son ancien squelette.
- Tu ne le penses pas. C’est pour cela que tu restes ici : tu ne sais plus si tu dois continuer de les exploiter, les ignorer ou les aider.

Le Dragon Apaisant marqua un temps avant de reprendre. L’Héritier des Dragons en profita pour se tourner vers elle. S’il avait accordé la moindre importance à la beauté humaine, il se serait rendu compte qu’il avait devant lui le plus magnifique être qu’il n’avait jamais vu. Rares étaient d’ailleurs les hommes qui pouvaient croiser le chemin du Dragon Apaisant sans en tomber éperdument amoureux. Elle posa sa main sur celle de Fêrka :
- Nous savons ce que tu as vécu. Ce fut totalement différent de ce que tous les autres Dragons ont connu : tu as cru être le dernier, tu as revécu les morts de chacun d’entre nous en nous recherchant et cela t’as forcément affecté. Nous nous réveillons tous avec une famille grâce à toi, avec une nouvelle mission, cela n’a rien à voir mais nous apprécions la vie parmi les hommes. Nous ne les voyons pas comme des esclaves mais comme des partenaires. C’est probablement qu’il y a quelque chose d’insensé dans ta haine contre eux.

L’Héritier des Dragons se leva brusquement au mot « insensé » et s’emporta, le cœur empli de colère et peut-être même de folie :
- Insensé ? Mais regarde ce qu’ils t’ont fait, bon sang ! Que te faut-il de plus ? Tout ce dont ils sont capables se trouve sous tes yeux, toi qui n’as jamais fait aucun mal à aucune créature ! Ils t’ont tuée Gîsca !
- Mais de qui parles-tu quand tu dis « ils » ? Rétorqua le Dragon Apaisant en se redressant également et en haussant la voix, toutefois toujours avec contrôle. Si je me retrouvais demain face à l’un de mes assassins, oui, je l’avoue il est probable que je porterais alors très mal mon nom. Mais cela est impossible ! Les hommes meurent ! C’est à la fois leur plus grande malédiction et leur plus grande chance : certains commettent l’impardonnable et disparaissent à jamais, si bien qu’on ne peut ni les punir ni assouvir nos envies de vengeances. Tu ne peux pas reprocher aux hommes d’aujourd’hui les fautes que leurs ancêtres ont commis, c’est comme si on me considérait responsable de la mort de Barn uniquement parce que son assassin m’a redonné la vie. C’est tout à fait stupide !
- Ce sont toujours les mêmes, continua Fêrka avec plus de retenue. Ils ne changent pas, répètent encore et encore les mêmes erreurs où qu’ils se trouvent sans jamais apprendre. Ils ne connaissent que trahison, lâcheté et destruction.

Gîsca soupira une nouvelle fois en baissant la tête, puis se dirigea vers la sortie du Sanctuaire des Dragons. Au pas de l’ouverture, éclairée par les quelques rayons du soleil qui entraient, elle s’arrêta et conclut, ses cheveux d’or éblouissant les yeux de l’Héritier des Dragons.
- Ils t’admirent Fêrka, tous. Partout dans le monde tes exploits lors des batailles, tes discours, tout ce que tu fais est vanté. Esgaroth est un modèle de puissance, de droiture et d’honneur. Tu les trouves traîtres, lâches et destructeur ? Montre leur un autre chemin, ils n’attendent que cela ! Tu t’es prétentieusement fait passer pour un guide devant eux. Pourquoi ne pas essayer de réellement le devenir ?

A ces mots, sans se retourner, le Dragon Apaisant repartit comme elle était venue.



**​

Varanne se trouvait au sommet des remparts de bois d’Esgaroth. Il observait de ses deux mètres, grand et fier, le regard lointain, les bras le long du corps légèrement écartés par son imposante musculature. A quelques centaines de mètres, dans la prairie qui bordait l’est de la ville, environ un millier de soldats désordonnés attendait l’ordre de lancer l’assaut. On y apercevait majoritairement des épéistes mais il y avait aussi quelques archers. Ils étaient séparés en deux groupes distincts. L’un était constitué de soldats vêtus de cottes de maille de fer arborant une feuille de chêne comme emblème sur le torse et de heaumes cylindriques. On reconnaissait là les armées dirigées par Korlash. L’autre groupe était emmené par Gaslim, deuxième du nom. Son armée portait des broignes de fer et des casques de cuivre surmontés de cornes de taureaux. Varanne savait très bien pourquoi la bataille n’avait pas encore commencé : les commandants ennemis devaient attendre l’arrivée de plusieurs machines de guerre à tir longue portée. Les derniers soldats à pieds venaient d’arriver devant Esgaroth et on estimait leur avance sur les onagres à une heure au maximum. Le temps pressait donc.

Varanne vérifia autour de lui que les meilleurs archers de la ville avaient bien pris place et leur signala par un « tenez-vous prêt » que le combat était imminent. Il mit dans ces quelques mots tout ce qu’il put pour paraître confiant mais tous les habitants savaient que la bataille était quasiment perdue d’avance. Ils étaient moins de deux cent hommes à pouvoir se battre pour défendre la ville et même s’ils étaient mieux équipés que leurs assaillants – ils portaient des armures de plates et des heaumes de fer – ils étaient probablement tous moins bien entraînés et surtout moins motivés. En effet, encore à cette époque il n’y avait pas d’armée d’Esgaroth et c’était chaque citoyen qui recevait régulièrement un entraînement au combat en plus de son activité habituelle.

Une femme monta quatre à quatre les marches menant en haut des palissades et s’arrêta, essoufflée, à côté de Varanne. Il se tourna vers elle quand elle lui parla :
- Nous venons de terminer l’installation ! Nous sommes prêts à tirer, Maître.
- Ne m’appelle pas Maître, Jani. Je ne le suis pas, répondit l’homme qui dirigeait Esgaroth en l’absence de Fêrka.

Jani s’excusa de sa maladresse et ajouta que tous les habitants étaient présents de ce côté de la ville, comme il l’avait été demandé quand l’arme de siège serait prête. Le bras droit habituel de l’Héritier des Dragons se retourna vers ses citoyens en contrebas et vit des visages apeurés, des têtes de soldats armés qui étaient persuadées qu’il n’y avait qu’une issue possible à cette bataille. Il s’y était attendu, au fond de lui la logique lui disait que c’était évident mais il refusait de se laisser aller à un quelconque défaitisme, quelles que soient leurs chances. Ils allaient tout faire pour sauver Esgaroth et même s’ils échouaient, ils feraient regretter aux assaillants d’avoir jalousé cette prestigieuse cité en leur infligeant des pertes historiques. Mais pour cela tout le monde devait y croire et avoir la foi. Varanne entreprit donc de remonter le moral de ses troupes.
- Mes amis ! Hurla-t-il, et le silence se fit aussitôt. Mes amis ! Aujourd’hui est un grand jour ! Peut-être le plus grand de notre histoire ! C’est ici et maintenant que nous avons la possibilité de montrer qu’Esgaroth est la plus grande ville de la région !

Des murmures débutèrent à plusieurs endroits. Il n’était pas convaincant et s’en rendait bien compte. Il savait aussi ce que chaque habitant ressentait et ce que chacun, lui y compris, taisait depuis plusieurs mois. Ne sachant pas tout à fait où il allait ni si cela allait empirer l’état d’esprit des habitants ou l’améliorer, il préféra alors toutefois parler avec franchise :
- Je sais ce que vous vous dites ! Vous pensez que cette bataille est désespérée ! Le plus grand atout d’Esgaroth, celui qui a fait de nous ce que nous sommes n’est même pas présent ! Vous avez raison : si le Maître d’Esgaroth était parmi nous nos chances de succès seraient démultipliées ! Mais ce n’est pas le cas, nous devons faire sans lui. Nous devons faire sans Fêrka aujourd’hui, mais il reviendra d’ici peu, j’en suis convaincu ! La question est donc : que va-t-il trouvé quand il reviendra ? Trouvera-t-il un champ de ruine en lieu et place de sa cité ? Apprendra-t-il que ses citoyens sont morts sans combattre, préférant mourir qu’essayer de sauver de toutes leurs forces leurs femmes et leurs enfants ? Non, je refuse ! Ce n’est pas cela qu’il verra demain en revenant chez lui ! Je veux qu’il voit une ville héroïque, qui s’est battue jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier moment avec fierté et honneur ! Je veux qu’il voit que tout ce qu’il a construit n’a pas été vain ! Je veux qu’il puisse revenir la tête haute, plus haute que jamais et dire : ce sont mes hommes ! Je veux qu’il revienne de son long voyage en ayant un endroit où s’arrêter ! Je veux que quand il reviendra, Esgaroth soit toujours debout, exactement comme quand il l’a quittée !

Varanne accentuait ces dernières phrases en frappant violemment du point dans les airs. Quand il finit son discours, ce que tout le monde comprit à l’intonation crescendo qui atteint alors son paroxysme, tous les habitants, hommes et femmes, imitèrent son geste rageur en criant « Esgaroth ! Esgaroth ! »

Il avait parlé naturellement, sans réfléchir et avait visiblement trouvé les bons mots pour redonner de l’envie aux soldats. Le défi restait incroyablement colossal, mais ainsi chacun donnerait tout ce qu’il pouvait.

 
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DeletedUser15083

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J'ai hâte de voir la suite, ton récit devient palpitant !!
 

DeletedUser13249

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SOMMAIRE

Chapitre 11 : La Bataille d'Esgaroth

Sa première mission accomplie, le nouveau dirigeant ordonna à chacun de retourner à son poste. Les archers se retournèrent vers l’armée ennemie, la double centaine d’épéistes prit place à l’entrée d’Esgaroth, le long d’un étroit passage artificiel d’une centaine de mètres délimité par des palissades de bois, visant à limiter l’avantage du nombre des ennemis lors du combat au corps à corps. Malheureusement, si Gaslim II et Korlash arrivaient à les bombarder avec leurs toutes nouvelles armes de siège, cet avantage serait quasiment réduit à néant. Varanne comptait donc sur un effet de surprise et une éventuelle erreur de jugement des ennemis pour retourner la situation à leur avantage et faire démarrer le combat avant l’arrivée des onagres. Il s’agissait de la seule arme de siège d’Esgaroth qui venait d’être terminée et qui allait être utilisée pour attaquer en premier. Jani conduit son supérieur jusqu’à celle-ci et ce fut lui qui déclencha le catapultage du premier bloc de pierre. Les sept femmes qui s’occupaient de la machine l’avaient réglée à la perfection et le rocher se fracassa puis roula en plein milieu de l’armée ennemie, écrasant ou mutilant sous des hurlements de panique et de douleur des dizaines de soldats. Varanne espérait que sous la colère, étant donné qu’ils étaient beaucoup plus nombreux, les commandants des villes voisines décident d’avancer l’assaut au corps à corps et de ne pas attendre l’arrivée de leurs onagres. Ce ne fut cependant pas le cas et Gaslim II et Korlash se contentèrent de reculer leurs armées pour se retrouver hors d’atteinte de l’arme de siège d’Esgaroth.

Plusieurs heures plus tard, le soleil avait passé son zénith depuis quelques temps mais les généraux ennemis patientaient toujours. Montés sur leurs puissants destriers marqués chacun de leur emblème : une feuille de chêne ou des cornes de taureau, ils passaient en revue leurs troupes pour les garder averties et motivées malgré l'attente et l'imprévu avec lequel ils devaient compter. En effet, Varanne et les habitants d'Esgaroth ne pouvaient encore le savoir mais les armes de siège ennemies avaient connu des avaries sur le trajet et étaient pour le moment inutilisables. Des ingénieurs y travaillaient sans relâche depuis qu'ils avaient remarqué l'anomalie à leur arrivée juste derrière la colline qui surplombait la ville, mais ils ne s'expliquaient pas la panne et l'imagination qui leur était nécessaire pour y arriver était totalement inhibée par la pression que leur mettaient leurs généraux. C'était assez simple : s'ils ne trouvaient pas une solution avant que leur patience n'atteigne ses limites, les frêles ingénieurs sans la moindre expérience du combat seraient envoyés en première ligne du front.

C'est d'ailleurs ce qui se produisit vers 16 heures. Korlash et Gaslim II se résignèrent à mener la bataille sans arme de siège, et même si cela allait leur coûter plus d'hommes que prévu et une revisite de leur stratégie de départ, leur avantage sur Esgaroth était toujours plus que suffisant. Afin de se rapprocher des fortifications de la ville en limitant les risques de pertes dues à la catapulte d'Esgaroth, les soldats s'alignèrent de long en large, ne formant que des rangs de quatre épéistes les uns derrière les autres que suivait un archer. La confiance des soldats en leur victoire faisait que les consignes étaient parfaitement suivies et l'armée se déplaçait en rythme vers l’avant comme un seul homme. Plusieurs rochers de quelques mètres de diamètres furent expulsés de l'intérieur des remparts mais la plupart furent sans effet. Certains retombaient au-delà des lignes ennemies, d'autres s'écrasaient bien avant puis roulaient mais les soldats à la feuille de chêne ou aux cornes de taureau avaient le temps de rompre les rangs exceptionnellement pour éviter le projectile. Un seul fit réellement mouche avant que les archers ennemis ne soient assez proches pour décocher des flèches de feu sur les palissades et les défenseurs de la ville. Avec discipline, les salves de flèches partaient d'un seul mouvement puis des soldats portant d'énormes boucliers rectangulaires se redressaient pour protéger les archers.

Par à coup, les archers d'Esgaroth répliquaient en se dissimulant derrière les palissades et en tentant de trouver une brèche entre les énormes boucliers ennemis. Cette séquence dura près de trente minutes. Dans chaque camp des hommes tombaient. Les plus chanceux étaient tués sur le coup d'une flèche dans la tête, d'autres agonisaient ensanglantés par une flèche leur ayant transpercé l'aine, le dessous de l'épaule ou toute autre articulation moins bien protégée par l'armure. Les blessés d'Esgaroth étaient évacués dans l'infirmerie située au bord du Long Lac, bien en retrait des fortifications où étaient en train de se dessiner un champ de bataille. A l’issue de cette demi-heure, la porte d’Esgaroth céda. Elle était alors jonchée de corps d’ennemis transpercés par une ou plusieurs flèches et piétinés mais son bois, si robuste fut-il, ne put résister plus longtemps aux flammes qui la fragilisaient progressivement et qui étaient sans cesse alimentées par des boules métalliques emplies de soufre hautement inflammables que déposaient régulièrement des soldats ennemis avec précautions. Quelques-uns n’en firent cependant pas preuve de suffisamment et les archers d’Esgaroth furent surpris de voir à une demi-douzaine de reprise des explosions retentir ou des flammes jaillir en plein milieu de l’armée qui leur faisait face. Ils n’avaient jamais vu de tels phénomènes se produire auparavant, que ce soit sur un champ de bataille ou ailleurs, mais ceux qui avaient des connaissances en ingénierie croyaient reconnaître des ressemblances avec ce qui pouvait se passer dans la chambre d’un four selon ce qui y était brûlé, et ils imaginèrent donc à raison que Korlash ou Gaslim II avait su modifier cette technologie pour créer de nouvelles armes destructrices.

Quelques minutes seulement après qu’une première fissure ait fendu la grande porte de bois massif, un bélier à cornes de taureau porté par dix imposants guerriers termina de la fracasser et de l’ouvrir de l’extérieur en seulement cinq aller-retour. Chaque choc faisait vibrer l’ensemble des palissades d’Esgaroth et tous les habitants sentaient dans leurs jambes la deuxième phase de la bataille, la plus meurtrière, se profiler à grands pas. Les visages se tendaient, les mâchoires se crispaient, les mains se refermaient avec force sur les épées que chacun portait. Les yeux rivés sur la porte en train de céder, déjà positionnés dans l’étroit passage où seulement quatre guerriers pouvaient tenir de front, les premiers habitants d’Esgaroth à devoir se battre au corps à corps voyaient le jour le plus important de leur vie arriver. La veille ils étaient tous de simples ouvriers, agriculteurs ou ingénieurs qui ne cherchaient qu’à nourrir leurs enfants et améliorer le confort de leurs familles… aujourd’hui ils devaient protéger la vie même de leurs proches, et ils allaient tout faire pour cela. Au cinquième coup de bélier, quand la porte d’Esgaroth s’effondra et malgré les ordres de Varanne qui disaient d’attendre que l’ennemi s’avance dans le passage pour engager le combat, la première ligne des guerriers d’un jour hurla le nom de sa ville en cri de guerre et se précipita sur l’assaillant.

« Trois pas qui me séparent de ma première victime… Tu vas regretter d’avoir osé croiser mon chemin… » L’épée levée sur sa droite et portée à deux mains, Léon stoppa net sa course une fois à la distance parfaite du soldat ennemi pour attaquer le premier. Il laissa ses bras s’abattre dans un mouvement prévisible mais retint sa lame une fois que l’adversaire eut engagé un léger mouvement d’esquive, tira ses deux mains vers lui pour coller l’anse de son épée contre son flanc droit et lança un coup d’estoc incisif qui vint se ficher directement dans le cou du soldat aux cornes de taureau. C’était une séquence parfaite et Léon pensa aussitôt à Eulalie qui l’avait répétée avec lui, quelques jours auparavant. Il n’était cependant pas temps de se déconcentrer et déjà il tendait sa lame à une main devant lui, en défi de son deuxième adversaire. Celui-ci n’apprécia pas le regard sûr de lui de Léon et donna un premier coup sec dans l’épée de l’habitant d’Esgaroth avant de feindre une deuxième attaque qui ne surprit personne. Léon en profita pour donner l’assaut à son tour, mais son bras fut stoppé et n’arriva pas à destination. Une douleur lancinante lui foudroya l’épaule droite et le torse, il tomba à genoux alors qu’un autre soldat que celui qu’il avait en face de lui retirait son épée de son corps tremblant. « Je suis désolé… Eulalie… Pardonne-moi… Je t’aime… »

Varanne observait de loin le champ de bataille qui s’était installé dans l’étroit passage et maudissait l’inexpérience de ses soldats qui s’étaient trop avancés et qui réduisaient considérablement l’avantage que devait procurer le couloir. Les habitants d’Esgaroth se battaient vaillamment, mais pour avoir des chances de victoire chacun devait abattre au moins cinq soldats ennemis et ils étaient très loin du compte. Il voyait ses voisins, ses amis, ses frères tomber et se demandait s’il avait fait le bon choix, s’il n’avait pas été aveuglé par sa fierté. Pourtant les soldats d’Esgaroth avançaient et repoussaient l’ennemi hors de leur cité. Ce n’était pas la bonne stratégie car une fois sortis du passage, la supériorité numérique de l’ennemi lui offrirait un avantage encore plus important, mais cela montrait que ses hommes étaient bien les plus grands. Le maître improvisé d’Esgaroth se rapprocha des hurlements de souffrance et des soupirs d’agonie puis contourna la palissade pour rejoindre les archers qui continuaient d’assaillir l’ennemi à l’entrée d’Esgaroth et dans le passage. De ces quelques mètres de hauteur, il vit Korlash, l’un des deux généraux ennemis, sans son destrier, qui se tenait prêt à se lancer dans la bataille une fois ses soldats repoussés hors d’Esgaroth pour bénéficier de l’avantage du nombre. C’était un homme grand, fort, mais vieilli. Un guerrier né, marqué par les batailles avec des cheveux grisonnants et une barbe blanche. Nul doute qu’il savait compenser son âge par son talent et son expérience. Il était temps à cet instant pour Varanne de rentrer dans la bataille, et pendant la seconde interminable que dura son saut dans le vide pour tomber sur les deux soldats à côté de Korlash, il se souvint la discussion houleuse qu’ils avaient eue une semaine auparavant, ainsi qu’avec Gaslim II.



**​

Les deux dirigeants des villes voisines avaient tout d’abord cordialement demandé un entretien avec le maître d’Esgaroth, mais il n’était un mystère pour personne que Fêrka ne se trouvait plus en Esgaroth depuis plusieurs mois, et Varanne avait senti dès cet instant que les intentions des deux généraux n’avaient rien de bon. Il les avait tout de même reçus tout aussi cordialement, cérémonieusement même pour laisser entendre qu’Esgaroth était toujours aussi puissante, et la discussion avait pu commencer autour d’une table emplie de victuailles d’extrême qualité. Gaslim II avait été le premier à aborder le but de leur visite :
- Nous vous remercions pour votre accueil Varanne, la réputation des produits d’Esgaroth n’est pour sûre aucunement volée.
- Je transmettrai vos compliments à qui de droit Gaslim.
- Faites donc, avait enchaîné Korlash, néanmoins nous ne sommes pas venus admirer votre cuisine, nous sommes ici pour prendre ce qui nous est dû.
Korlash s’arrêtant quelques secondes, Varanne avait questionné :
- Ce qui vous est dû ? Vous ne trouverez rien à vous en Esgaroth, j’en ai bien peur.
- Vous m’avez mal compris, avait repris Korlash tout en grignotant une cuisse de poulet : nous ne venons pas chercher quelque chose en Esgaroth, nous venons prendre Esgaroth.

Un silence de plomb était tombé dans la grande pièce du banquet. Gaslim II observait fixement Varanne et Korlash continuait son festin sans sembler perturbé.
- Vous avez raison : je vous comprends très mal. Esgaroth appartient à ses habitants et à ses habitants uniquement. Nous avons nos coutumes, notre façon de vivre, nos secrets qui ne regardent que nous, et aucun étranger ne peut prétendre à sa direction.
- Cependant vous n’avez aucune défense, si vous acceptiez notre offre nous assurerions une présence militaire suffisante pour la sécurité de vos habitants. Nous vous proposons un échange qui satisfera les deux parties avait argumenté le jeune Gaslim II.
- De toute façon vous n’avez pas le choix, avait fermement renchéri Korlash en voyant le regard noir sans équivoque de Varanne, votre Maître, votre Fêrka a une lourde dette envers nous dont il ne s’est jamais acquitté. Nous vous ordonnons donc de nous laisser prendre la place de votre Maître absent, sans violence et sans bain de sang. Si vous refusez nous viendrons prendre Esgaroth de force, et vous savez que vous n’avez aucune chance de nous résister.

Varanne s’était levé de son siège, une main sur la garde de son épée qui pendait le long de sa jambe. Un tel affront était inadmissible et il avait dû user de toute sa volonté pour ne pas couper sur le champ la tête du vieillard aux cheveux grisonnants. Alors que les deux invités se levaient aussi, près à dégainer à leur tour, leur hôte avait conclu l’entretien en ces termes :
- Vous n’êtes plus les bienvenus dans cette cité et je vous conseille de nous quitter immédiatement avant que notre patience n’atteigne ses limites. Nous n’avons aucunement besoin de défense, vous mieux que quiconque devriez le savoir puisque je vous rappelle qu’Esgaroth vous a déjà repoussé il y a bien longtemps.

Korlash avait éclaté de rire en se dirigeant vers la sortie de la salle du banquet et avait fini par répliquer :
- Vous ne savez rien ! Et vous êtes fous si vous pensez ce que vous dites. Réfléchissez-bien mon ami car il n’y aura pas une deuxième mascarade ! Si vous ne changez pas d’avis, la prochaine fois que nous nous rencontrerons sera sur un champ de bataille !



**​

Varanne assomma les deux gardes de Korlash en leur tombant dessus, ce qui de plus amortit sa chute et il put aussitôt dégainer son épée pour trancher le bras d’un troisième soldat et ficher sa lame dans le visage d’un quatrième. Deux autres se ruèrent sur lui de face, levant leurs armes bien haut en hurlant au cas où il ne les aurait pas vus venir, et ce ne fut qu’une formalité pour le guerrier expérimenté de ne faire qu’un pas de côté en pivotant pour laisser l’un des ennemis se planter seul sur son épée et se retrouver derrière le deuxième, qui ne comprit pas ce qui se passait quand sa tête roula sur sol.

A cet instant Varanne se trouvait précisément sur la ligne de front et était bien côte à côte avec ses hommes, qui se sentirent ragaillardis par la présence et la démonstration de talent du meilleur d’entre eux. Il avait attendu le moment précis pour cela et se jeter littéralement dans la bataille, ce qui surprit et effraya même bon nombre d’ennemis qui se faisaient transpercés par toutes les lames d’Esgaroth alignées devant la grande porte fracassée. Plus personne n’osait lui porter une attaque désormais et Varanne continuait d’avancer tout en lançant des coups d’estoc sur sa droite, tout en faisant des moulinets devant lui ou tout en tranchant des armures de mouvements souples de son épée. Les ennemis s’effondraient autour de lui dans des cris de douleurs ou des gémissements agonisants, le sang giclait de toute part et déjà son visage et son armure en étaient recouverts, mais l’immense épéiste n’avait que son unique objectif en tête et ne le perdait jamais de vue du coin de l’œil tout en observant tout le champ de bataille autour de lui : le vieux Korlash qui avait reculé d’une dizaine de mètres en voyant l’ensemble du front avancer très rapidement et avec une aisance déconcertante.

Les ennemis ne tardèrent cependant pas à retrouver leurs esprits et après quelques secondes, le front se stabilisa, les ennemis étant toujours largement en supériorité numérique. C’est à cet instant que Varanne se retrouva devant Korlash. Un espace se forma aussitôt autour des deux hommes et, comme s’il s’agissait d’une loi non-écrite mais connue de tous, personne n’envisagea de s’immiscer dans la lutte qui allait opposer les deux dirigeants. Ils décrirent dans un premier temps des cercles parfaits, séparés de quelques mètres l’un de l’autre, s’observant des pieds à la tête et se jaugeant mutuellement. Korlash faisait des moulinets avec son épée et Varanne restait immobile, son bras armé plié, sa lame dressée verticalement devant lui. Le général ennemi porta la première attaque, de haut en bas avec une vitesse impressionnante et Varanne eut juste le temps de porter son épée au-dessus de son visage en protection. Son bras vibra fortement sous le choc mais tint bon, et malgré quelques pas de recul il ne perdit rien de son équilibre, ce à quoi était forcément resté attentif Korlash. La force du vieillard était monstrueuse et le combat allait être acharné. Ce fut au tour du maître improvisé d’Esgaroth de lancer une attaque, son but fut alors simplement de tester les réflexes de son adversaire après avoir découvert sa puissance, et il s’avéra que ceux-ci étaient aussi très aiguisés car le vieil homme accompagna un léger pas de côté d’un souple coup d’épée dans la lame de Varanne. Le véritable affrontement débuta alors. Les lames s’entrechoquaient et raisonnaient au beau milieu du champ de bataille. Elles glissaient l’une contre l’autre, faisant apparaître des étincelles et les deux hommes dansaient et tournaient l’un autour de l’autre avec une grâce et une agilité déconcertante. La rapidité de chacun de leur coup les aurait rendu difficilement visibles pour la plupart des autres soldats qui continuaient aussi de se livrer une bataille acharnée.

Après quelques minutes, les deux hommes étaient en sueur mais leur puissance et leur vitesse ne faiblissaient pas. Leur endurance semblait tout autant comparable et bien malin qui pourrait dire lequel des deux guerriers l’aurait emporté si seulement ils avaient eu la possibilité de mener à terme leur affrontement titanesque. Car de longues minutes suivants le début de leur rencontre, un silence s’abattit progressivement autour d’eux. Partout sur le champ de bataille, lentement mais inexorablement, les soldats cessaient de se battre, leur attention attirée par une chose qu’ils connaissaient tous, même sans l’avoir jamais vue pour beaucoup. Korlash et Varanne l’avaient, eux, déjà vue quelques années auparavant et c’est au même instant qu’ils aperçurent son reflet sur leurs lames alors collées et tremblantes. Les deux se reculèrent alors et levèrent les yeux au ciel, comme étaient en train de le faire tous les soldats du champ de bataille, qu’ils appartenaient à un camp ou à l’autre.

Une mélodie douce et voluptueuse résonnait dans la plaine ensanglantée. Un simple oiseau tourbillonnait gracieusement au-dessus des hommes et chantait, des notes aiguës et d’autres étonnamment graves pour un oiseau. Ce chant était un chant d’infini espoir pour les habitants d’Esgaroth, et même si leurs ennemis ne pouvaient s’empêcher d’admettre qu’il était magnifique et apaisant, il s’agissait pour eux d’un chant effrayant car il ne faisait aucun doute que le volatil qui les survolait n’était autre que La grive. Invisible depuis quelques années, les jeunes qui ne l’avaient jamais vue commençaient à penser qu’il ne s’agissait que d’une légende, un artifice pour rendre plus mystérieux et charismatique son propriétaire. Mais elle était bien présente ce jour, et ne pouvait signifier qu’une seule chose : le retour du Maître d’Esgaroth.


 
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Chapitre 12 : Fêrka Rakom


La bataille avait repris. Les seules deux armes : la lance et l'épée, tournoyaient, perçaient, tranchaient, pourfendaient et semblaient en valoir des centaines, des milliers, voire des millions. Quiconque s'en approchait ne vivait pas bien longtemps. Un guerrier frêle mais agile lança une remarquable feinte à l'encontre de Fêrka, en ayant l'intention de trancher l'Héritier d'un coup d'estoc ensuite, mais cette attaque mourut au stade d'embryon et ne vit jamais le jour, tant la lance perça le flanc de l'assaillant en moins d'un dixième de seconde. Le soldat suivant n'eut pas plus de chances et vit sa hanche transpercée alors qu'il s'approchait à moins d'un mètre du lancier surhumain et il fut décapité l'instant suivant par l'épée de Varanne qui égorgea du même coup un troisième épéiste au casque à cornes de taureau.

Varanne et Fêrka combattaient ainsi depuis quelques minutes, faisant avancer la ligne de front. Les habitants d'Esgaroth suivaient derrière et achevaient les soldats ennemis blessés, apeurés, ou simplement déstabilisés par les deux leaders. Cette lutte à sens unique, ce carnage, ce tableau de sang et de mort se peignait sous des vrombissements sourds semblables à des coups de tonnerre bien que le ciel était totalement dégagé. Ils n'étaient autre que des cris de la grive. Elle tournoyait au-dessus des soldats, formant des cercles et des huit rapides et désordonnés depuis l'arrivée de Fêrka. Elle était visiblement excitée et nerveuse comme jamais l'Héritier ne l'avait vue auparavant. Ses cris vibrants étaient des mots dans le langage des Dragons, mais des mots dont même Fêrka n'arrivait pas à saisir le sens. Littéralement, même si aucun réelle traduction précise n'est possible du langage des Dragons au nôtre, elle jetais des paroles du type « le vainqueur perds », « le perdant ne gagne pas » ou encore « tu ne peux gagner, tu ne dois pas perdre ». L'Héritier n'avait jamais vu son compagnon lancer des paroles insensées de ce type mais à cet instant précis, il n'avait pas le temps de s'interroger.


De l'autre côté du champs de bataille, chez l'ennemi, on savait très bien que si on avait été placés en tête du front, on allait voir arriver et devoir faire face à deux guerriers comme on en avait probablement jamais vu. Il s'agissait alors de rassembler tout son courage, toute sa force mentale et physique pour se lancer à l'assaut de la mort en espérant un coup du sort favorable qui ferait de celui qui en bénéficierait le héros d'une génération. Tous savaient pertinemment que Fêrka et Varanne valaient mille hommes. Ils avaient eu un espoir que le Maître d'Esgaroth ait perdu de sa superbe quand ils l'avaient vu arriver vêtu de haillons avec une barbe grisonnante, broussailleuse et poussiéreuse, mais dès les premiers coups de lance de celui-ci ils déchantèrent. C'était d'ailleurs le seul combattant à utiliser une lance sur le champs de bataille. Les archers s'étaient repliés depuis longtemps déjà que le combat au corps à corps avait débuté, et tous les soldats, d'où qu'ils étaient, combattaient à l'épée.

Bien évidemment il vint à l'esprit de beaucoup de guerriers aux cornes de taureau ou à la feuille de chêne de déserter, de fuir ce combat, ou simplement de ne pas respecter les consignes de leurs généraux en s'écartant du centre du front pour éviter Varanne et Fêrka et plutôt affronter des hommes de leur envergure. Cependant pour plusieurs raisons, aucun ne le fit. Tout d'abord ils n'avaient pas beaucoup de temps pour la réflexion et étaient pris dans l'euphorie du combat, même s'il avait pris une mauvaise tournure pour eux. Ensuite, déserter signifiait être à jamais déshonoré et voir sa famille conspuée sur des générations. Et enfin, ce qui malgré la promesse d'une mort imminente, poussa chacun à respecter les ordres, était qu'ils avaient finalement la sensation que ce combat n'était pas perdu pour leur armée, même s'il l'était pour eux. Leur dirigeant avait eu la possibilité de se replier, ils l'avaient quasiment fait en rassemblant leurs troupes à l'arrivée de Fêrka sur le champs de bataille, et pourtant après un conseil de guerre à huis-clos entre leurs deux généraux, ceux-ci avaient plutôt alors galvaniser leurs hommes en soutenant qu'un seul homme ne pouvait pas changer le cours d'une bataille gagnée d'avance, et qu'ils avaient une stratégie précise pour annihiler la force du Maître d'Esgaroth tant redouté. Seuls quelques hommes devaient être chargés de l'affronter, et ceux-ci se sacrifièrent donc pour leurs camarades avec toute la foi et la force dont ils pouvaient disposer.



**​

Quand la grive était apparue au-dessus du champ de bataille, le combat s'était arrêté et d'un commun accord, d'un simple coup d’œil échangé entre Korlash, qui était au beau milieu de l'affrontement, et Gaslim, qui se tenait toujours en retrait pour observer l'avancée et donner des directives, celui-ci fit sonner le cor du rassemblement. Tout cela simplement pour un oiseau à peine plus grand qu'une hirondelle, pourriez-vous penser, mais la vérité est que l'instant après avoir reconnu la grive, chacun cherchait autour de lui si son propriétaire était proche, et Gaslim le reconnut très rapidement, qui remontait la rive sud-est du long-lac en direction d'Esgaroth et donc de la bataille. Fêrka se trouvait alors à environ un kilomètre mais uniquement en apercevant sa silhouette, tous étaient convaincus que c'était bien lui. Il possédait toujours cette aura, que peu s'expliquaient mais qui faisait que vous le reconnaîtriez même s'il se tenait derrière vous. Ce n'est que quand ils le virent de près que ses piètres accoutrement et état surprirent, mais la fermeté de ses gestes, de son regard, et surtout de sa lance pour ceux qui avaient la malchance de devoir croiser son chemin leur fit comprendre que cela ne changeait rien à sa personne.

Avant de saisir cela et de reprendre le combat cependant, Gaslim et Korlash s'étaient enfermés dans leur tente installée en haut de la colline, semblable à un prétoire luxueux. Alors que Korlash déposait, essoufflé, sa lourde épée contre une armure vide, Gaslim s'allongeait négligemment sur un lit de banquet, croquait un fruit tiré d'une coupe proche, et fit d'emblée part de ses intentions :
- Reprends des forces mon ami : nous repartons au plus vite finir ce combat.
- A ta place j'aurais fait sonner le cor de la retraite, pas simplement celui du rassemblement, dit franchement Korlash. Nos soldats ont l'avantage sur ceux d'Esgaroth, je peux battre Varanne, mais je ne peux à la fois lutter contre Varanne et Fêrka. J'enrage de l'avouer mais je ne peux même pas affronter Fêrka en un contre un.
- Tu ne sais pas ce que veut dire « enrager » mon ami, répondit lentement Gaslim, un sourire carnassier aux lèvres, semblant amusé par la situation plus que sérieuse pour Korlash. Je tue Fêrka, tu tues Varanne, nos hommes tuent les paysans d'Esgaroth... Voilà une conjugaison qui me plaît, et le problème est réglé !
- Ne dis pas n'importe quoi : tu n'as jamais vu combattre Fêrka ! Certes tu es très fort, plus que moi, mais même ton père n'était pas à la hauteur, nous l'avons même combattu à deux contre un un jour et nous n'avons pu le battre !
Korlash avait dit ces mots en s'emportant, et s'était empressé ensuite de se calmer et de détourner les yeux du deuxième général, espérant ne pas être allé trop loin. Gaslim ne broncha cependant pas et répondit, avec toujours le même sourire :
- Tu étais peut-être à bout de force, mais sache que mon père n'avait pas du tout montré ce qu'il savait faire pendant cet entraînement. Fêrka non-plus d'ailleurs : il ne s'agissait que d'un jeu pour nous.
- Pour nous ? Releva Korlash.
- Mon père m'en a tellement parlé que j'ai l'impression que j'y étais, continua d'un air détaché Gaslim. Toujours est-il que je sais que je vais le battre. Tu en doutes ?
Un silence s'installa quelques secondes. La détermination et la confiance de Gaslim étaient surprenantes, et cela ne ressemblait en rien à l'insouciance de la jeunesse s'était dit Korlash. Il avait plus du double de l'âge de son allié et pourtant il se sentait souvent surpassé dans beaucoup de domaine, y compris au niveau de l'expérience. La force de persuasion du plus jeune était aussi très impressionnante... même si Korlash savait qu'une partie de cette force de persuasion était due à la crainte que Gaslim inspirait chez tout ceux qui le côtoyaient. Malgré sa retenue apparente constante, il donnait l'impression de se contrôler à chaque instant et de pouvoir exploser à tout moment, tout comme son père autrefois. Ce genre de personnage est dangereux, Korlash le savait très bien et s'en serait volontiers débarrassé mais toutes ses qualités pouvaient lui être très utiles pour gagner des guerres. Il allait utiliser une dernière fois le fils de son ancien ami pour voir enfin la mort du Maître d'Esgaroth, puis il le ferait disparaître avant qu'il ne devienne incontrôlable.
- Je n'en doute pas, conclut Korlash les yeux dans les yeux.
Puis les deux hommes étaient sortis de la tente.



**​

Le plan était exécuté à la perfection par tous les soldats : ils se jetaient droit sur Varanne et Fêrka, les obligeant à avancer dans la direction qu'ils avaient choisie, et à quelques mètres derrière eux désormais, Korlash et Gaslim attendaient dans un espace d'une centaine de mètres carrés délimité par des guerriers à cornes de taureau. C'est ainsi que sous les hurlements de la grive, Varanne et Fêrka achevèrent les derniers hommes les séparant de cet espace vide et se retrouvèrent d'un coup sans ennemi proche, avec en face d'eux, au centre de ce qui ressemblait à une arène improvisée, les deux chefs des deux villes qui convoitaient Esgaroth.

Le combat s'interrompit alors, les quatre hommes s'observèrent et Varanne brisa le silence de chacun sur le champ de bataille, silence qui n'en était pas tout à fait un vu les cris abyssaux de la grive qui ne cessaient :
- Trop de sang a coulé ! Dit-il d'une voix forte pour couvrir les sons de l'oiseau et se faire entendre non seulement des deux généraux mais de tous les guerriers autour de lui, amis comme ennemis. Des deux côtés ! Rentrez chez vous maintenant et aimez vos femmes plutôt que de les rendre veuves !
Il avait pris la parole avant Fêrka naturellement et ne s'en rendit compte qu'après ces mots. Il aurait été dans l'ordre des choses que le Maître d'Esgaroth prenne la parole à sa place à cet instant mais son fidèle lieutenant avait pris l'habitude de diriger désormais. Beaucoup d'habitants d'Esgaroth aurait voulu voir l'expression de Fêrka quand Varanne s'exprima, toutefois ils étaient de dos et de toute façon il n'y avait pas grand chose à voir tant leur Maître était comme toujours impassible. Ses yeux enfoncés dans son visage barbu et sali de poussière, il ne broncha pas et ne semblait rien vouloir ajouter. Cela surprit Korlash, qui avait l'impression d'avoir raté une passation de pouvoir, puis il répondit, posant son regard alternativement sur Varanne et Fêrka :
- Seul le sang de deux personnes coulera à partir de maintenant ! Nos hommes ont reçu l'ordre de ne pas se joindre au combat ! Nous en attendons de même de votre part ! Nous prendrons pacifiquement Esgaroth une fois vos cadavres à nos pieds !
Durant cet échange, Gaslim n'avait cessé de fixer Fêrka, qui en avait donc fait de même. Le jeune général ressemblait énormément à son père, mais tremblait légèrement à cet instant précis, la tête légèrement avancée et penchée. Nul doute pour Fêrka qu'il n'avait pas tout son sang-froid, le plus gros défaut qu'un guerrier puisse avoir. Il tenait de sa main droite une épée classique, comme toutes celles que leurs soldats possédaient, quand Korlash, Varanne et Fêrka portaient des armes personnelles et reconnaissables entre mille. Une épée large incrustée de diamants pour le vieux dirigeant ennemi et une épée large sobre mais parfaitement équilibrée et au manche recouvert de cordelettes pour Varanne. La main gauche de Gaslim était quant à elle invisible car dans son dos. Le Maître d'Esgaroth se souvint que le père de Gaslim se faisait passer pour droitier, mais après l'avoir vu combattre, il avait eu la certitude qu'il était en réalité ambidextre. Son fils s'imaginait très certainement appliqué un de ces stratagèmes ridicules visant à surprendre son adversaire. Face à lui cependant cela n'avait aucune chance : il l'avait remarqué avant même le début du combat, et Fêrka s'en trouvait déçu d'avoir en face de lui un tel adversaire. Il n'allait en faire qu'une bouchée et observer ensuite Varanne se débarrasser seul du deuxième ennemi. Les paroles brûlantes de la grive était plus que jamais insensées, elle répétait à cet instant en boucle les phrases tourbillonnantes et vibrantes, dans le langage des Dragons : « Tu vas vaincre et il va gagner », « Tu vas perdre et il va gagner ».

Et sans crier gare, alors qu'il était immobile depuis l'arrivée de Fêrka et Varanne, Gaslim se mit à courir vers son adversaire désigné, accompagné d'un hurlement perçant, continu et assourdissant de la grive, qui ne cessa brusquement et définitivement que quand le jeune général brandit son épée au-dessus de sa tête puis l'abattit sur le Maître d'Esgaroth en soufflant les mots, les yeux injectés de sang :
- Fêrka Rakom ! Traor-katam !
Ces paroles à peine parlées, comme sorties directement du ventre de Gaslim et soupirées, résonnèrent toutefois dans la plaine, bien que personne ne se souvenait avoir déjà entendu un son résonner dans cette immense étendue plane. La grive s'était tue car ce qu'elle essayait de dire à Fêrka depuis le début de la bataille lui apparaissait désormais directement et clairement. Elle avait tout fait pour le prévenir mais il n'avait su comprendre. L'Héritier des Dragons prit donc de plein fouet ces paroles – dont la deuxième partie n'est probablement pas utile de traduire : Gaslim lui disait simplement qu'il allait le tuer – et fut tout autant surpris par elles que par la force surhumaine que déploya son adversaire lors du premier coup. Le Maître d'Esgaroth avait soulevé sa lance à une main pour se protéger tout d'abord, mais quand il avait vu le regard fou et entendu les paroles dragoniques de Gaslim, il s'étaient empressé de soutenir son arme de sa deuxième main. Même ainsi, tenant à bout de bras sa lance à l'horizontal au-dessus de son visage, il fut repoussé de deux pas en arrière pour garder l'équilibre.

Fêrka recula encore légèrement pour se mettre à distance de Gaslim. Comment n'avait-il pas pu comprendre plus tôt ? Ce n'était pas un humain insensé qu'il avait en face de lui. Ses tremblements n'étaient pas dus à la peur ou à la folie – quoi qu'il y en avait peut-être tout de même dans l'âme habitant le jeune homme – mais à l'excitation du moment, du combat acharné. L'Héritier des Dragons le sentait maintenant : quelque chose consumait Gaslim de l'intérieur, devait le brûler et lui demander un mental hors norme pour arriver à le contrôler. Il avait semble-t-il réussi jusque là mais son âme de Dragon avait dès le début de ce combat pris totalement les commandes et comptait bien laisser aller sa folie destructrice. Ce Dragon précis ne devait cependant pas être réveillé, ils en avaient bien pris soin quand son souvenir était revenu dans la mémoire des membres du Conseil des Dragons. Pourtant il n'y avait aucun doute sur le fait que c'était bien lui, et Fêrka allait devoir faire preuve non seulement de talent militaire mais aussi d'ingéniosité pour espérer pouvoir le neutraliser sans le tuer, car là allait être toute la difficulté.

Les yeux désormais exorbités, les traits toujours tendus et la tête de plus en plus penchée et tremblante, Gaslim lança exactement la même attaque que précédemment. Puis une troisième fois, une quatrième fois, une cinquième fois. Il frappait de toutes ses forces, ne conservant en apparence aucune garde, mais le Maître d'Esgaroth avait bien conscience que la main gauche de son assaillant était toujours dissimulée et préférait ne faire que se défendre pour l'instant, mettant sa lance en opposition ou esquivant de côté, évitant toutefois le côté gauche de son adversaire.

A la sixième reprise, à la grande surprise de Fêrka, l'épée ne frappa pas mais tomba juste au dernier moment sur sa lance. Gaslim l'avait simplement lâchée avant de frapper et sortit aussitôt de son dos une masse d'arme avec laquelle il donna un coup circulaire horizontal que l'Héritier des Dragons ne put parer et qui lui érafla violemment le flanc droit malgré un pas en arrière rapide. Le jeune général n'arrêta pas là son mouvement et continua à faire tournoyer son arme verticalement, horizontalement, obliquement dans des mouvements à la fois fluides et imprévisibles. La vitesse qu'il donnait à ses coups faisaient que Fêrka n'était pas convaincu de pouvoir les stopper avec sa lance et il ne pouvait que reculer, faire des pas de côtés, rouler même avec une agilité impressionnante vu son original accoutrement. Quelqu'un ne le connaissant l'aurait pris pour un mendiant en haillons s'il ne s'était fié qu'à son apparence.

Pendant ce temps la lutte acharnée entre Varanne et Korlash avait repris. Fêrka l'apercevait du coin de l’œil et faisait de son mieux pour éloigner au maximum son adversaire du deuxième combat, car il avait la certitude que dans son état actuel, celui-ci tuerait sans distinction quiconque se mettrai en travers de son chemin, que ce soit d'ailleurs Varanne ou Korlash. Après plusieurs minutes de ce combat à sens unique, le Maître d'Esgaroth crut découvrir une certaine répétition dans les coups de son adversaire. Ne sachant pas si son endurance surpasserait ou non celle de son adversaire, il choisit le moment qu'il estima le plus opportun, entre deux esquives, pour projeter sa lance avec toute la vitesse qu'il pouvait lui conférer droit sur la cuisse gauche de Gaslim. Celui-ci modifia alors le mouvement qu'il répétait depuis le début de l'affrontement pour, toujours d'un mouvement fluide, circulaire et sans cassure avec le précédent, repousser la lance avant qu'elle ne l'atteigne du bout de sa masse d'arme et l'envoyer au loin, hors de de l'espace qui leur servait d'arène improvisée.

Tous les regards étaient figés sur ce combat, oubliant presque le deuxième opposant deux autres guerriers de génie. Un silence de mort régnait dans toute la plaine, chaque homme retenant son souffle et la grive ne se faisant plus entendre depuis les paroles de Gaslim dans la langue des Dragons. Fêrka était alors désarmé, et cela était un incroyable handicap même si son arme ne lui avait pas beaucoup servie jusque là. Il savait cependant désormais que les gestes de Gaslim n'étaient pas hasardeux et qu'il pouvait les placer à sa guise, même si cela lui avait coûté sa lance. Les roulades, pas de côtés, mouvements d'esquives en se penchant à droite, à gauche, en arrière du Maître d'Esgaroth continuèrent donc, jusqu'à ce qu'il ne voit plus qu'une seule chose à faire. Au moment où l'ennemi entama un mouvement vertical droit devant lui, Fêrka feinta une roulade sur sa gauche, ce qui eut l'effet escompter de faire dévier son coup Gaslim dans cette direction, et l'Héritier des Dragons se glissa alors par la droite, frôla son adversaire avec une rapidité déconcertante et le saisit par derrière, enroulant fermement ses bras autour des épaules de l'ennemi ainsi immobilisé.
- Fêrka Rakom ! Hurlait alors le Dragon fou. Tu es à moi ! Essayes seulement de me tuer !
L'Héritier des Dragons en avait la possibilité : la masse d'arme était à cet instant à leurs pieds, nul doute qu'il l'atteindrait en premier s'il le voulait, et son adversaire ne possédait pas son agilité et ses capacités d'esquives. Cependant c'était précisément ce que son congénère attendait : laisser son corps mourir de la main du Maître d'Esgaroth puisqu'il ne pouvait le tuer. Voilà ce que la grive voulait dire. Si Fêrka tuait Gaslim, son corps accueillerait l'âme du Dragon fou en plus de la sienne et elle le consumerait lentement, le rendant progressivement incapable de contrôler ses pulsions. Si Gaslim tuait Fêrka, le même phénomène se produirait exactement, la seule différence étant que cela se passerait dans le corps du jeune général. Si l'un des deux tuait l'autre, l'âme de l'Héritier des Dragons disparaîtrait.

Ne sachant que faire, gagnant du temps en gardant Gaslim sous son emprise, Fêrka ne remarqua pas qu'ils étaient à deux pas de Varanne et Korlash. Ils se battaient tout deux vaillamment, une nouvelle fois sans pouvoir se départager. Les deux avaient observé du coin de l’œil l'autre combat atypique, et Varanne ayant vu comme le combat démarrais très mal pour son supérieur et comme il tenait maintenant fermement son adversaire, comme en offrande, le lieutenant du Maître d'Esgaroth, tout en gardant un œil sur Korlash, effectua les quelques pas qui le séparait des deux Dragons et planta la pointe de sa lame dans le cœur de Gaslim avant de la faire tourner pour s'assurer de l'effet létal.
- Non ! Hurlèrent alors au même moment Fêrka et Gaslim, ce-dernier juste avant de rendre son dernier souffle.
Varanne resta figé un bref instant, frissonna légèrement, et se retourna garde levée vers Korlash, qui planta quant à lui son épée large incrustée de diamant dans le sol.
- Vous avez gagné... Je vais donner l'ordre à nos troupes de se retirer.
Fêrka laissa tomber le corps du jeune homme et répondit, sans toutefois regarder le vieux général car il observait attentivement Varanne :
- Ils se retireraient même si tu mourais, ce n'est pas ça qui va sauver ta vie. Mais elle ne nous intéresse pas. Alors partez. Et ne vous avisez plus de revenir. Ne me parlez plus de ce que je vous dois : pour ainsi dire rien. Les vulgaires pions n'ont pas à demander de dû. De plus, que je sois présent ou non, Esgaroth est protégée. Observez plutôt.
Le Maître d'Esgaroth fit un signe de tête vers le sud, loin dans la plaine. Deux cavaliers arrivaient au grand galop, et nul doute qu'ils étaient suivis par quelque armée.


C'est ainsi que la bataille d'Esgaroth prit fin, marquant les esprits pour des générations. Ainsi qu'une poignée de paysans d'un village expulsa de ses terres deux grandes armées. Les cavaliers qui arrivaient n'étaient autre que Ryûjka, le Dragon Économe et Gîsca, le Dragon Apaisant. Chacun avait fait au plus vite pour rassembler une armée et prêter main forte aux habitants d'Esgaroth, ils avaient cependant pris de l'avance sur elle quand ils avaient senti au loin les paroles d'un Dragon qu'ils ne connaissaient pas. Ces paroles qui intriguaient Varanne. Après que les deux leaders aient été acclamées et alors qu'il était temps de faire le bilan tragique des pertes, regardant au loin la cité d'Esgaroth dont les remparts étaient à reconstruire, le lieutenant du Maître d'Esgaroth répéta :
- Fêrka Rakom...
L'Héritier des Dragons se tourna brusquement vers Varanne, la main serrant sa lance.
- C'est comme cela qu'il t'a appelé, non ? Qu'est-ce que cela signifie ?
- Je n'en sais pas plus que toi... L'homme semblait fou et même si c'est une réelle langue, je ne la connais pas...
C'était faux et Varanne le savait. Il avait l'impression d'avoir un étranger comme supérieur, un étranger aux buts obscurs. Plus que jamais il voyait que Fêrka cachait énormément de choses. Ses voyages mystérieux, son abandon d'Esgaroth même s'il était revenu, le dû dont Korlash et Gaslim avaient parlé, qu'il avait quasiment avoué même s'il ne comptait pas leur rendre, et ces paroles d'une langue inconnue qui l'avaient tant surpris.

Les deux hommes s'observèrent quelques instants avant de reprendre le chemin, perdus dans leurs pensées. Bien évidemment que Fêrka avait compris Gaslim. Si la teneur globale de la phrase dite n'avait rien de particulier, le titre que lui avait affecté le Dragon fou lui l'était : Fêrka « Rakom ». Il s'agissait peut-être de la traduction la plus proche du titre « Héritier des Dragons » dans le langage sacré, excepté qu'il n'a jamais existé d'héritiers chez les Dragons, ce concept étant très humain. « Rakom » signifiait plutôt littéralement : « pilleur de tombe », « opportuniste » ou encore « charognard ». Ce n'était rien d'autre qu'une insulte, et pourtant la traduction la plus proche du titre que Fêrka s'était lui-même donné.


 
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DeletedUser15083

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Excellent !!! La bataille est vraiment extraordinaire !! Bravo !!!! :D
 

DeletedUser13249

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Tes encouragements m'avaient manqué Jessica ^^ Je ne laisserai plus autant de temps entre deux chapitres :p
 

DeletedUser15083

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Tes chapitres m'avaient manqué ^^ Ah ouf !! ^^ Me voila rassurée !
 

DeletedUser13249

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Chapitre 13 : Les Voyages du Dragon Mondes - East-Nagach (1/2)

« Qu'est-ce qu'on va en faire ?... »
Varanne était allongé dans l'infirmerie d'Esgaroth, incapable de bouger. Il entendait des voix en dehors de la tente où il se trouvait, derrière la lumière aveuglante de l'entrée. Sa tête bourdonnait et les voix semblaient s'éloigner puis se rapprocher, le son de la conversation augmentait fortement, jusqu'à lui heurter les tympans, puis s'atténuait progressivement en un murmure inaudible.

« Il y a la salle close du Sanctuaire... »
Cette voix était féminine, elle apparue tout d'abord douce puis, l'appareil auditif de Varanne faisant encore des siennes, perçante voire suraiguë. Son cœur battait à tout rompre, d'une force inhumaine, comme s'il menaçait de sortir de la poitrine à chaque battement. Une excitation qui n'avait jamais été la sienne était en train de le submerger.

« Personne n'enfermera qui-que... »
Au son de la voix qui parlait, son corps se mit à trembler puis à se calmer légèrement. Cette voix... Elle était apaisante... Il la connaissait... La seule qui comptait réellement pour lui sur Terre... Celle d'à la fois son seul ami et son pire rival...

« … pas le surveiller sans arrêt. »
Il sentait que son ami était contrarié, par la faute d'étrangers, de vermines insignifiantes venues lui dire comment agir. Si seulement il pouvait bouger, il réglerait le problème d'un coup de patte, d'un crachat de feu : il réduirait la ville entière en cendre et seul son ami aurait la puissance pour en sortir vivant.

« … confiance... »
Varanne aussi avait confiance en lui...

« … prison... »
Qu'ils essayent de l'enfermer dans une prison ! Ils mourraient tous avant d'avoir pu le toucher !

« Trop dangereux... »
Ça c'est évident ! Les vermines sont au moins perspicaces !

« Restera mon lieutenant, discussion close. »
Mais son ami avait le dernier mot, forcément. La tête de Varanne tourna, il allait perdre connaissance et de nouveau disparaître... Pourtant il voulait rester, il voulait sa revanche, le combat n'avait pas été terminé... Le Dragon en Varanne luttait pour garder le contrôle, mais plus il luttait plus sa conscience s'atténuait, comme un rêve qu'on essaye de saisir pour se souvenir... Le rêve s'estompait.... Et tout redevint noir : le Dragon avait été refoulé au plus profond de l'inconscient du guerrier.



**​
Discours de Fêrka aux habitants d'Esgaroth après la Bataille​

« Un jour viendra où je ne serai plus là. Un jour viendra où Esgaroth aura besoin d’un nouveau Maître. Mais ce jour n’est pas venu ! Ce jour, chacun d’entre vous devra choisir seul son chemin. S’il souhaite marcher la tête haute ou se faufiler dans l’ombre. S’il préfère mourir en un contre un ou vivre à cent contre un. S’il rejoint le plus fort ou le plus juste. Ce jour n’est pas encore venu mais il ne m’inquiète pas et il ne doit pas vous inquiéter non-plus. Car vous avez montré, aujourd’hui, à tout Greifental, que quand ce jour viendra chacun d’entre vous fera le bon choix ! Après ce jour Esgaroth ne sera pas moins forte ! Après ce jour Esgaroth continuera à se dresser fièrement au bord du Long Lac. Ils pourront venir à quatre cent, à mille, à dix mille, Esgaroth les repoussera toujours ! Car vous avez montré aujourd’hui que vous n’aviez pas besoin d’un Maître pour faire les bons choix. Vous n’avez pas besoin d’un Maître pour vous lancer à corps perdu, avec honneur, pour défendre vos femmes et vos enfants dans une bataille dont l’issue vous semble défavorable. Vous n’avez pas besoin d’un Maître pour préférer combattre chez vous plutôt que vivre paisiblement chez l’ennemi qui vous oppresse. Ce jour n’est pas venu mais il peut venir. Et ce jour peut venir car vous avez montré, aujourd’hui, à tout Greifental, que vous étiez les plus grands hommes de ce monde ! »



**​

Alors que Varanne et Fêrka étaient sur le chemin du retour, silencieux, Varanne avait perdu connaissance et s'était effondré. On l'avait alors examiné dans l'infirmerie d'Esgaroth bien qu'il ne présentait aucune blessure apparente. Fêrka avait fait son discours, debout sur la table du Conseil des Dragons, étonnamment énergique et admiré pour un vieillard barbu vêtu de lambeaux. Il avait ensuite rejoint le chevet de son lieutenant – où on ne s'expliquait pas sa perte de conscience – et avait congédié les soigneurs et infirmières quand Ryûjka et Gîsca l'eurent rejoint. S'était ensuivi une discussion houleuse entre les trois Dragons : le Dragon Économe et le Dragon Apaisant conseillant une prudence infinie envers Varanne, maintenant qu'il avait assassiné le Dragon Enragé enfermé dans Gaslim. Le Dragon Héritier avait fermement rejeté toute proposition en ce sens, voyant en Varanne l'humain, de loin le meilleur et le seul homme à même de le remplacer à la tête d'Esgaroth quand Fêrka s'absenterait.

Quelques semaines plus tard, la cité au bord du Long Lac avait été reconstruite et se tenait fière et droite, sous la direction conjointe de Fêrka et de Varanne qui avait retrouvé tous ses esprits. Gîsca et Ryûjka ne manquaient pas de visiter très souvent Esgaroth, ce qu'ils n'avaient jamais fait auparavant en dehors des Conseils, ne laissant jamais Varanne sans surveillance plus de deux jours de suite. Il semblait cependant bien être l'homme qu'il était avant la bataille, et rien ne laissait présager qu'une âme de Dragon dormait en lui.

C'est dans cette ambiance paisible et fastueuse pour les habitants d'Esgaroth qu'un beau jour, un hurlement se fit entendre de derrière le trône du Maître de la ville, là où personne ne devait se trouver. La salle du trône était vaste, le trône en bois sculpté large et haut. Les accoudoirs représentaient de grandes ailes repliées : le symbole d'Esgaroth. Beaucoup pensaient qu'il s'agissait des ailes de la grive de Fêrka, mais celui-ci avait choisi ce symbole pour une tout autre raison que vous comprenez bien. Une allée centrale d'une dizaine de mètres, constituée de dalles de pierre, allait du trône à une porte en bois immense et était jalonnée d'amphores emplies d'or, devant des murs où étaient accrochés toutes sortes d'armes : des épées, des lances, des arcs, des fléaux et d'autres qu'on ne connaissait même pas en Greifental et qui intriguaient.

Au moment du cri soudain, un agriculteur était en train d'expliquer à Fêrka et Varanne qu'il avait trouvé un excellent moyen pour que les terres gardent leur fertilité d'années en années. Fêrka portait toujours une barbe grisonnante mais des vêtement plus dignes de son rang : une cotte longue et ample à gros plis de couleur beige, derrière laquelle pendait une longue cape rectangulaire verte foncée. Varanne portait toujours sa cotte de maille qu'il ne quittait que pour dormir. Les deux dirigeants écoutaient avec intérêt, tant cela pouvait augmenter le rendement des cultures et donc l'or à rentrer en Esgaroth... puis de fil en aiguille dans le Sanctuaire des Dragons avait en tête Fêrka. Il racontait quand ne semant pas les mêmes graines d'une récolte sur l'autre, celles-ci s'en trouvaient améliorées. Il valait mieux par exemple, sacrifier une année pour semer des plantes telles que la luzerne ou la moutarde, qui ne serviraient qu'à enrichir le sol, pour la deuxième année planter des légumes plus exigeants comme des asperges ou du poireau. La troisième année fonctionnait particulièrement bien avec des carottes et des navets, quand la quatrième donnait des résultats probants avec de la salade, des oignons ou des pommes de terre. Le sol se trouvait alors appauvri et il valait mieux sacrifier à nouveau une année pour des plantes qui ne serviraient que d'engrais comme la luzerne ou la moutarde, et ainsi démarrer un nouveau cycle plus efficace.

Voilà où en était le paysan de ses observations quand on entendit de derrière le fauteuil aux ailes repliées :
- Fêrka ! J'ai trouvé ! J'ai trouvé ! Où es-tu ? Ah, te voilà. J'ai trouvé !

Ethan, le Dragon Mondes, avait contourné le trône tout en ne cessant de hurler à plein poumons et tenait maintenant par les épaules l'Héritier des Dragons, tout excité d'avoir semblait-il découvert quelque chose... Mais personne avait la moindre idée de quoi. Varanne fit signe aux soldats qui accouraient qu'il n'y avait aucun danger et qu'ils pouvaient retourner à leur poste, pendant que l'agriculteur se demandait si on l'avait oublié. Fêrka tenta de calmer son compagnon :
- Qu'y a-t-il Ethan ? Nous ne te comprenons en rien. Qu'as-tu trouvé ? Tente de nous l'expliquer clairement.

Le Dragon Mondes lâcha le Maître d'Esgaroth, mit sa main devant sa bouche et secoua légèrement la tête comme s'il n'en revenait toujours pas, puis il répéta, faiblement et lentement, mais dans une excitation euphorique et en regardant avec intensité l'Héritier des Dragons dans les yeux :
- J'ai trouvé Fêrka. Ce que je suis parti cherché, ce que tu cherches. Enfin je n'ai pas encore trouvé celui que tu cherches mais je LES ai trouvés.

Alors qu'il voyait l'expression du visage de Fêrka changer totalement, passant de l'incompréhension à la surprise, un sourire radieux envahit le visage d'Ethan, il acquiesça, les yeux grands ouverts et répéta en insistant encore « Oui ! Je les ai trouvés ! ». Sans perdre une seconde, le Maître d'Esgaroth se leva du trône et, se tournant vers Varanne, fit simplement tout en suivant avec hâte l'allée dallée de pierres :
- Je dois m'absenter ! Varanne tu es le Maître d'Esgaroth en mon absence ! Je ne sais pour combien de temps !

Puis il disparut derrière la grande porte de la salle du trône et le silence s'abattit, brisé quelques secondes plus tard par le paysan incrédule : « Mais.... il a trouvé quoi ? ».



**​

Au moment où deux hommes et un oiseau disparaissaient de la surface de Greifental, les trois mêmes êtres apparaissaient dans un autre monde : East-Nagach. Ethan avait insisté sur le fait que la grive pouvait être importante, et quand l'air se tordit dans les monts arides et brûlant du désert d'East-Nagach, faisant la place aux deux Dragons et à la grive, celle-ci s'effondra de l'épaule de Fêrka et il dut la rattraper de ses mains pour l'empêcher de tomber sur le sol. Elle se redressa et s'envola aussitôt, avant de revenir se poser sur l'Héritier des Dragons : elle n'avait rien mais avait simplement été déstabilisée par le voyage.

Fêrka se tourna vers Ethan, et il vit un visage admiratif, regardant au loin, haut dans le ciel. L'Héritier des Dragons suivit son regard, et son visage s'illumina, peut-être comme jamais, et tout deux restèrent plusieurs minutes à contempler ce qu'ils avaient en face d'eux. Tout autour d'une montagne brune transperçant un ciel bleu ensoleillé, d'immenses Dragons, des centaines d'immenses Dragons volaient en cercle dans un chaos parfait. Certains se dépassaient, d'autres changeaient de sens, d'autres encore s'arrêtaient net sur place, tout cela sans jamais aucune collision. Les Dragons se trouvaient encore à une demi-douzaine de kilomètres d'Ethan et de Fêrka, mais grâce à leur vue perçante ceux-ci voyaient nettement chacun de leurs congénères. Il y en avait de plus d'une dizaine de mètres d'envergure, côtoyant d'autres jeunes d'environ deux mètres d'envergure. Il y en avait aux écailles brunes, aux écailles pourpres, aux écailles grises, aux écailles noires, blanches ou or. Il y avait des ailes lisses, des ailes interminables, des ailes griffues, des ailes osseuses, des ailes fines et des ailes larges. Il y avait des têtes allongées, des têtes rondes, des têtes cornues, des têtes poilues, des têtes effrayantes pour tout homme et des têtes juste belles. Toutes les races semblaient être représentées, car oui jeune lecteur, il existe différentes races de Dragons, énormément de races différentes même.

Entre les deux hommes et l'oiseau et les Dragons, s'enfonçait un profond ravin suivi d'un canyon sec et brun, infranchissable. Sans lui parler, uniquement d'un regard échangé avec la grive posée sur son épaule, Fêrka fit comprendre à la grive ce qu'il attendait d'elle. De ses quelques centimètres de hauteur, le petit être se redressa alors, ouvra ses fines et fragiles ailes au maximum, gonfla son ventre et son œsophage et en sortie un son incroyable, audible à des kilomètres à la ronde, un grondement sourd semblable à deux pierres de basaltes se frottant l'une contre l'autre, et qui résonna plusieurs secondes dans tout le canyon. Quelques instants plus tard, une forme ailée se détacha de l'essaim tournant autour de la montagne, et se tint devant l'Héritier des Dragons et le Dragon Mondes en quelques secondes. Le Dragon qui les rejoignit était brun, haut de quatre mètres environ, de la race la plus commune, ni jeune, ni âgé. Arrivé à pleine vitesse, il se freina de ses ailes une fois tout proche, soulevant un épais nuage de poussière, projetant Ethan à la renverse, la grive au loin, et obligeant Fêrka à reculer de plusieurs pas. Le Dragon se posa dans un léger tremblement, avant de cracher à son auditoire :
- Traor-vermok his ? Rost.
- Nous ne sommes pas « rost ». Nous ne sommes pas des hommes. Amène-moi à ton leader jeune Dragon, il le verra parfaitement.

L'Héritier des Dragons avait sans réfléchir répondu dans le langage des hommes, placidement. Il était de toute façon peu probable que son interlocuteur le comprenne s'il essayait de parler la langue des Dragons avec ses cordes vocales limitées. Le Dragon n'avait cependant visiblement pas compris et devait commencer à s'impatienter, alors qu'il restait immobile à regarder tour à tour Fêrka face à lui, Ethan qui était resté plusieurs mètres plus loin, et la grive qui volait près du Dragon Mondes. La seule chose qui retenait le Dragon de chasser les hommes, se dit l'Héritier des Dragons, était qu'il se demandait d'où avait pu provenir l'appel auquel il avait répondu, émis dans son langage. Fêrka fit alors signe de la main à la grive de s'approcher, et lui demanda de faire la traduction. Elle sentait le Dragon loin d'être accueillant, mais s'exécuta tout de même :
- Rost-hens. Traor-liben Tonuigenj. Artem.

A peine une seconde après que l'oiseau eut terminé sa phrase, le Dragon donna un large coup de griffe circulaire là où se trouvait Fêrka, puis il tenta d'attraper de sa gueule l'Héritier des Dragons, mordant toutefois dans le vide, faisant retentir un fort claquement de dents. L'attaque avait été soudaine, mais le Maître d'Esgaroth l'avait esquivée d'un pas en arrière, suivi d'un unique pivotement à angle droit. Il avait alors la gueule du Dragon à quelques centimètres de lui et pouvait sentir son haleine chaude. L'agresseur cessa son attaque aussi vite qu'il l'avait lancée, reprit position face à Fêrka et dit simplement, avant de lui tourner le dos et de s'asseoir au sol :
- Liben.

L'Héritier des Dragons acquiesça et, même si l'idée lui paraissait très étrange, grimpa sur la queue du Dragon pour finalement le chevaucher. Ils s'envolèrent au loin, laissant Ethan et la grive interrogatifs. Le Dragon Mondes se félicita d'avoir été cherché Fêrka aussitôt sa découverte de tous les Dragons faite. Lui seul n'aurait pu communiquer avec eux et n'aurait sûrement pas pu esquiver les attaques du Dragon. Il regardait donc un Dragon en monter un autre et se diriger vers le sommet de la montagne. Anticipant devoir attendre un long moment, il releva la capuche de la longue toge claire qu'il portait et s'assit à l'ombre d'un rocher dans un long soupir. Il jeta quelques morceaux de pains sortis de sous son vêtement à côté de lui et la grive vint y picorer le sol aride. Le Dragon Mondes leva les yeux vers la montagne autour de laquelle un essaim tournait, et se mit à rêver avec nostalgie de l'époque où lui aussi pouvait voler.



**​

Fêrka se cramponnait aux aspérités du dos et du cou de sa monture, qui volait comme si personne ne la chevauchait, à pleine vitesse et se penchant de quatre-vingt dix degrés pour prendre des virages. Ils traversèrent de part en part l'essaim tournoyant en plein milieu, frôlant des dizaines de Dragons n'allant pas dans la même direction, mais aucune collision n'eut lieu, comme toujours. Le sommet de la montagne était creux, et beaucoup plus calme, sans Dragons, comme l’œil d'un cyclone et le Dragon se laissa tomber en chute libre la tête la première au plus profond du massif. Au bout d'une dizaine de secondes, il écarta ses ailes pour stopper net sa chute et se redresser. Il volait alors sur place, se tenant droit, l'Héritier des Dragons sonné mais accroché de toutes ses forces à son dos. Le Dragon se posa lentement à terre, comme s'il venait seulement de se souvenir qu'il avait un passager, et Fêrka descendit en marchant sur l'épaisse queue, utilisant toutes ses forces et sa volonté pour empêcher son faible corps humain de vaciller et lui faire perdre toute contenance.

A peine l'Héritier des Dragons se trouvait à terre que sa monture repartait d'où ils étaient arrivés, sans un mot. Il laissa alors place à une grotte sombre et gigantesque, où des dizaines, voire une centaine de Dragons dormaient. Certains debout, d'autres allongés sur le flanc, le ventre ou même le dos, d'autres dans des positions courbées improbables et d'autres encore la tête vers le bas, accrochés au plafond, tels des chauve-souris gigantesques. D'au milieu d'eux, semblait émettre une lumière dorée. Fêrka se faufila entre les corps endormis pour la rejoindre, faisant grogner ou changer de positions les Dragons qu'il devait toucher, certains se réveillant et le suivant d'un regard malveillant. A mesure qu'il se rapprochait de la lumière, son contour devenait plus net et laissait entrevoir la silhouette d'un Dragon immense, aux écailles dorées, d'une demi-douzaine de mètres de hauteur. Il était assis, les yeux clos, mais le Dragon Héritier savait qu'il ne dormait pas, sans quoi la lumière n'aurait pas été aussi forte. Au contraire, il devait être en grande réflexion.

Quand Fêrka se tint enfin devant le leader des Dragons de ce monde : devant le Tonuigenj d'East-Nagach, une bonne partie des Dragons de la caverne étaient réveillés, et ceux qui ne tournaient pas seulement la tête vers l'homme le suivaient littéralement avec avidité. Une dizaine marchait ou sautait autour de lui, l'un d'eux tomba même du plafond et atterrit juste à côté du Dragon Doré quand Fêrka commença a parler d'une voix forte :
- Tonuigenj ! Fêrka His donak !

Les paroles résonnèrent dans la grotte, faisant à la fois grogner les Dragons dormant encore mais aussi ceux qui trouvaient inadmissible qu'un humain se permette d'utiliser leur langage et de le bafouer puisque ses cordes vocales l'empêchaient de réellement le prononcer. C'était comme s'il parlait le langage sacré avec un accent incompréhensible, mangeant la moitié des syllabes et des sons. Le Dragon Doré répondit sans ouvrir les yeux :
- Parle ton langage face à moi. Que fais-tu ici semi-dragon ? Tu es bien loin de chez toi. Si c'est la mort que tu cherches, tu es au bon endroit pour la trouver. Vois comme mes frères n'attendent qu'un signe de ma part pour se débarrasser de toi.

L'Héritier des Dragons grimaça au terme « semi-dragon », mais il se retint pour ne pas couper la parole de celui qui aurait été son supérieur en Greifental.
- Je ne suis pas un semi-dragon : je suis un Dragon, ni plus ni moins. Vois mon âme si tu as des doutes. Je suis ici à la recherche d'informations. De tes connaissances ancestrales, j'aimerais que tu me dises ce que tu sais sur le Dragon Harmonieux.
- Semi-dragon n'est pas une insulte, semi dragon. C'est un état. Que cela te plaise ou non, tu es un semi-dragon. Le fait que tu fasses tout ce voyage de je-ne-peux-imaginer-où pour me poser ce genre de questions en est la preuve. Si tu veux que nous ayons une discussion d'égal à égal, commence par ne pas simplement me donner ton nom, mais ton titre. Tu connais le mien, moi pas. Je suis Hornûnka, le Dragon Doré. Hornûnka Tonuigenj His.

Cela répugnait Fêrka, il n'aimait pas la tournure de la discussion à sens unique, et il commença à envisager de s'extirper de force de la montagne. Il n'était pas impossible qu'il puisse tenir tête aux Dragons réunis, mais même s'il y arrivait, il n'aurait aucun moyen de ressortir seul et de rejoindre le Dragon Mondes. Il était dans tous les cas trop risqué de mentir au Dragon Doré ou d'essayer de gagner du temps, alors il répondit, en posant la main sur sa lance cachée dans son dos sous sa cape.
- Je suis Fêrka, l'Héritier des Dragons. Fêrka Rakom His.

Les yeux du Dragon Doré s'ouvrirent pour la première fois, lentement. Leur pupille était elle aussi dorée, quand l'iris se trouvait jaune pâle. Il y avait une infinie sagesse et intelligence dans ces yeux, et le plus grand des imbéciles ou des naïfs se serait vu infiniment meilleur rien qu'en les regardant. Ils étaient d'une beauté sans pareille, mais semblaient tout aussi fragiles.
- Un Rakom... Tu n'as définitivement rien à faire ici. Retourne dans ton monde et fais ce que tu as à y faire. Remplis ta mission sans attendre et ne perds pas ton temps à te balader.
- « Un » Rakom ? Interrogea Fêrka en relâchant son arme, la prononciation de son titre ayant eu l'effet inverse de ce qu'il pensait. En existerait-il plusieurs ?
- Chaque monde possède son Rakom. Chargé d'une mission qu'il devra un jour remplir. La même mission pour chacun. Je ne savais même pas jusqu'à ce jour si cela était bien vrai. Tu es le premier semi-dragon que je vois de mes yeux. Que tu ne te souviennes pas comment accomplir ta mission est assez amusant.
- Alors dis-le moi... Dis-moi comment réveiller le Dragon Harmonieux ! Comment sauver les âmes de mes frères ?
- Ne cherche pas le Dragon Harmonieux : c'est lui qui viendra à toi. Retourne dans ton monde et fais ce que tu as à y faire. Moins tu en sauras et mieux tu te porteras.
- Tu ne fais que me répéter cela. Mais comment puis-je savoir ce que j'ai à faire dans mon monde si tu refuses de me le dire ?
Le Dragon Doré referma alors les yeux, et dit simplement :
- Rentre chez toi. Ce monde n'est pas le tien et tu n'as rien à y faire. Mes frères se moquent que tu sois Rakom ou pas, je te conseille de suivre Zârka avant que leur patience n'atteigne ses limites.

Quand un Dragon décidait qu'une conversation était terminée, plus rien ne pouvait le faire parler. Il en avait déjà été ainsi pour le Dragon de Feu dans la Montagne Rouge et pour l'Héritier des Dragons lui-même face à Gîsca et Ryûjka au sujet du sort de Varanne. Fêrka se retourna alors et vit que le Dragon qui l'avait amené dans la caverne était revenu, et l'attendait là où il l'avait déposé. A contrecœur, l'Héritier des Dragons le rejoignit donc tout de même, mais alors que Zârka le ramenait aux côtés de Ethan et de la grive, une idée germa dans la tête du Maître d'Esgaroth. Il restait encore un être en East-Nagach qui pourrait répondre à ses questions. Pendant qu'il volait à dos de Dragon, Fêrka se concentra et tenta de ressentir les âmes des Dragons environnants. Il y en avait des centaines. Celles tournoyants autour de la montagne étaient difficilement différentiables, tout comme celles à l'intérieur de la montagne. L'Héritier des Dragons s'aperçut d'ailleurs qu'elle en était emplie, tout comme le sous-sol du canyon. D'innombrables galeries et cavernes devaient être creusées dans la montagne et sous le désert aride. Il n'en avait vu qu'une infime partie. De toutes ces âmes, l'une brillait de mille feux : celle du Dragon Doré. Une autre était reconnaissable car en retrait et très abîmée : celle du Dragon Mondes. En se concentrant davantage cependant, Fêrka était persuadé de pouvoir en reconnaître une autre. Cela lui coûta de l'énergie pendant qu'il devait se cramponner aux écailles de sa monture, mais une incroyable satisfaction l'envahit quand il réussit. Il avait repéré le Rakom d'East-Nagach.


 
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DeletedUser25151

Guest
Face à un artiste comme toi, voici le mot qui me vient. MERCI, un simple mot certes mais qui dit tout.
 

DeletedUser15083

Guest
Sublime ! Cette histoire devient de plus en plus palpitante !! J'ai hâte de voir la suite !! Et je suis totalement d'accord avec Konyx, le seul mot que nous puissions utiliser est celui-là: Merci, pour ton travail, pour ce récit qui nous fait rêver, merci !
 

DeletedUser13249

Guest
Merci pour tous ces compliments :)

Pour des raisons diverses et variées par contre, je vais bientôt arrêter la publication des chapitres sur le forum. Je mettrai quand même le Chapitre 14 d'ici fin août (j'ai surtout travaillé ces derniers temps à refaire les premiers chapitres, avec plus de personnages, de descriptions, d'actions annexes et surtout la suppression de quelques incohérences ^^), mais il se terminera aussi en grand suspense, avec une rencontre mouvementée avec le Rakom d'East-Nagach ^^. Il restera au moins une dizaine de chapitres à venir, et si vous voulez que je vous les fasse lire au fur et à mesure qu'ils seront écrits, vous pouvez tout de même m'envoyer un Message Privé pour que je vous les transmette :)

Plus que jamais, tout commentaire, toute critique et tout conseil sont les bienvenues sur chacun des chapitres, sur l'histoire globale, ou sur certaines phrases mal tournées.
 
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DeletedUser15083

Guest
Merci pour tout ce que tu fais (oui je sais je me répète ^^), et encore plus pour nous permettre de suivre ton histoire sur le forum, ou pas !
J'aimerais beaucoup continuer à suivre cette aventure si tu le permets :o j'ai vraiment envie de découvrir la suite !! :D
 

DeletedUser13249

Guest
SOMMAIRE

Chapitre 14 : Les Voyages du Dragon Mondes - East-Nagach (2/2)

« Tu sais où tu vas au moins ? »

La voix étouffée du Dragon Mondes provenait de l'extérieur de la poche de Fêrka où était pelotonnée la grive.
Le Rakom de ce monde se trouve à une centaine de mètres au-dessous de nous. Il n'y a plus qu'à trouver un moyen de le rejoindre, répondit la voix plus proche du Dragon Héritier.
Cool... Par contre j'ai oublié mon marteau-piqueur dans mon autre toge, donc si on pouvait trouver un autre moyen que creuser dans le désert pour descendre ce serait pas plus mal...

La grive s'ennuyait, ballottée depuis plusieurs dizaines de minutes dans l'intérieur du vêtement ample de Fêrka. Dès le départ, elle avait été persuadée que son maître allait perdre son temps à vouloir rencontrer son homologue d'East-Nagach. Le Dragon Doré lui avait bien refusé toute aide et même ordonné de rejoindre Greifental au plus vite. Cependant elle n'avait pas rôle de conseillère auprès de son ami et de toute façon elle ne pouvait émettre aucun son sans être aussitôt repérée par tous les Dragons qui volaient non loin autour de la montagne. Elle ne pouvait donc qu'écouter les conversations de ces deux-là et espérer qu'ils trouvent au plus vite ce qu'ils cherchaient car ce n'était pas dans l'habitude du Dragon Héritier d'abandonner ce qu'il entreprenait.
- Bon allez ça fait dix fois qu'on fait le tour de ce rocher... Avoue que tu es perdu ! S'impatientait Ethan.
- Je ne suis pas « perdu » mais son âme est juste sous nos pieds, tu ne la sens pas ?
- Je te rappelle qu'il n'y a que toi qui sache repérer les âmes des Dragons... Et c'est bien joli d'avoir un radar à Dragons intégré mais si ça te donne pas le chemin pour aller lui serrer la patte ça sert pas à grand chose. T'as pas la fonction GPS en prime ?

Comme souvent, la grive et Fêrka ne comprenait pas beaucoup de mots employés par le Dragon Mondes, mais ils comprenaient tout de même l'idée générale. Cela faisait un long moment qu'ils tournaient dans une zone aride proche de la montagne des Dragons et ils ne semblaient pas s'approcher du but. Soudain les bruits de pas d'Ethan ne se firent plus entendre et la grive fut soulagée dans sa poche sombre qui ne faisait que tressauter quand le Dragon Héritier s'arrêta à son tour.
- Attends j'en peux plus sous cette chaleur, il me faut une pause.
- C'est parti pour la pause... Soupira Fêrka.

Il sortit la grive de sous sa tunique et la posa sur son épaule avant de s'asseoir aux côtés du Dragon Mondes, essoufflé, en sueur, et déjà adossé à un rocher pourpre. Après quelques secondes de silence, il commençait à retrouver sa respiration et interrogea :
- Tu la mettrais où toi l'entrée de la grotte si c'était la tienne ?
- C'est bien ça le problème : la plupart des Dragons aurait creusé un trou dans cet immense rocher dont on a fait plusieurs fois le tour. Mais j'ai eu beau chercher je n'y ai vu aucune ouverture.
- La plupart des Dragons, tu dis ? C'est pas la grotte de la plupart des Dragons qu'on cherche. Donc toi – vraiment toi – tu la mettrais où l'entrée ?

Fêrka se leva en faisant signe de la main à la grive de ne pas bouger. Ils étaient à l'ombre, elle ne risquait donc rien. La réflexion du Dragon était tout à fait pertinente. Comment avait-il pu autant faire fausse route ? Il observa alors tout autour de lui, d'un nouvel œil. Il s'approcha des hautes murailles de pierre qui l'entouraient, y posa la main, en approcha le visage, les examina de très près, s'accroupit pour observer le sol rocailleux sous leurs pieds en en attrapant une poignée et en faisant rouler entre ses doigts les grains puis, enfin, il se redressa et leva les yeux vers le ciel bleu ensoleillé.
- Le plus discrètement possible, chuchota-t-il à son épaule, sans faire le moindre bruit, peux-tu aller voir comment souffle le vent ?

La grive s'exécuta et ne fit qu'un rapide aller-retour entre les deux semi-dragons et le ciel. Une fois revenue à terre, elle plana légèrement pour s'éloigner de Fêrka, se retourna d'un mouvement sec de ses ailes, puis vint se poser à nouveau sur l'épaule de l'Héritier des Dragons en décrivant un large arc de cercle. Cet arc décrivait le mouvement du vent au-dessus d'eux. Son maître commença alors à marcher rapidement, se faufilant entre les blocs rocheux et en escaladant certains, tout en parlant à Ethan qui râla avant de se lancer à sa suite.
- La grande majorité des Dragons ne possède qu'une grotte avec une unique entrée. D'autres, plus rares, possèdent plusieurs antres. Et encore d'autres, une poignée seulement, aiment avoir plusieurs moyens différents de rejoindre leur demeure.

Depuis la Bataille d'Esgaroth, Fêrka avait quelque peu changé et acceptait plus volontiers de discuter. Cela le rendait moins froid, et le Dragon Mondes préférait largement sa compagnie ce jour qu'à la période où ils avaient voyagé ensemble en Fel Dranghyr. Le Dragon Héritier continuait de parler en marchant à vive allure*:
- Personnellement j'aime avoir trois entrées. La première doit suivre les courants des vents pour être rapidement accessible, mais uniquement par des êtres sachant voler, et être un passage extrêmement étroit pour ne pouvoir être emprunté que par un Dragon le connaissant parfaitement. Ce passage nous demanderait certainement autant de temps et d'effort que cela nous a coûté d'atteindre le sommet de la Montagne Rouge. Le deuxième accès doit pouvoir être rejoint sans être vu de quiconque, quitte à se trouver loin de la grotte même et être fatiguant et long à traverser. Il doit se trouver de l'autre côté de la montagne. Enfin, le troisième chemin doit être une entrée et une issue de secours : il doit être court, empruntable sans voler en cas de blessures aux ailes, mais surtout être invisible pour n'importe qui n'en connaissant pas l'emplacement.... Et le voilà !

L'Héritier des Dragons s'était arrêté à deux mètres d'un mur de pierre haut de plus de neuf mètres et s'étendant à perte de vue en largeur. Pas la moindre ouverture ni fissure ne semblait percer ce roc.
- C'est bien joli tout ça, fit Ethan, mais on entre comment ?

Pour répondre à son compagnon, Fêrka avança simplement vers la roche... et la traversa, laissant le Dragon Mondes bouche bée. Ce dernier avait l'impression de voir le Maître d'Esgaroth encastré dans le mur de pierre. Il le suivit tout de même et traversa à son tour la paroi, les mains en avant tâtonnant dans le vide quand elles auraient dû rencontrer la pierre.
- Prodigieux ! S'exclama-t-il. C'est un trompe-l’œil !
- Bien plus impressionnant que tous les explosifs, marteaux-piqueurs et GPS primitifs, n'est-ce pas*? Dit sérieusement Fêrka avec un large sourire sur le visage.

Le couloir rocailleux descendait en pente douce. Il était large et haut de plusieurs mètres, assez glissant sous les minuscules pieds d'hommes qui roulaient sur une épaisse couche de gravillons. Très rapidement, la pénombre envahit le passage et le Dragon Héritier se maudit une nouvelle fois de ne pas avoir pensé à apporter une torche. Ethan le rassura cependant et sortit de sous sa toge un étrange appareil cylindrique émettant une large lumière blanche. C'était un éclairage atypique pour Fêrka, mais il dut admettre qu'après s'y être habitué, il voyait parfaitement à plusieurs mètres alentours dans la grotte.

Quelques kilomètres plus loin, après plusieurs virages leur faisant faire des détours mais permettant de s'enfoncer progressivement dans les profondeurs, le chemin s'ouvrit et les deux semi-dragons n'en voyaient plus les parois.
« Alors il est censé être où ? »
« Je ne sais pas trop, je le sens quelques mètres sous nous. Il y a peut-être une autre grotte plus bas, il faudrait en trouver l'entrée. »
Fêrka et Ethan se trouvaient alors au beau milieu d'une énorme cavité d'une centaine de mètres de diamètres dont ils n'apercevaient pas les bords. Ils marchaient difficilement sur un tas de pièces d'or épais recouvrant totalement le sol non-visible.
« OK, je m'approche du bout de la caverne pour voir s'il y a une ouverture. »
Ethan braqua sa lampe torche sur les parois environnantes en s'en approchant, non sans glisser à plusieurs reprises sous les pièces roulantes et tintantes. Le Dragon maître de ces lieux avaient dû piller les richesses de mille rois pour que son trésor soit aussi conséquent.

D'ailleurs, à quelques mètres sous les pieds des deux semi-dragons, un Dragon dormait. Il fut réveillé par des bruits étouffés au-dessus de lui. Impossible d'entendre clairement les paroles prononcées mais il était certain qu'il s'agissait là d'hommes : leur odeur pestilentielle lui parvenait déjà. Nul doute qu'elle était en train d'envahir toute sa demeure. Il donna quelques coups de pattes arrières pour se faufiler au milieu de son Trésor. L'or sous toutes ses formes : pièces, coupes incrustées de rubis, couronnes d'anciens rois déchus, cliquetait contre sa gueule allongée fermée, ses longues ailes repliées, et ses écailles profilées. Il avait l'habitude de nager littéralement dans cet amas luxuriant. Quand il se trouva à l'endroit voulu, il remonta et ne sortit que le haut de sa tête de son originale piscine, avant d'ouvrir les paupières pour observer le dos des intrus.

« Tu as entendu ? »
Ethan se retourna vers l'immense œil et une lumière perçante éblouie le Dragon, le faisant hurler de douleur et sortir entièrement de l'amas d'or dans un fracas. Le Dragon Mondes avait voulu éclairer les arrières du Dragon Héritier, et il venait de causer la colère du Dragon propriétaire de l'antre. En déployant ses ailes, le Rakom d'East-Nagach projeta une partie de son trésor dans toute la grotte, laissant un large trou là où il se cachait. Il volait désormais sur place au-dessus du cratère, ses cris raisonnants assourdissant les deux hommes et sa gueule crachant en continu des flammes de haine vers le sommet. C'était là un Dragon très atypique, dont le corps était fin et allongé, tel un énorme serpent auquel on n'aurait uniquement rajouté deux grandes ailes et deux pattes arrières. Les flammes rencontrèrent la paroi supérieure et commencèrent à s'étaler du plafond jusque la base de l'antre en en suivant les contours intérieurs. Tout s'en trouvait éclairé et des centaines d'ombres du Dragon apparaissaient sur le sol, ne faisant qu'ajouter à la majestuosité du moment. Les toiles d'araignées carbonisèrent, créant des filets incandescents qui traversaient la grotte de part en part. Après quelques secondes le Dragon cessa de cracher et disparut derrière les flammes à une vitesse impressionnantes dans un mouvement fluide, rejoignant probablement une des ouvertures qui entouraient son antre.

Un lourd silence tomba, uniquement brisé par le crépitement du feu qui n'avait pas encore disparu et qui avait créé des braises sur certaines zones des parois intérieures. Fêrka et Ethan retrouvèrent peu à peu leurs esprits.
- C'est lui ? Interrogea le Dragon Mondes.
- C'est lui.
- Bon la bonne nouvelle c'est qu'on l'a trouvé, la mauvaise c'est qu'il est déjà parti et qu'on n'a pas eu le temps de lui taper la discut'...
La mauvaise nouvelle est bien pire que ça...

Comme pour valider les paroles de Fêrka, une voix gutturale puissante raisonna dans toute la caverne :
- Fous que vous êtes, hommes ! Par votre inconscience et votre cupidité, vous ne gagnerez aucune fortune mais une mort lente, Ô combien douloureuse. Vous torturer sera un plaisir incommensurable...
- Ne t'y trompes pas, Rakom ! Hûrla Fêrka en scrutant toute la grotte, ton trésor ne nous importe...

La fin de la phrase fut couverte par le sifflement de l'air sous les ailes du Dragon, et soudainement le Rakom d'East-Nagach réapparu dans la grotte et fonça sur les deux semi-dragons. Le Dragon Héritier eut juste le temps de se décaler pour éviter d'être touché, mais le Dragon Mondes n'eut pas autant de réflexes et fut projeter à quelques mètres contre le mur de la grotte, retombant lourdement. L'attaquant se retourna alors et se posa juste en face de Fêrka, les ailes déployées et dans l'instant qui suivit, tenta d'attraper de sa gueule le Maître d'Esgaroth. La rapidité de celui-ci le sauva une nouvelle fois, mais il ne put totalement esquiver le coup de queue que lança dans la foulée son assaillant, le recevant dans les jambes au moment où il sautait. Fêrka s'écroula la tête la première sur le sol instable. La lourde queue manqua de s'abattre ensuite sur le corps allongé du semi-dragon qui roula sur lui-même pour la voir s'abattre à quelques centimètres de lui dans un bruit métallique, faisant voler des pièces d'or tout autour. Le Dragon Héritier en profita pour grimper sur la queue puis sur le dos du Rakom d'East-Nagach, qui n'attendit pas une seconde pour se projeter en arrière avec force contre la paroi de son antre. Ce coup aurait suffi à assommer n'importe quel homme, mais à la surprise du Dragon la fourmi entre ses deux ailes se cramponnait toujours. Il allait reproduire la même opération quand la grive sortit de sous la veste du Maître d'Esgaroth et attira l'attention du Rakom d'East-Nagach en volant juste sous ses yeux.

Fêrka profita de cette demi-seconde de répit pour grimper encore plus haut, enrouler son bras gauche autour de la fine tête du Dragon et décocher un puissant coup de poing dans le grand œil ouvert. Son propriétaire rugit de douleur, battit des ailes dans tous les sens, se contorsionna, vrilla, tourbillonna jusqu'à faire lâcher prise le Dragon Héritier qui retomba à une dizaine de mètres d'Ethan.

A l'autre bout de la grotte, le Rakom d'East-Nagach se posa et observa attentivement les deux hommes. Ils étaient bien plus dangereux que tout ceux qu'il avait pu croisé. Jouer avec eux pourrait se retourner contre lui et il était plus prudent d'en finir rapidement. Son œil blessé le faisait terriblement souffrir, le responsable de cet affront serait le premier à périr. Les deux hommes semblaient à bout de force et ils ne pourraient pas échapper à sa prochaine attaque.

Après avoir été décramponné du Dragon, Fêrka se releva endolori. Voûté, les bras ballants, ses jambes le portaient à peine. Il ne put qu'observer impuissant le Dragon prendre une grosse inspiration et cracher des flammes tourbillonnantes dans sa direction. Elles s'approchaient à une vitesse fulgurante, il en sentait déjà la chaleur mortuaire, mais ses membres ne répondaient plus, et il ne pouvait que regarder dans les yeux la masse rouge mouvante mettre fin à son destin. Il aurait dû être brûlé vif à cet instant, mais un miracle se produisit. En tout cas il le vit comme tel. Au moment où sa fin aurait dû sonner, il sentit quelque chose se refermer sur son bras. Son estomac se souleva, son corps fut malaxé, sa vue se brouilla, et à l'instant suivant, au lieu de voir les flammes s'approcher inexorablement de face, il les vit de côté s'écraser contre le mur de la grotte à sa gauche. La main d'Ethan sur son bras lâcha prise, et celui-ci s'écroula, inconscient. Il venait de lui sauver la vie en le téléportant in extremis dans un autre recoin de la grotte, utilisant ses dernières forces.

Rien de la scène n'avait échappé au Dragon qui voulait leur mort rapide quelques instants auparavant. D'un mouvement d'ailes, il s'éleva et vint se poser à deux pas des deux hommes à terre, épuisés.
- Qui es-tu ? Rugit-il.
- Je suis... commença Fêrka après s'être relevé, mais un coup d'aile le rejeta au sol et l'empêcha de se présenter.
- Pas toi ! Qui es-tu ? Répéta-t-il en prenant dans ses griffes la tête du Dragon Mondes et en le soulevant pour l'amener face à sa son œil encore en bon état, comme si le regarder de près allait lui donner la réponse à sa question.

En d'autres circonstances, le Dragon Héritier aurait été vexé d'être considéré comme un être insignifiant. A cet instant cependant, il était uniquement intrigué par l'importance que le Rakom donnait à Ethan.
- Un seul être au monde... non ! Un seul être dans tous les mondes devrait être capable de faire ce que tu as fait. Que fais-tu ici ? Et dans cette enveloppe nauséabonde*?
- Il est inconscient, précisa Fêrka en se relevant à l'aide du mur de la grotte, boitillant. Nous ne sommes pas humains Rakom... Nous sommes des Dragons, ou plutôt des semi-dragons comme vous les appelez.
- Impossible ! Vous ne pouvez pas être semi-dragons alors que moi ai toujours mon corps originel ! A moins...

La pupille du Rakom se rétracta alors qu'il observait le Dragon Mondes. Après quelques instants, il le déposa délicatement sur le sol, et se tourna vars le Dragon Héritier.
A moins que que vous ne veniez d'un autre monde...
- Greifental. Il semble que tu ais reconnu le Dragon Mondes. Je suis le Rakom de Greifental. Comment n'as-tu pu voir nos âmes plus tôt ?

L'aura de haine et d'envie de destruction s'envolait progressivement autour du Dragon :
- C'est donc vrai ? Tu peux sentir les âmes des Dragons ?
- En effet, répondit Fêrka, surpris. Ce n'est pas ton cas ?
- Nous sommes très particuliers, nous, les Rakom. Précisément les seuls à voir nos capacités décuplées en tant que semi-dragons. C'est en tout cas ce qui se raconte, jamais je n'aurais imaginé le voir de mes yeux ! A cet instant je ne suis qu'un Dragon atypique, enfermé dans une grotte quand les autres jouent leurs jeux stupides autour de la montagne, attendant les ordres « sacrés » de leur Dragon Doré Adoré. Pas d'âmes à l'horizon, pas de mots à dire sur ce que font les Dragons, juste ma petite grotte à remplir progressivement – ce qui amuse assez les autres d'ailleurs – et la possibilité de parler à tous les autres animaux. Toi, par contre ! Qu'est-ce que ça fait d'être enfin le chef ? D'enfin pouvoir donner des ordres à ceux qui te moquaient autrefois ?

Fêrka était gêné par la soif de pouvoir du Rakom d'East-Nagach. Pour lui, ses responsabilités étaient un fardeau incroyable, il les aurait volontiers offerts à qui en aurait voulu. Pourtant leurs âmes étaient identiques, il ne s'était jamais intéressé à la sienne mais il ne pouvait qu'admettre qu'observer l'âme du Dragon en face de lui était comme se regarder dans un miroir, et cette âme était sombre, pleine de cupidité, d'envies de pouvoir, de haine, d'égoïsme... Lui aussi était-il réellement cela*? Ou était-il cela avant de devenir semi-dragon ?
- Je ne donne pas d'ordres. Beaucoup de Dragons font le choix de ne pas me suivre, et je respecte ce choix. Si je suis chef, ce n'est que de ceux qui ont confiance en moi, mais ce sont des compagnons, ils ne me sont pas inférieurs.
- Ta voix porte, j'en suis certain. Tu es écouté et tu pourrais leur demander n'importe quoi. Tu es en train de réaliser le rêve de tout Dragon, et c'est un plaisir de t'avoir en face de moi ! Tu n'imagines pas ce que je donnerais pour enfin prendre les rennes et clouer le bec du Dragon Doré Adoré. Vois ce qu'ils font de ceux qui ne sont pas de leur avis : il les enferme dans des cages ! Tu dois pouvoir sentir l'âme d'un Dragon enfermé à quelques kilomètres en direction de la montagne, sous terre comme nous en ce moment.

D’innombrables âmes les entouraient en réalité, mais Fêrka reconnut assez vite le Dragon dont parlait le Rakom. Cette âme il ne la connaissait que trop bien, elle aussi connaissait sa jumelle en Greifental. Pleine de tristesse, de souffrances et d'envie de destruction en même temps.
- Qu'a-t-il fait pour mériter ce sort ? Interrogea le Dragon Héritier.
- Il a osé contredire le Tonuigenj, proposer une autre direction, et ça ça ne plaît pas au grand chef et à ses lieutenants. Mais que faites-vous ici ? Vous êtes fous de vous être présentés devant moi de cette façon ! Qui sait ce qu'il serait advenu de vos âmes – de mon âme – si vous aviez péri sous mes flammes !
- Je suis ici pour une raison bien précise. Je dois réveiller le Dragon Harmonieux mais n'ai pas la moindre idée de comment m'y prendre. Le Dragon Doré a refusé de me dire quoi que ce soit.

Le Rakom d'East-Nagach mit du temps à répondre, observant attentivement Fêrka d'un regard que celui-ci n'arrivait pas à déchiffrer. Ils avaient beau posséder la même âme, le Dragon Héritier se sentait totalement différent de son interlocuteur, et ne lui accordait même aucune confiance. Il avait pensé qu'une complicité s'installerait naturellement entre les deux, mais si lui avait senti la différence qu'il y avait entre eux, il y avait fort à parier que son homologue aussi. L'opposer au Dragon Doré qu'il semblait tant mépriser et dont il convoitait la place devait sûrement être un très bon moyen de l'amener à dire ce que le Maître d'Esgaroth voulait savoir.
- Réveille le Dragon Harmonieux, et tout ce que tu possèdes, tout ce que tu as construit disparaîtra. Réveiller le Dragon Harmonieux signifie perdre ta place parmi les Dragons. Personne ne ferait ça, et c'est bien pour cette raison que le Tonuigenj ne t'a rien dit ! Tu as perdu une bonne partie de ta mémoire en devenant semi-dragon, et tu ne t'en rends pas compte, mais ne compte pas sur moi pour te dire comment détruire tout ce que tu as.

Fêrka était totalement déconcerté. Il venait de risquer sa vie pour obtenir des réponses mais même le Rakom ne semblait vouloir lui en apporter. D'après lui le Dragon Doré refusait de lui en donner pour qu'il n'échappe pas à son destin, et dans le même temps lui ne voulait pas répondre pour l'empêcher d'accomplir la mission que lui avait donné les autres Dragons dans son rêve. Soit l'un des deux mentait, soit quelque chose échappait encore au Dragon Héritier. Son voyage en East-Nagach lui amenait plus de questions encore et n'en résolvait aucune. Alors qu'Ethan commençait à se réveiller, toujours très mal en point, Fêrka tenta d'obtenir une dernière explication :
- Que se passera-t-il quand le Dragon Harmonieux se réveillera ?
- Comme je te l'ai dit : tu perdras tout. Il n'y a rien de plus à savoir.

Déçu de sa rencontre avec son homologue, le Maître d'Esgaroth l'ignora à partir de cet instant. Il se résigna au fait qu'il n'en tirerait rien et aida le Dragon Mondes à se relever, plaçant le bras de son ami autour de son coup.
- Tu vas réussir à nous ramener ?
- Je ne tiens plus debout... Répondit Ethan dans un murmure. Ça va me demander un peu de temps mais ça va aller...

La grive, qui avait volé dans la grotte tout au long de la discussion, vint se poser sur l'épaule du Dragon Héritier quand il lui fit signe. Une fois fait, le Dragon Mondes se concentra, et après quelques secondes, les téléporta dans la vaste pièce principale du Sanctuaire des Dragons de Greifental. Juste avant que son corps soit remué et déformé par le voyage, Fêrka sentit un courant d'air frôler sa joue droite. Une fois à destination, il ouvrit sa main droite devant lui pour récupérer la grive qui tombait toujours de son épaule après les déplacements du Dragon Mondes, mais rien n'y atterrit. Il tourna la tête vers son épaule, mais la grive n'y était plus. Une affreuse impression l'envahit, il allongea sur le sol Ethan et cria tout en le secouant :
- Ethan ! Réveille-toi ! Ethan on doit y retourner ! Tout de suite !

Mais le Dragon Mondes avait une nouvelle fois perdu connaissance, et pour de longues semaines en raison du nombre de téléportations qu'il avait dû effectuées en état de grande faiblesse. La voix de Fêrka résonnait dans le Sanctuaire.

 

DeletedUser15083

Guest
Intéressant... A mesure que l'histoire continue, elle en devient de plus en plus mystérieuse et palpitante... J'ai l'impression d'avoir encore plus hâte de lire la suite ! ^^
 

DeletedUser22512

Guest
Merci votre histoire me fait dormir très vite. Excellent médicament contre l'insomnie.
 

DeletedUser20908

Guest
Bonjour,

Je procède à la fermeture et à l'archivage du sujet pour inactivité.
Je reste disponible pour une éventuelle ré-ouverture :)

Bonne journée,
Ange.
 
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N'est pas ouverte pour d'autres réponses.
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