La légende d'Allarion
Chapitre 16: Le récit de Lauvuelle - Partie I
« Moi, Lauvuelle d'Allarion, j'écris ces pages afin que la vérité perdure après ma mort, afin que les connaissances, s'érodant et s'effaçant au fil des siècles, renaissent de leurs cendres et afin que les générations suivantes ne fassent pas les mêmes erreurs que moi. Je ferais en sorte que seule une personne de ma lignée, guidée par l'héritage de mes pouvoirs, soit capable de lire cet ouvrage qui relate les causes et conséquences de cette terrible guerre opposant les chevaux ailés, symboles d'Allarion, et les dragons, assaillants avides et cupides. Si cette guerre est aussi atroce et dévastatrice dans les deux camps, il est encore plus terrible de constater que cette guerre du ciel est avant tout une guerre des hommes. ».
La crainte …
La tension …
L'angoisse …
Ces trois sentiments furent omniprésents durant la journée. Autant chez les hommes d'équipages que chez les membres de notre groupe. Nous avions passé de nombreuses heures à scruter l'horizon, cherchant la moindre forme pouvant ressembler à un navire Astarioth. Après les dégâts que nous avions causés lors de notre précédent passage dans la capitale, il aurait été logique qu'ils tentent de nous rattraper pour se venger. Mais il n'en fut rien et le soulagement avait maintenant pris place dans le cœur des personnes présentes sur la Perle d'Istermund. Istermund était une région très au Sud, remplis de zones désertique, connu pour leur sable de grande qualité et le verre qu'ils façonnent et dont le capitaine Yoleth et ses hommes étaient originaires.
La nuit était tombée. Afin de rester invisible aux yeux d'éventuels poursuivants, Langel et le capitaine avaient décidé qu'aucune lumière ne devait éclairer le pont. Le ciel couvert aidant, cela nous garantissait une nuit tranquille, sans crainte de se faire attaquer. J'étais descendu dans nos quartiers pendant que mes compagnons finissaient de préparer le bateau pour la nuit. Toute la journée, j'avais attendu avec impatience le moment où je pourrais étudier de plus près ce livre qui s'était métamorphosé sous mes yeux. « La légende d'Allarion » … il ne pouvait plus s'agir de simples coïncidences. Appelons cela la providence, la volonté de Lauvuelle ou la magie, il était clair que j'avais plus qu'un simple rôle à jouer et que les destinées d'Allarion et de la mienne étaient étroitement liées.
J'avais pris le livre en main. Sa couverture souple irradiait à présent de la magie de Lauvuelle. S'il était difficile de juger un dessin, j'aurais cependant juré que le cheval ailé représenté sur l'ouvrage était celui que j'avais aperçu en rêve aux cotés de Lauvuelle. J'ouvris délicatement le livre. Il était étrange de voir à quel point la magie avait réussi à le préserver des ravages du temps. Il ne semblait pas abîmé, pas le moins du monde jauni ou décoloré. Il était neuf, comme si une protection l'avait entouré à l'instant même où il fut conçu. Je fus d'autant plus surpris lorsque je m'attardai sur ce qui était écris sur la première page. Les phrases, les mots, les lettres … aucuns de ces symboles ne m'était familier. Mais, par une force que je ne m'expliquais pas, je comprenais leur signification. J'arrivais à lire cette langue sans effort ni réflexion. Les lettres et les mots se transformaient dans mon esprit au fur et à mesure que mes yeux parcouraient le texte. Je fus arraché à ma contemplation et à mon étonnement par l'arrivé de mes compagnons, Erya en tête.
« Alors, tu as trouvé quelque chose sur ce fameux livre ? », Me demanda-t-elle précipitamment et l'air surexcité.
« Doucement Erya, », Intervient Langel. « Laisses nous le temps d'arriver et de nous installer, histoire que tout le monde entende ce que ce livre peut nous apprendre. »
Une fois que tous mes compagnons furent confortablement assis autour de la table présente dans nos quartiers, je pris la parole.
« Tout d'abord, est-ce que quelqu'un sait lire ce langage ? », Leur demandai-je en passant derrière chaque personne pour leur montrer les lignes inscrites sur le livre. Seule Erya et Shaeba semblèrent en reconnaître quelques-uns.
« On dirait un vieux langage, antérieur à la création du royaume de Bordheom. Je crois reconnaître certains symboles, mais je ne saurais pas les traduire. », M'expliqua Shaeba.
« C'est pareil pour moi », Enchaîna Erya, un peu déçu. « Je sais que c'est un ancien dialecte de notre peuple ayant disparu au fil du temps. Je suis souvent tombé sur ce genre d'écrit en faisant des recherches dans la bibliothèque d'Allarion, mais sans quelqu'un pour traduire, je ne m'y suis pas trop intéressée. »
« Tu veux dire qu'aucun d'entre nous ne peut déchiffrer ce manuscrit ? Il peut contenir d'importantes informations. Nous n'allons quand même pas attendre de retourner à Allarion pour que quelqu'un le traduise, n'est-ce pas ? », S'emporta légèrement Vascor.
« Et que voudrais tu faire ? Abandonner Elia, notre quête ainsi que tout espoir de préserver Allarion et son peuple ? Le problème est le même que pour Meïllir. Si nous voulons le protéger ainsi que ce livre et les secrets qu'il contient, nous devons continuer notre chemin vers notre Princesse. », Lui-répondit Lesage.
Alors que je m'amusais à les voir se chamailler, je croisai le regard de Langel. Et je fus quelque peu surpris de voir dans ses yeux la même lueur de joie et de gaieté qui parcouraient les miens. Je voyais bien qu'il était content d'être ici, en notre compagnie, et que pour une fois, nous n'avions ni ennemi, ni monstre à nos trousses, pas de marche forcée ni de course effréné à effectuer. Il était tout simplement heureux … et je me rendis compte rapidement qu'il avait compris mon petit manège.
« Mais si ce n'est pas pour nous apprendre quelque chose d'essentiel, pourquoi est-ce qu'il nous apparaît maintenant, ce bouquin ? », Persista Vascor.
« Je n'en sais rien, mais ce n'est pas une raison pour tout envoyer en l'air et foncer tête baisser jusqu'à la cité. », Continua Lesage.
Alors que les deux inséparables allaient repartir sur une joute verbale devant les regards amusés de leurs compagnons, j'intervins.
« Messieurs, loin de moi l'idée d'interrompre votre discussion endiablée, mais j'ai une solution pour vous. Je pourrais vous lire ce livre. »
Sept paires d'yeux se tournèrent vers moi, seule celle de Langel se sembla pas étonnée.
« Tu … tu peux lire ces symboles? », me demanda Erya, balbutiante.
« Non seulement il n'a plus été parlé ou écrit depuis plusieurs millénaires, mais c'est également un langage qui provient d'une contrée qui t'était encore inconnu il n'y a pas si longtemps. Comment pourrais-tu le comprendre ? », Enchaîna Sheaba.
« Par magie, n'est-ce pas ?», Intervint Langel avant que je ne réponde. « Tout est lié à la magie ces temps-ci. Pourquoi est-ce que cela changerait maintenant ? », ajouta-il en me lançant un clin d’œil.
« Je ne peux l'affirmer, mais c'est effectivement ce que je pense. Je ne connais aucun de ces signes étranges qui sont dessinés sur ce livre, mais je comprends leur signification. »
« Et un pouvoir de plus à ajouter à ta panoplie. Après les soins miraculeux, les combats entourés de flammes bleues, la détection de cheval ailé en détresse et la rénovation express de vieux livres, voilà maintenant que tu possèdes la lecture instantanée d'écriture ancienne. Tes pouvoirs ne cessent de m’impressionner. », Déclara Vascor, faisant sourire toute l'assemblé.
Si la remarque était teintée d'humour, elle ne pouvait cependant pas être plus vraie. Depuis que le médaillon s'était retrouvé en ma possession, je découvrais jour après jour l'étendue de la puissance qu'il recelait et les possibilités qu'il offrait. Et au vu des événements qui s'enchaînait, je ne pouvais m’empêcher de penser qu'il n'y avait pas de hasard dans tout cela, que tout était organisé par quelqu'un ou quelque chose.
« Je pense que nous tous ici aimerions connaître les informations contenues dans ce livre. », dit Baurom de sa voix grave et posée.
Je fus une nouvelle fois le centre d'attention, avec cette fois des regards attentifs et curieux posés sur moi. J'acquiesçai, après avoir parcouru l'assistance de mes yeux. Je m'assis confortablement dans mon fauteuil, et j'ouvris le livre.
« Moi, Lauvuelle d'Allarion, j'écris ces pages afin que la vérité perdure après ma mort, afin que les connaissances, s'érodant et s'effaçant au fil des siècles, renaissent de leurs cendres et afin que les générations suivantes ne fassent pas les mêmes erreurs que moi. Je ferais en sorte que seule une personne de ma lignée, guidée par l'héritage de mes pouvoirs, soit capable de lire cet ouvrage qui relate les causes et conséquences de cette terrible guerre opposant les chevaux ailés, symboles d'Allarion, et les dragons, assaillants avides et cupides. Si cette guerre est aussi atroce et dévastatrice dans les deux camps, il est encore plus terrible de constater que cette guerre du ciel est avant tout une guerre des hommes. ».
« Une personne de ma lignée? Mais alors comment est-ce possible ? », Commença Erya avant de se faire interrompre par Lesage.
« C'est la seul chose qui te choque ? On vient quand même de tomber sur un livre ayant été rédigé selon toute vraisemblance par Lauvuelle en personne. »
« Silence tous les deux ! On débattra après. Laissons le finir ! », Leur asséna Langel avant de me faire signe de reprendre.
« An 20 avant Allarion
C'est à ce moment que tout commença. J'avais récemment fêté mes seize ans et je fus particulièrement heureuse lorsque les premiers signes d'une aptitude magique firent leur apparition. Mes professeurs ayant la même opinion que moi, ils décidèrent de m'envoyer à l'académie de magie pour suivre une formation. C'est ainsi que je quittai l'école classique pour rejoindre des cours spécialisés dans l'art et l'étude de la magie. J'y passais cinq années, durant lesquelles mes pouvoirs et ma capacité à les utiliser grandirent très rapidement. Il n'y avait que très peu de monde, élèves comme professeurs, étant capables de rivaliser avec mes pouvoirs. L'un d'entre eux, Tarïn, était mon concurrent le plus acharné. C'était un jeune garçon, deux ans de moins que moi, toujours habillé comme s'il allait rendre visite au roi et cherchant constamment à montrer qu'il était le meilleur. Si nous étions adversaire en classe, nous n'étions pas pour autant ennemi dans la vie. Disons qu'on ne se côtoyait pas tellement. Cela fut encore plus vrai lorsque nous quittâmes l'académie.
An 15 avant Allarion
Après les cinq années de formation, Tarïn et moi étions devenus des magiciens accomplis. Et comme si, l'un comme l'autre, nous ne voulions plus se retrouver concurrents, nous suivîmes des chemins différents. De mon côté, je m'employai à perfectionner mon art et à découvrir les secrets que recèle la magie. Je passais de longues heures dans la bibliothèque, lisant des manuscrits vieux comme le monde, à la recherche de mystères à éclaircir ou de nouvelles connaissances à étudier. Aux cours de ces années, je m'étais également rendu dans de nombreux lieux magiques, afin de m'imprégner de leur pouvoir, et rencontrer de nombreuses personnes, qui m'apprirent plus que je n'aurais jamais imaginé. Durant ces voyages, je fus former à de très nombreuses facultés, comme le pouvoir de soigner, la maîtrise des éléments, certaines formes de divination ou encore la magie de combat. Cette dernière fut particulièrement longue et compliqué à apprendre, car elle nécessitait de maîtriser également différents arts martiaux, tels que le combat à l'épée, à mains nues ou encore à l'arc. Ma détermination, mes facultés d'apprentissages et mes aptitudes naturelles à la magie m'ont permis d'assimiler ces compétences en à peine une décennie alors que cela aurait nécessité toute une vie pour de nombreuses personnes. Tarïn, quant à lui, entra dans l'armée, mettant ainsi ses pouvoirs au service de la guerre. Il s'y distingua à de nombreuses occasions, notamment lorsque la guerre contre les hommes venus de l'Est, les Méhiïtes, éclata. Il y vit une merveilleuse opportunité pour lui de montrer la puissance de sa magie et d'accéder au rang qu'il mérite. Il déchaîna ses pouvoirs, repoussant presque l'ennemi à lui seul et faisant preuve d'une férocité et d'une combativité à toute épreuve. J'aurais presque été fière de lui, si son but avait été tout autre.
An 10 avant Allarion
Il savait, comme de nombreuses personnes au sein du royaume, que le Roi était malade et mourant depuis quelques temps. N'ayant pas d'héritier, il reviendrait au conseil de débattre et de voter pour désigner un successeur digne de ce nom. Si cela n'est pas spécialement commun, des cas similaires s'étaient déjà déroulés dans notre histoire, et le trône revenait généralement aux personnes les plus influentes, les plus importantes ou ayant accompli de grandes choses pour notre peuple. Sachant cela, Tarïn avait travaillé à se faire des relations avec d'influentes personnes et à renforcer la sécurité de nos frontières après avoir renvoyé les envahisseurs Méhiïtes chez eux. Il s'était fait une grande renommée, il possédait de nombreux alliés politiques et peu de gens doutaient de sa nomination à la régence. Mais ce destin n'était pas pour lui.
Alors que les problèmes de succession agitaient le royaume, mon esprit était occupé à toute autre chose. Après avoir passé six mois à déchiffrer un manuscrit datant de plusieurs milliers d'années avant ma naissance et écrit par l'un des plus sages et des plus respectés magicien de l'époque, Nhimeis le Grand, j'avais pu déterminer le lieu exact d'un ancien site spirituel perdu au cœur de la montagne, dans les cavernes aux cristaux. N'étant qu'à une journée de cheval, je décidai de m'y rendre. Le lieu en question était très connu pour sa composition naturelle de cristaux bleus, mais à part la beauté de cet endroit, ces grottes ne possédaient guère de richesses. J'étais cependant très étonnée qu'il pouvait y avoir là-bas un site magique que personne depuis des années n'avaient été capable de trouver, ni même d'en envisager la possibilité.
Une fois arrivée à l'entrée des cavernes aux cristaux indiquée sur le vieux manuscrit, je ressentis tout de suite une forme de magie présente dans l'air. J'en fus d'autant plus surprise que cette sensation me vint naturellement. Je ne voyais que deux scénarios possibles et tous deux me semblaient très improbables à l'époque. Soit aucune personne sensible à la magie n'était venue en ces lieux, soit cette forme de magie réagissait d'une manière particulière avec moi. Décidant qu'il y avait effectivement matière à étudier cet endroit, je pénétrai dans la grotte, me faufilant à travers les cristaux et laissant mon cheval à l'extérieur. Le moins que je pouvais dire, c'est que l'endroit était merveilleusement beau. La lumière qui se reflétait aux entrées des grottes illuminait les lieux d'une douce lueur bleutée, éclairant suffisamment pour avancer sans encombre.
Malheureusement pour moi, le site spirituel en question n'était pas indiqué avec précision et il me fallait avancer un peu à l'aveugle dans ce labyrinthe de cristaux. Bien que j'aie pris des notes et des repères pour ne pas m'égarer, je me retrouvais vite confuse, à faire des aller-retour sans m'en rendre compte et au bout du compte, me perdre totalement. En temps normal, ma magie aurait dû me permettre de sortir de là facilement, mais pour une raison que j'ignore toujours, elle s'était retrouvée inefficace, comme bloquée ou altérée par la magie qui stagnait dans ces grottes. J'ignore combien de temps j'avais passé à parcourir les cavernes aux cristaux mais cela devait se compter en plusieurs dizaines d'heures. Alors que je commençais à désespérer, mes provisions étant bien diminuées, je reçu de l'aide …
Je m'étais posé par terre, la tête contre la roche, lorsqu'une lumière apparut au fond du tunnel. Une lumière douce, agréable, réconfortante et qui étrangement ne se répercutait pas sur les cristaux qui tapissaient les murs. Je la vis se déplacer lentement vers la gauche et disparaître derrière un pan de roche. Pris d'un regain de vitalité et d'espoir, je courus pour la rattraper. Heureusement pour moi, elle n'avançait pas très vite. Lorsque j'arrivai à sa hauteur, je pus l'admirer de plus près et je compris. La boule de lumière était en fait une Nimude, une jeune femme d'une quinzaine de centimètre qui étincelait à un mètre au-dessus du sol. Émerveillée devant une telle beauté, je ne pus qu'écarquiller les yeux sans prononcer un mot. Devant mon ébahissement, la Nimude eut un petit rire cristallin qui résonna dans la grotte et elle me fit signe de la suivre. J'obtempérai sans poser de question. Nous passâmes une ou deux heures à parcourir les cavernes jusqu'au moment où je vis la Nimude traverser un mur devant moi. Tout d'abord surprise, je compris rapidement que ce pan de mur n'était qu'une illusion. J'avais maintenant la preuve que de la magie était effectivement à l’œuvre en ces lieux. La Nimude était passé tout naturellement à travers ce mur imaginaire, mais ce n'était si évident que cela de s'avancer droit sur un mur en espérant le traverser et sans savoir ce qu'il y avait derrière. En fermant les yeux et en inspirant un grand coup, je me décidai à avancer. Il n'y eu pas de résistance, mais lorsque je rouvris les yeux, je me demandai si je n'étais pas encore dans le mur. L'obscurité autour de moi était totale, en total contradiction avec les précédents tunnels qui rayonnaient de lumière bleue, et la Nimude avait disparu. Ma magie ne fonctionnant toujours pas en ces lieux, me repérer était impossible et j'avançai très lentement, progressant en longeant l'une des parois.
Cela ne dura pas longtemps. La lumière de l'extérieur fit rapidement son apparition, éclairant un escalier qui débouchait sur l'extérieur. Alors que je posais mon pied sur la première marche, j'entendis un terrible rugissement, chargé de rage et de colère, provenant de l'extérieur. Bien qu'au cours de mes voyages, j'avais entendu et étudié de nombreux cris d'animaux, celui-ci m'était étranger. Mais il me semblait évident, à la puissance du hurlement, que la créature devait être particulièrement imposante. Alors que je gravissais l'escalier prudemment, un nouveau cri se fit entendre, moins brutal, plus mélodieux, qui me poussa sans m'en rendre compte à accélérer mon allure. Un hennissement déterminé.
Une fois le haut de l'escalier atteint, je me retrouvai à l'air libre. Le lieu dans lequel je me trouvais était très étonnant et très différent de la caverne aux cristaux. Une immense place se dressait devant moi, entouré de part et d'autre de hautes falaises abruptes. Les murs étaient sculptés à même la roche et les fresques s'étendaient à perte de vue. Il y avait de nombreuses entrées semblables à celles que j'avais utilisées, mais qui ressemblaient plus à des demeures qu'à des passages secrets. De nombreuses statues qui semblaient être faites de glace se trouvaient au milieu de la place, accompagnées ici et là de divers aménagements pratiques tels que des kiosques, des fontaines et des constructions que me faisaient penser à des jeux. Le sol de cet endroit était lui aussi très mystérieux. Entièrement lisse, taillé à certains endroits pour dessiner des formes, le terrain semblait être fait avec une matière cristalline que je ne parvenais pas à identifier. Mais plus que le lieu, c'est l'odeur que je sentis en débouchant ici. Une odeur qui contrastait énormément avec la beauté qui sautait aux yeux. Une forte odeur de soufre planait dans l'air. Et pour un endroit perdu haut dans les montagnes, la chaleur y était anormalement élevée. De nouveaux rugissements se firent entendre ainsi qu'un hennissement ressemblant à de la détresse. Alors que je cherchais la source de ces cris, une forme passa à toute allure au-dessus de moi pour aller s'écraser sur un mur non loin, faisant trembler les lieux et tomber quelques rochers. Si cette créature était allée trop vite pour que je puisse la distinguer, elle m'était à présent parfaitement visible. Il s'agissait d'un cheval ailé, le premier que je voyais. Je fus pour le moins surprise, car ce genre de créature ne se montrait que rarement à l'homme, mais je compris vite que cela n'avait pas été son intention. L'animal qui gisait au pied de la falaise était bien mal en point, possédant de nombreuses traces de combat, visibles et impressionnantes. Des griffures et des plaies recouvraient son flanc et plusieurs traces rouges et noires ressemblant à des brûlures parcouraient son corps. Ce cheval ailé était bien loin de la beauté et de la grâce naturelle qui sied à son espèce.
N'écoutant que mon cœur qui me poussait à lui venir en aide, je me précipitai vers cette créature meurtrie. Un terrible hurlement m'arrêta net. Je me retournai précipitamment pour voir, perché tout en haut de la falaise, le deuxième protagoniste de ce combat.
Il nous fixait le cheval et moi, tel un oiseau de proie.
Il semblait prêt à fondre sur nous.
Une queue fouettant l'air autour de lui.
De solides écailles dorées parcourant tout son corps.
Des flammes s'échappant de sa gueule.
Terrible, imposant … mortel.
Le dragon se laissa tomber de la falaise pour atterrir lourdement devant nous.
Je n'avais jamais vu de dragon auparavant. Mais j'en avais déjà entendu parler à de nombreuses reprises. Ils sont moins farouches que les chevaux ailés et plus aptes à se montrer aux hommes, notamment lorsqu'il s'agit de détruire un village ou de récupérer de quelconques richesses. Celui qui nous faisait face était particulièrement impressionnant, surtout par rapport à la couleur de ses écailles. Je savais que les écailles de dragons pouvaient être colorées de bien des façons, mais jamais encore, je n'avais entendu parler de dragon aux écailles dorées. Ce dernier, bien qu'ayant repéré ma présence, semblait néanmoins plus s'intéresser au cheval qu'à moi. Et bien que n'étant pas une experte sur les expressions des dragons, j'aurais cependant juré qu'il se délectait de voir sa proie si mal en point.
Une voix, masculine, apparut dans ma tête :
« Il va tout détruire. Il a déjà tué plusieurs d'entre nous. Je te supplie, qui que tu sois, de nous venir en aide. »
Suppliante, tremblante, douloureuse, mais également douce et empreinte de sagesse, les qualificatifs me manquaient pour décrire cette voix. Lorsque le dragon prit la parole, le contraste entre les deux tonalités me fit presque sursauté.
« Tu n'as rien à faire en ce lieu, humaine. Et ce combat n'est pas le tien. », Dit le dragon dont le grondement résonna dans mon esprit. « Si tu restes en dehors de mon chemin, je te laisserai en paix. Ce n'est pas toi que je veux. »
Ne me laissant ni le temps de reprendre mes esprits, ni le temps de répliquer, il s'avança vers sa proie qui avait toutes les peines du monde à se relever. Il était clair que si je n'intervenais pas, l'issu du combat tournerait en faveur du dragon. Mais ce ne fut qu'au moment où ce dernier inspira profondément que je me précipitai entre les deux créatures. Une sensation familière apparut dans mon esprit et mon corps. La magie revenait en moi.
Le feu du dragon sorti de sa gueule avec force et fracas, fusant vers sa victime. Mais une bulle d'énergie s'interposa entre eux. Elle partait de mes mains, nous enveloppant le cheval et moi et dissipant les flammes qui nous auraient réduits en cendres. J'avais agis sans vraiment savoir ce que j'allais faire, mais je ne pouvais pas laisser ce cheval ailé seul face à la colère du dragon. Je sentis dans mon esprit que la créature que j'avais sauvé reprenait un peu d'espoir et une forme de gratitude se forma dans ma tête. Lorsque mon nouvel adversaire comprit que son feu serait inefficace, un rugissement de rage se fit entendre, amplifié et allongé par les falaises tout autour de nous.
« Tu as choisi ta mort, humaine », hurla le dragon dans mon esprit.
Crocs et griffes dehors, il se précipita sur moi. J'avais machinalement sorti mon épée, mais même si j'avais su quoi en faire, je n'aurais pas eu le temps de l'utiliser. Il fut sur moi avec une telle rapidité que la seule chose à laquelle je pus penser, et qui me sauva la vie, fut de me jeter par terre. Une griffe passa à quelques centimètres de moi. Le dragon, quand à lui, emporté par son élan vint cogner la paroi rocheuse et se retrouva en lieu et place du cheval ailé, qui s'était envolé. Alors que je me relevai en cherchant un quelconque moyen, magique ou physique, pour affronter un dragon, ce dernier se précipita sur la moi, les yeux remplis de haire et de fureur.
Je n'eus pas le temps d'esquiver.
Il n'eut pas le temps de m’atteindre
Une onde de choc le percuta et l'envoya rouler contre la paroi rocheuse.
« Monte !», Entendis-je intérieurement.
Le cheval ailé m'avait à son tour sauvé la vie. Par une force magique dont j'ignorais tout, il avait réussi à percuter le dragon suffisamment fort pour qu'il dévie de sa trajectoire, me manquant au passage. Mon sauveur avait ensuite atterri derrière moi et m’enjoignais à monter sur son dos. Il n'eut pas d'hésitation de ma part. Bien que voler sur le dos d'une créature ailé pouvait paraître inquiétant, l'urgence de la situation ne me laissait guère le choix. Je m'exécutai donc, même si je ne savais pas très bien comment faire. Si le contact que j'ai ressenti lorsque ma main a pour la première fois touché son pelage était incroyablement puissant et chaleureux, la sensation qui a traversé mon corps au moment où nous avons quitté le sol fut fantastique. Je fus malheureusement rapidement revenus à la réalité en entendant le dragon rugir, battre des ailes avec la puissance d'un ouragan et se précipiter après nous. Il commença à lancer des jets enflammés lorsque nous sortîmes de la vallée. Mais j'étais prête et ses attaques venaient s'écraser contre ma bulle protectrice. En riposte, j'utilisai ma magie pour puiser dans l'air humide et gelé la moindre parcelle d'eau afin de former des pieux de glace que j'envoyai fuser vers mon adversaire. Mais il était bien plus rapide et souple une fois dans les airs que lorsqu'il était à terre, et mes attaques furent complètement inefficaces.
Toute la magie que j'utilisai était inefficace.
J'avais essayé de retourner son feu contre lui, ce qui l'avait fait bien rire.
Mes faibles connaissances en matière de courant aérien ne l'avaient pas fait ralentir.
Il faisait évaporer eau et glace, quelques soit sa forme.
Des projectiles magiques furent balayés d'un coup d'aile.
Je compris vite que la puissance ne servirait à rien dans ce combat.
Il allait falloir me montrer plus rusé que lui.
Je ne savais que peu de choses sur les chevaux ailés, et un moyen pour communiquer avec eux n'en faisait pas partie. Pourtant, et j'ignore toujours pourquoi, cela me vint naturellement.
« Je ne pourrais pas le repousser éternellement. Il nous faut nous cacher dans ces nuages. Il aura plus de mal à nous repérer. », Pensais-je en me concentrant sur ma monture.
La connexion fut instantanée et la réaction, immédiate. Nous accélérâmes le plus possible, et en quelques secondes, nous pénétrâmes dans la couche nuageuse.
« As-tu un plan ? », demanda la voix dans ma tête, après qu'un autre jet de flamme se soit fait dissoudre par ma bulle de protection.
« Peut-être bien. Mais il faut que je sois assez près pour l'atteindre avec mon épée. »
« Ton arme ne servira à rien. Elle ne pourra pas entailler ses écailles. »
« Seul, non. Mais avec un peu de magie, il y a une chance. »
L'esprit du cheval ailé passa du scepticisme à la curiosité. Le mien essayait de se convaincre que cela était une bonne idée, il n'en voyait pas d'autre. La technique de combat que je comptais utiliser reposait sur l'enchantement de mon arme. Une forme de magie qui lui permettrait de passer outre toute forme d'armure et de trancher n'importe quelle matière. Cependant, cette technique était difficile à mettre en place en combat car elle nécessitait une très grande concentration. Et à cheval, dans les airs, entourée de brumes nuageuses, poursuivie par un dragon, je n'étais pas certaine de pouvoir y arriver. Mais c'était le seul plan que j'avais trouvé.