Herazer
Ouvrier
Episode II.1
"S'il est incertain que la vérité que vous allez dire soit comprise, taisez-la" (Maurice Maeterlinck)
« Le Bonjour sur toi Lermin ». La voix de la Dame du Lac dans ma tête contenait la chaleur qui avait désertée celle de Morgane. Pourtant, cela me fit froid dans le dos : on n’était jamais vraiment seul ici. Associant les traits de Viviane à ceux de Morgane, ma mémoire me pris en otage : je revoyais le visage sur la lune, le doigt posé sur Nisika avant qu’il disparaisse, le baiser lâché par des lèvres couleur sang, les lettres dorées… Il allait me falloir des réponses mon cher frère. Oui, de vraie réponses cette fois.
Avalon n’avait pas changé. Une forêt, un lac et une île étaient les sempiternels gardiens d’un couple de prisonniers éternels. L’onde était plate, l’air suspendu, le chant des oiseaux cyclique, la nature trop précise, la lumière parfaitement homogène et sans chaleur. Je pris soudain conscience de ce qui manquait pour faire de ce lieu le paradis auquel j’avais cru naguère : la magie du chaos de la vie. Sans cela, Avalon n’était qu’une magnifique gravure sur une falaise de granit tournée vers le soleil. Même le temps n’y avait aucune emprise. Avalon serait toujours Avalon, l’insipide gravure. En fait, je compris que mon regard sur les choses était différent. Etre éveillé, c’est gouter sans cesse l’amer de la réalité ! Merlin avait-il ce gout amer sur la langue ? Pour l’éternité ? Lui qui prônait la Nature avant tout, était-il conscient qu’il n’était qu’une farce ? Un pantin vivant au sein d’un microcosme exsangue de toute loi naturelle ? Il avait tout enseigné à la Dame du Lac, et elle lui avait tout pris. Jusqu’à l’essence de ce qui faisait mon frère : le chaos de sa nature humaine. J’avoue que, peut-être, j’étais un tout petit peu mal parti pour une discussion courtoise et sans a priori.
Une barque, avançant seule et ne laissant aucune ride sur le lac, avait déposé Merlin près de moi. Je détaillais son regard : toujours aussi impénétrable. Tout comme son visage, en dehors d’un léger sourire sous la barbe. Ce sourire était-il triste ou bien timide ? Je fis apparaitre deux fauteuils en bois en face à face sur la rive. Je pensais les avoir conçus un peu moins tranchants aux angles. Sans un mot nous nous posâmes dans les sièges. Etais-je encore un frère ? Etais-je un duelliste venu demander réparation dans le sang ? La frontière entre les deux semblait si ténue sous le brouillard de la colère. Merlin était enfoncé dans son fauteuil, impassible, attendant que je prenne la parole. C’était une sorte de tradition entre nous : celui qui avait les questions donnait le ton. Mais les magiciens sont patients, même si la colère m’avait jeté dans un duel fratricide. Après quelques éternités à s’observer, Merlin allongea le sourire sous sa barbe et ouvrit la bouche. « Le premier sang versé est pour moi, mon frère » pensais-je. Avant qu’un seul son ne passe ses lèvres, je lui criais : « MORGANE » avec toute la colère dont j’étais pétri. Le cri raisonna autour de nous. Suivi de l’empreinte du silence avant la tempête. Il s’écoula une autre infinité de battements de cœur.
« - Morgane… lui répétais-je dans un souffle
- Pardon.
- Quoi ? QUOI ? Juste une excuse du bout des lèvres ? C’est tout ? Pas d’explications, pas de réactions ? Pas de regrets ? Rien ? JE SUIS TON FRERE !
- Pardon. »
C’est là que je vis Merlin pleurer pour la première fois. Un visage de marbre, plus imposant que celui du roi des dieux, plus solide que tous les rocs, plus intraitable que le temps, et dont les yeux laissaient perler de fragiles gouttes d’eau salée. Il devait gouter l’amer à chaque instant de sa vie finalement. J’étais anéanti par l’empathie qui me submergeait. Mais c’était trop facile : la tristesse teintée d’impuissance de Merlin n’arrivait pas aux chevilles de ma rage. Partir et l’oublier ? Rester et l’achever ? Je n’eus pas à choisir. Il passa sa manche sur les yeux, me fit un sourire triste et se délesta de son fardeau.
Merlin avait rencontré Morgane toute jeune fille. Elle avait à peine l’âge de raison. Elle se révélait être un inépuisable potentiel de magie et d’intelligence dans une énorme gangue de rébellion. Mais qui ne supportait pas d’être traitée tel un objet de décoration sans âme ; d’être juste le sexe faible éduqué dans le seul but de satisfaire plus tard, une montagne de muscle avinée qui se prendrai pour un dieu. Elle se revendiquait un être à part entière, avec une âme, un corps et un cœur. Toujours dans la confrontation. Merlin, invité pour un séjour en tant que conseiller, avait régalé la famille d’une parabole à base d’un chevalier courageux, de fées et de monstres ailés. Son discours visait les parents, mais surtout la petite fille. Elle n’avait du retenir que la magie de l’histoire, et non la morale prônant que la patience triomphait de tous les obstacles. Le lendemain, suite à une nouvelle altercation avec son père sur son droit à la parole, Morgane était en partance vers un couvent pour « parfaire son éducation ». Elle confia à Merlin, dans un message quelques mois plus tard, qu’elle avait compris que ses parents s’étaient juste débarrassés d’une enfant rebelle qu’on refilerai en mariage au premier bon parti venu. Mais dans la vie… Uther Pendragon, suivi de Merlin, vint à passer par là quelques années plus tard. Il passa son horrible marché avec Merlin : une nuit avec dame Ygerne, mère de Morgane, contre Arthur, l’enfant à venir de cette union et futur roi de Camelot. Morgane toujours isolée dans son couvent, Uther tua le père et épousa la mère. Par compassion pour la douleur de la fillette, et pour soutenir ses envies de liberté et de reconnaissance, Merlin pris Morgane sous son aile et sous son toit. Il lui enseigna une bonne partie des arts magiques. Quand on est rebelle dès l’enfance, l’adolescence s’avère toujours un peu plus compliquée que prévue : Morgane faisait sans cesse des avances amoureuses toujours plus osées à Merlin. Par respect pour son grand amour de Viviane, le maître mit fin aux leçons et chassa l’adolescente de sa vie. Morgane s’était transmutée en un destin brisé moulé dans la revanche. Je n’eu aucune peine à comprendre la fillette.
« - Elle voulut alors se venger de moi, sanglota mon frère. Elle avait un plan. Sachant qu’elle ne pouvait m’atteindre directement, elle s’en prit à Arthur.
- Mais t’étais où, toi, tout puissant sorcier, à ce moment-là ?
- Sur une île dont je ne peux toujours pas m’échapper.
- Comment Morgane a-t-elle fait ?
- Elle a semé le doute dans l’esprit du roi de Camelot : elle révéla à Arthur de manière indirecte la trahison de Lancelot et de Guenièvre. Coincé plusieurs mois dans la chambre d’un château des amants de Morgane, cet exalté de Lancelot avait peint sur les murs sa liaison avec la femme d’Arthur. Cet imbécile racontait tout, absolument tout. Plus tard, Morgane, s’arrangea pour qu’Arthur passe une nuit dans cette chambre. Il en ressortit brisé. Il n’eut plus jamais confiance en personne.
- Mais comment tu l’as su ?
- Morgane me l’a raconté.
- Quoi ? »
Non contente d’avoir brisé l’esprit de son demi-frère, par ruse, Morgane en eut aussi un fils. Au cours d’une cérémonie païenne, elle usa du stratagème dont Merlin avait usé avec Uther. Ainsi naquit Mordred, le fils maudit. C’est Mordred qui subtilisa le fourreau d’Excalibur et le remplaça par un faux. Arthur pouvait à nouveau être blessé sur le champ de bataille. Mais il en réchappa. La provocation en duel pour la régence de Camelot suivit inexorablement. Tous sourires, derrière la plus haute meurtrière de Camelot, Morgane encourageait son fils. Le roi de Camelot fut mortellement blessé. Ainsi que son adversaire. Et alors qu’il allait mourir, Mordred se pencha à l’oreille d’Arthur et lui susurra : « Je ne vous ai jamais aimé, père ». Folle de chagrin et de rage, la mère du vaincu utilisa l’excuse des remords : elle vint chercher Arthur, et le maintins suffisamment en vie pour l’amener à Avalon. Arthur ne cessa de respirer qu’à la fin de mes adieux. Elle me raconta alors toute l’histoire. Puis repue de mon malheur, Morgane disparut sur le champ, un sourire et un baiser aux lèvres. »
Je me levais, me penchais sur lui, les deux mains appuyées sur les bras de son fauteuil.
« - Et c’est là que tu m’as demandé de prendre ta place, de récupérer Excalibur, son fourreau et de venir tout rendre à la Dame du Lac. Un service tout ce qu’il y a de plus banal en quelque sorte. Sans même me toucher deux mots à propos de Morgane. Ou de me glisser un avertissement. A moi, ton larbin de frangin.
- Avais-je un autre choix ?
- Oui : celui de tout me dire. Tu veux savoir ? Tu n’es qu’une ordure qui trahit tous ceux qui t’aime ! Tu as abandonné Arthur par orgueil, pensant avoir fini de tailler ton joyau, et il en est mort. Tu as chassé Morgane au pire moment de sa vie. Celui où elle comptait sur toi, son tuteur, pour se construire comme femme libre et indépendante : ce moment où il t’aurait suffit d’un peu de lucidité, d’autorité et de compassion pour que rien de tout ça ne se passe. Mais une fois de plus ton orgueil fut le plus fort. Tu m’as menti par omission, à moi, ton frère, ton sang. Tu m’as caché Morgane, et son histoire. Tu m’as fait nettoyer ta fosse d’aisance pleine à rabord. Et j’en porte encore l’odeur sans le savoir ! Parce qu’une fois de plus, par orgueil, tu pensais que l’incident était clos. Que la blessure de ton ancienne pupille s’était refermée. Tous ! Tous ceux qui t’aiment ou t’ont aimé, Merlin ! Tous ont souffert de ton orgueil sans borne… (Je laissais un blanc. Puis de tout le venin dont j’étais capable : ) Et Dame Viviane ? Quelle trahison as-tu réservée à celle qui t’aime par-dessus tout ? »
La réponse se fit attendre. Ses yeux étaient pleins de larmes. Je pouvais sentir le feu lui tordre les boyaux. Je voulais le voir bruler comme un fétu de paille. D’un coup, il se dressa face à moi. Un sursaut qui me fit reculer d’un demi-pas. Il me hurla au visage :
« PAR AMOUR POUR ELLE, J’AI EU « L’ORGUEIL » DE TOUT LUI APPRENDRE ! (sa voix se brisa) Et par amour pour moi, elle s’est emprisonnée ici pour l’éternité. Avec moi qui ne le mérite pas… »
J’avais face à moi un roc devenu poussière par le passage subit du temps. Un dieu transformé en homme et qui prenais conscience de la perte de ses pouvoirs. Malgré tout, je n’arrivais toujours pas à avoir pitié :
« - Comme donneur de leçon, tu te poses là mon frère. Le plus puissant des magiciens se voit comme une pauvre erre abusé par une ado rebelle, prisonnier d’une femme candide aveuglée par l’amour, et il ment à son propre frère par omission. Sous couvert du « c’est pas ma faute », du « destin » et du « ce qui ne se voit pas n’existe plus » ! T’as vraiment fait fort mon pauvre Merlin ! Le ciel n’a pas assez de place pour contenir ton orgueil !
- Parce que tu crois avoir fait mieux ? Tu veux qu’on reparle de Mallagome ?
- Qu’est-ce que je n’ai pas réussis avec lui, hein ? Je ne lui ai jamais mentis, moi ! Il a découvert le bronze, fabriqué de la monnaie, transmis son savoir. Il est devenu Vénérable, il a fait rayonner sa culture, remis dans le droit chemin des ados plus rebelle que Morgane… Même dégagé de ma tutelle, il a toujours appliqué les principes de sa vertu sans jamais faillir. Et il est mort, par TA faute… C’est la lame de l’omission de mon frère qui lui a tranché la gorge. Tu peux me dire ce que j’ai manqué ?
- Juste de le protéger, pauvre imbécile ! Toi aussi tu as eu trop confiance ! Toi aussi ton orgueil t’a aveuglé. »
Le frapper ? Il n’aurait pas eu assez mal. Le tuer ? Ca n’était pas assez long comme torture. Je voulais le faire souffrir, beaucoup et surtout longtemps. J’avais trouvé mieux :
« - Mais mon pauvre « maître Merlin », tu vis sur île mièvre posée sur un lac dénuée de vie. Tu es le personnage raté d’une gravure sans saveur. Tu es le pauvre faire valoir d’une blonde naïve, insipide et sans… » La foudre me frappa au menton. Je restais sonné, assis sur le sable. Dame Viviane prit place dans mon champ de vision au-dessus de moi. De son regard, elle me jeta la moitié de sa colère dans les yeux ! L’autre moitié fut pour son homme, lui aussi assis au sol. Mains sur les hanches, le visage dur qui contrastait la légèreté de sa belle robe blanche immaculée, elle hocha la tête dans un signe de désespoir. Plantée entre nous deux, elle ferma les yeux, puis posa son index et son pouce sur l’arrête de son nez :
« Quand vous aurez fini de vous comporter comme deux vulgaires crétins, qui comparent leurs déjections pour savoir lequel a fait la plus grosse, peut-être pourra-t-on avancer et s’éloigner de l’odeur ambiante ? »
La Dame du lac avait de la classe. Et de la poigne.
"S'il est incertain que la vérité que vous allez dire soit comprise, taisez-la" (Maurice Maeterlinck)
« Le Bonjour sur toi Lermin ». La voix de la Dame du Lac dans ma tête contenait la chaleur qui avait désertée celle de Morgane. Pourtant, cela me fit froid dans le dos : on n’était jamais vraiment seul ici. Associant les traits de Viviane à ceux de Morgane, ma mémoire me pris en otage : je revoyais le visage sur la lune, le doigt posé sur Nisika avant qu’il disparaisse, le baiser lâché par des lèvres couleur sang, les lettres dorées… Il allait me falloir des réponses mon cher frère. Oui, de vraie réponses cette fois.
Avalon n’avait pas changé. Une forêt, un lac et une île étaient les sempiternels gardiens d’un couple de prisonniers éternels. L’onde était plate, l’air suspendu, le chant des oiseaux cyclique, la nature trop précise, la lumière parfaitement homogène et sans chaleur. Je pris soudain conscience de ce qui manquait pour faire de ce lieu le paradis auquel j’avais cru naguère : la magie du chaos de la vie. Sans cela, Avalon n’était qu’une magnifique gravure sur une falaise de granit tournée vers le soleil. Même le temps n’y avait aucune emprise. Avalon serait toujours Avalon, l’insipide gravure. En fait, je compris que mon regard sur les choses était différent. Etre éveillé, c’est gouter sans cesse l’amer de la réalité ! Merlin avait-il ce gout amer sur la langue ? Pour l’éternité ? Lui qui prônait la Nature avant tout, était-il conscient qu’il n’était qu’une farce ? Un pantin vivant au sein d’un microcosme exsangue de toute loi naturelle ? Il avait tout enseigné à la Dame du Lac, et elle lui avait tout pris. Jusqu’à l’essence de ce qui faisait mon frère : le chaos de sa nature humaine. J’avoue que, peut-être, j’étais un tout petit peu mal parti pour une discussion courtoise et sans a priori.
Une barque, avançant seule et ne laissant aucune ride sur le lac, avait déposé Merlin près de moi. Je détaillais son regard : toujours aussi impénétrable. Tout comme son visage, en dehors d’un léger sourire sous la barbe. Ce sourire était-il triste ou bien timide ? Je fis apparaitre deux fauteuils en bois en face à face sur la rive. Je pensais les avoir conçus un peu moins tranchants aux angles. Sans un mot nous nous posâmes dans les sièges. Etais-je encore un frère ? Etais-je un duelliste venu demander réparation dans le sang ? La frontière entre les deux semblait si ténue sous le brouillard de la colère. Merlin était enfoncé dans son fauteuil, impassible, attendant que je prenne la parole. C’était une sorte de tradition entre nous : celui qui avait les questions donnait le ton. Mais les magiciens sont patients, même si la colère m’avait jeté dans un duel fratricide. Après quelques éternités à s’observer, Merlin allongea le sourire sous sa barbe et ouvrit la bouche. « Le premier sang versé est pour moi, mon frère » pensais-je. Avant qu’un seul son ne passe ses lèvres, je lui criais : « MORGANE » avec toute la colère dont j’étais pétri. Le cri raisonna autour de nous. Suivi de l’empreinte du silence avant la tempête. Il s’écoula une autre infinité de battements de cœur.
« - Morgane… lui répétais-je dans un souffle
- Pardon.
- Quoi ? QUOI ? Juste une excuse du bout des lèvres ? C’est tout ? Pas d’explications, pas de réactions ? Pas de regrets ? Rien ? JE SUIS TON FRERE !
- Pardon. »
C’est là que je vis Merlin pleurer pour la première fois. Un visage de marbre, plus imposant que celui du roi des dieux, plus solide que tous les rocs, plus intraitable que le temps, et dont les yeux laissaient perler de fragiles gouttes d’eau salée. Il devait gouter l’amer à chaque instant de sa vie finalement. J’étais anéanti par l’empathie qui me submergeait. Mais c’était trop facile : la tristesse teintée d’impuissance de Merlin n’arrivait pas aux chevilles de ma rage. Partir et l’oublier ? Rester et l’achever ? Je n’eus pas à choisir. Il passa sa manche sur les yeux, me fit un sourire triste et se délesta de son fardeau.
Merlin avait rencontré Morgane toute jeune fille. Elle avait à peine l’âge de raison. Elle se révélait être un inépuisable potentiel de magie et d’intelligence dans une énorme gangue de rébellion. Mais qui ne supportait pas d’être traitée tel un objet de décoration sans âme ; d’être juste le sexe faible éduqué dans le seul but de satisfaire plus tard, une montagne de muscle avinée qui se prendrai pour un dieu. Elle se revendiquait un être à part entière, avec une âme, un corps et un cœur. Toujours dans la confrontation. Merlin, invité pour un séjour en tant que conseiller, avait régalé la famille d’une parabole à base d’un chevalier courageux, de fées et de monstres ailés. Son discours visait les parents, mais surtout la petite fille. Elle n’avait du retenir que la magie de l’histoire, et non la morale prônant que la patience triomphait de tous les obstacles. Le lendemain, suite à une nouvelle altercation avec son père sur son droit à la parole, Morgane était en partance vers un couvent pour « parfaire son éducation ». Elle confia à Merlin, dans un message quelques mois plus tard, qu’elle avait compris que ses parents s’étaient juste débarrassés d’une enfant rebelle qu’on refilerai en mariage au premier bon parti venu. Mais dans la vie… Uther Pendragon, suivi de Merlin, vint à passer par là quelques années plus tard. Il passa son horrible marché avec Merlin : une nuit avec dame Ygerne, mère de Morgane, contre Arthur, l’enfant à venir de cette union et futur roi de Camelot. Morgane toujours isolée dans son couvent, Uther tua le père et épousa la mère. Par compassion pour la douleur de la fillette, et pour soutenir ses envies de liberté et de reconnaissance, Merlin pris Morgane sous son aile et sous son toit. Il lui enseigna une bonne partie des arts magiques. Quand on est rebelle dès l’enfance, l’adolescence s’avère toujours un peu plus compliquée que prévue : Morgane faisait sans cesse des avances amoureuses toujours plus osées à Merlin. Par respect pour son grand amour de Viviane, le maître mit fin aux leçons et chassa l’adolescente de sa vie. Morgane s’était transmutée en un destin brisé moulé dans la revanche. Je n’eu aucune peine à comprendre la fillette.
« - Elle voulut alors se venger de moi, sanglota mon frère. Elle avait un plan. Sachant qu’elle ne pouvait m’atteindre directement, elle s’en prit à Arthur.
- Mais t’étais où, toi, tout puissant sorcier, à ce moment-là ?
- Sur une île dont je ne peux toujours pas m’échapper.
- Comment Morgane a-t-elle fait ?
- Elle a semé le doute dans l’esprit du roi de Camelot : elle révéla à Arthur de manière indirecte la trahison de Lancelot et de Guenièvre. Coincé plusieurs mois dans la chambre d’un château des amants de Morgane, cet exalté de Lancelot avait peint sur les murs sa liaison avec la femme d’Arthur. Cet imbécile racontait tout, absolument tout. Plus tard, Morgane, s’arrangea pour qu’Arthur passe une nuit dans cette chambre. Il en ressortit brisé. Il n’eut plus jamais confiance en personne.
- Mais comment tu l’as su ?
- Morgane me l’a raconté.
- Quoi ? »
Non contente d’avoir brisé l’esprit de son demi-frère, par ruse, Morgane en eut aussi un fils. Au cours d’une cérémonie païenne, elle usa du stratagème dont Merlin avait usé avec Uther. Ainsi naquit Mordred, le fils maudit. C’est Mordred qui subtilisa le fourreau d’Excalibur et le remplaça par un faux. Arthur pouvait à nouveau être blessé sur le champ de bataille. Mais il en réchappa. La provocation en duel pour la régence de Camelot suivit inexorablement. Tous sourires, derrière la plus haute meurtrière de Camelot, Morgane encourageait son fils. Le roi de Camelot fut mortellement blessé. Ainsi que son adversaire. Et alors qu’il allait mourir, Mordred se pencha à l’oreille d’Arthur et lui susurra : « Je ne vous ai jamais aimé, père ». Folle de chagrin et de rage, la mère du vaincu utilisa l’excuse des remords : elle vint chercher Arthur, et le maintins suffisamment en vie pour l’amener à Avalon. Arthur ne cessa de respirer qu’à la fin de mes adieux. Elle me raconta alors toute l’histoire. Puis repue de mon malheur, Morgane disparut sur le champ, un sourire et un baiser aux lèvres. »
Je me levais, me penchais sur lui, les deux mains appuyées sur les bras de son fauteuil.
« - Et c’est là que tu m’as demandé de prendre ta place, de récupérer Excalibur, son fourreau et de venir tout rendre à la Dame du Lac. Un service tout ce qu’il y a de plus banal en quelque sorte. Sans même me toucher deux mots à propos de Morgane. Ou de me glisser un avertissement. A moi, ton larbin de frangin.
- Avais-je un autre choix ?
- Oui : celui de tout me dire. Tu veux savoir ? Tu n’es qu’une ordure qui trahit tous ceux qui t’aime ! Tu as abandonné Arthur par orgueil, pensant avoir fini de tailler ton joyau, et il en est mort. Tu as chassé Morgane au pire moment de sa vie. Celui où elle comptait sur toi, son tuteur, pour se construire comme femme libre et indépendante : ce moment où il t’aurait suffit d’un peu de lucidité, d’autorité et de compassion pour que rien de tout ça ne se passe. Mais une fois de plus ton orgueil fut le plus fort. Tu m’as menti par omission, à moi, ton frère, ton sang. Tu m’as caché Morgane, et son histoire. Tu m’as fait nettoyer ta fosse d’aisance pleine à rabord. Et j’en porte encore l’odeur sans le savoir ! Parce qu’une fois de plus, par orgueil, tu pensais que l’incident était clos. Que la blessure de ton ancienne pupille s’était refermée. Tous ! Tous ceux qui t’aiment ou t’ont aimé, Merlin ! Tous ont souffert de ton orgueil sans borne… (Je laissais un blanc. Puis de tout le venin dont j’étais capable : ) Et Dame Viviane ? Quelle trahison as-tu réservée à celle qui t’aime par-dessus tout ? »
La réponse se fit attendre. Ses yeux étaient pleins de larmes. Je pouvais sentir le feu lui tordre les boyaux. Je voulais le voir bruler comme un fétu de paille. D’un coup, il se dressa face à moi. Un sursaut qui me fit reculer d’un demi-pas. Il me hurla au visage :
« PAR AMOUR POUR ELLE, J’AI EU « L’ORGUEIL » DE TOUT LUI APPRENDRE ! (sa voix se brisa) Et par amour pour moi, elle s’est emprisonnée ici pour l’éternité. Avec moi qui ne le mérite pas… »
J’avais face à moi un roc devenu poussière par le passage subit du temps. Un dieu transformé en homme et qui prenais conscience de la perte de ses pouvoirs. Malgré tout, je n’arrivais toujours pas à avoir pitié :
« - Comme donneur de leçon, tu te poses là mon frère. Le plus puissant des magiciens se voit comme une pauvre erre abusé par une ado rebelle, prisonnier d’une femme candide aveuglée par l’amour, et il ment à son propre frère par omission. Sous couvert du « c’est pas ma faute », du « destin » et du « ce qui ne se voit pas n’existe plus » ! T’as vraiment fait fort mon pauvre Merlin ! Le ciel n’a pas assez de place pour contenir ton orgueil !
- Parce que tu crois avoir fait mieux ? Tu veux qu’on reparle de Mallagome ?
- Qu’est-ce que je n’ai pas réussis avec lui, hein ? Je ne lui ai jamais mentis, moi ! Il a découvert le bronze, fabriqué de la monnaie, transmis son savoir. Il est devenu Vénérable, il a fait rayonner sa culture, remis dans le droit chemin des ados plus rebelle que Morgane… Même dégagé de ma tutelle, il a toujours appliqué les principes de sa vertu sans jamais faillir. Et il est mort, par TA faute… C’est la lame de l’omission de mon frère qui lui a tranché la gorge. Tu peux me dire ce que j’ai manqué ?
- Juste de le protéger, pauvre imbécile ! Toi aussi tu as eu trop confiance ! Toi aussi ton orgueil t’a aveuglé. »
Le frapper ? Il n’aurait pas eu assez mal. Le tuer ? Ca n’était pas assez long comme torture. Je voulais le faire souffrir, beaucoup et surtout longtemps. J’avais trouvé mieux :
« - Mais mon pauvre « maître Merlin », tu vis sur île mièvre posée sur un lac dénuée de vie. Tu es le personnage raté d’une gravure sans saveur. Tu es le pauvre faire valoir d’une blonde naïve, insipide et sans… » La foudre me frappa au menton. Je restais sonné, assis sur le sable. Dame Viviane prit place dans mon champ de vision au-dessus de moi. De son regard, elle me jeta la moitié de sa colère dans les yeux ! L’autre moitié fut pour son homme, lui aussi assis au sol. Mains sur les hanches, le visage dur qui contrastait la légèreté de sa belle robe blanche immaculée, elle hocha la tête dans un signe de désespoir. Plantée entre nous deux, elle ferma les yeux, puis posa son index et son pouce sur l’arrête de son nez :
« Quand vous aurez fini de vous comporter comme deux vulgaires crétins, qui comparent leurs déjections pour savoir lequel a fait la plus grosse, peut-être pourra-t-on avancer et s’éloigner de l’odeur ambiante ? »
La Dame du lac avait de la classe. Et de la poigne.
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