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La taverne du Conteur : Une ère d'évolution

Herazer

Ouvrier
Préambule ;
J'ai envie de vous divertir tel un bouffon ou un troubadour. Et quoi de mieux que des anecdotes sympathiques, tragiques ou comiques; ou bien des épopées lyriques en trainantes pour glorifier les héros passés ou à venir, faire chavirer le cœur des belles ou encore rêver les marmots.
Vous trouverez ici sous ce post un feuilleton. Ces contes sont gratuits mais n'hésitez pas a venir les écouter dans ma taverne pour y lâcher quelques menue monnaie.
Je vais tenter de passer pour vous narrer tout ça régulièrement mais gardez à l'esprit qu'un conteur va colporter ses nouvelles de par le monde connu et parfois inconnu !
 

Herazer

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Prologue : l’arrivée



C’était là. Juste là. Au bord de l’eau fraîche. Non, je ne m’y suis pas échoué suite à un naufrage. J’avais choisis cet endroit bucolique, calme et reposant. La vue magnifique m’inspirait des poèmes aux sonorités musicales et légères. Je me voyais passer mes vieux jours dans une cabane en bois faite de mes mains. L’air doux vous caressait la peau, vous pénétrait la poitrine d’une douceur revigorante et apaisante. Les fleurs poussaient au grès de règles harmonieuses dont seule la nature à le secret. L’herbe était juste haute, les arbres filtrant la vive lumière du soleil, et faisant de l’ombre un refuge dans lequel on se sentait en sécurité. Oui, ça ne pouvait être que là .En vérité, j’étais bien incapable de faire un pas de plus. C’était bien compréhensible, vu mon âge : je vous parle d’un temps que les moins de 390 ans ne peuvent pas connaître.
Sitôt posé ma besace sous ma tête pour une sieste amplement méritée, un groupe d’humains dépenaillés vînt à décider que j’aurais des voisins pour ma retraite séculaire. Ils portaient des pagnes en peau de bêtes trop odorants, étaient d’une hygiène inexistante, d’un langage aussi hermétique qu’ils étaient mal dégrossi, et à la tête aussi éloignée de la bienveillance que possible. Une troupe de premier hommes nomades au début de son évolution. J’avais le choix entre les prendre en main, ou partir voir ailleurs si le gui était meilleur. Pourquoi le gui ? Parce que je suis Druide principalement. Mais aussi Sorcier, Chaman, Guru, Augure, Prêtre du culte qui vous conviendra, et pour une place à table je peux jouer les devins ou encore les bouffons, comme il vous plaira. Je m’appelle Herazer, mais c’est mon nom de scène. Je suis le frère de Merlin, celui dont toutes les légendes ont retenues le nom. Plus exactement je suis son frère jumeau : Lermin. Je suis le frère de l’ombre, l’Abel oublié au fond de la tombe, le Rémus discret mais travailleur. Bref celui dont on ne vous a pas parlé et dont je ne veux surtout pas qu’on parle.

Mon frangin a fait sa réputation sur son ascendance démonique. Pour ce que ça lui a valu. Il a toujours voulu être du côté de la lumière. Enfin pour être plus juste, il a toujours cherché à être en pleine lumière : grande barbe blanche dés ses vingt ans parce que ça faisait classe, tours de magie tapageurs, toujours à tirer la couverture à lui (même quand on se partageait le lit), et toujours à intriguer auprès des plus grands de ses contemporains ! Qui ne se souvient pas d’Arthur Pendragon et d’Excalibur ? Mais qui se souviens qu’Arthur fût né d’un tour de passe-passe malsain (typique à Merlin) pour plaire au duc de Cornouailles ? Mon frère s’est justifié en disant qu’Arthur serai à lui et qu’il l’éduquerait dans « l’intérêt » de l’humanité future. Mais, pour bien le connaître, il voulait juste avoir un bonne place auprès du duc en attendant de disposer de son jouet. Et Excalibur ? Il ne l’a pas faite lui-même : il s’est contenté de la pleurnicher auprès de la Dame du Lac pour aller la confier à un rocher. Enfin à un Esprit de la Terre. C’est pas chercher à se faire bien voir tout ça ? Et sans parler d’Arthur et sa « grande réussite de la quête du Graal » ! Pour ce qu’il y a gagné, le pauvre : un exil à Rome dans la légion soit disant pour une question de stratégie, des chevaliers « de la table ronde » dont on peut douter de la moitié des exploits, la trahison de Lancelot (son bras droit) pour mettre sa femme Genièvre dans son lit, et enfin le pauvre roi coiffé au poteau pour le Graal par le fils de Lancelot. Vous parlez d’une réussite pour un poulain choisis, choyé et surentrainé par le meilleur Druide semi-démon au monde…

Mais je parle déjà trop de lui. Revenons à mes semi-sauvages fraichement échoués. J’avais trop mal aux pieds, trop de fatigue et surtout une sandale à moitié trouée, le tout m’empêchant d’aller voir ailleurs si j’y étais. Il ne restait plus que le premier choix : faire de ces homo sapiens (presque) sapiens l’élite de l’humanité future. D’autant que certaines femelles de l’espèce semblaient paraitre physiquement prometteuses. En d’autre termes : j’aillais réussir là où mon frère avait échoué.

C’est en voyant un mâle s’écraser le pied avec un fémur de mammouth pour chasser un rat passant par-là que je me dis que tout n’allait peut être pas être aussi simple…
 

Herazer

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Chapitre 1 : Les vertus du Bronze

Il m’avait fallu 100 ans à moi Lermin, frère de Merlin (le magicien), pour faire passer une troupe de nomades brutaux à l’état de sédentaire peu raffinés. Un peu moins de 10 générations vu l’espérance de vie à l’époque. Vous pourriez trouver un certain anachronisme dans mon récit : Merlin fin de l’âge de Fer et début du moyen âge. Mais en fait la Magie a ses raisons que la raison ignore. Après 389 ans de pratique magique, on ne s’étonne même plus vraiment lorsque des barbares du fond des âges vous choisissent comme voisins.
 

Herazer

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Episode I

Dans un âge civilisé, la première impression est toujours la plus importante : on sourit, on se pare de ses plus beaux atours, on cherche soit à séduire, soit à impressionner, toujours de manière indirecte.

Je compris vite qu’aux yeux de ces barbares je ne faisais pas vraiment une bonne première impression : deux sauvages de la troupe regroupèrent les femmes et les enfants avant de leur servir de garde rapprochée. Pendant ce temps le reste des guerriers menés par un petit être râblé s’approchaient de moi d’un air plutôt menaçant. Des martiens qui voulaient communiquer ? Pas vraiment. Ils m’encerclèrent et laissèrent le plus petit entrer dans le cercle. Ca sentait mauvais. Au propre, comme au figuré d’ailleurs. Les jambes arquées, celui qui semblait le chef s'avançant vers moi, portait une espèce de tunique faite de la peau d’un tigre dont la gueule lui était posée sur la tête. Les canines du tigre avaient laissé quelques traces rougies sur son front plat. Il commençait à se dandiner dans une espèce de danse rituelle primaire. Sur son visage étaient barbouillées des traces brunes et vertes, qui semblaient être des peintures de guerre. Elles avaient coulés, laissant de longs sillons sur ses joues. Il devait faire plutôt chaud sous la peau de bête. A un mètre de moi, il s’immobilisa et se redressa d’un coup. Sorti comme par magie, un bâton décoré de dents et autres trophées indescriptibles apparut dans sa main. Un prestidigitateur avant l’heure… « Ils ont déjà laissé tomber la loi du plus fort au profit de celle du plus con, pensais-je. Quel genre de civilisation ça peut donner ? »

Le nain à la peau de tigre se mit à gémir des borborygmes sur un rythme hypnotisant. Le bâton en main, il marquait la cadence de son chant tribal. Petit à petit, les participants du cercle se mirent à reprendre ses sons au rythme cadencé du bâton. J’attendis poliment quelques minutes, puis lançait :
« - Un bon début le langage articulé ! Par contre, y’aurait-il un interprète parmi vous ?
- Bunga si slotta, bunga reko mala !
- Désolé je ne comprends pas. Do you speak english ? German ? Chinese ?
- (L’homme se mit à crier) Bunga wa. Bunga reko si slotta mala !
- Ok. Ca va être long. (Je pointai un index sur mon torse.) Moi : Ler-min.
- (Il hurla)Bunga si kolo pilerinu ka ?
- Moi Ler-min. (Je tendais mon doigt vers lui .) Toi, qui ? »
Je vis le cercle se resserrer un peu sur moi alors je désignais l’homme en face. Celui-ci se voulait surement sorcier. Il commença à danser autour de moi en montant progressivement le volume et le rythme du chant. Je me contenais : ma mère m’avait plutôt bien élevé. Mais je sentais ma patience atteindre les bornes de ses limites. Subitement, le « sorcier du fond des âges» s’arrêta collé face à moi et me hurla un grand « HAAAAAAAAA » au visage. On sentait bien qu’il n’avait pas encore découvert l’hygiène dentaire ou le thé à la menthe. Puis il s’immobilisa semblant attendre une réponse. Je pris une grande inspiration et je traçai discrètement une rune du bout des doigt dans l’air. Puis de toute mes forces, je lui poussai au nez le plus grand rugissement de lion jamais connu jusqu’à présent. Le petit homme se ratatina de peur, puis tombai mollement dans l’herbe, inconscient. Je n’avais pourtant rien fait d’extraordinaire magiquement. Mais je n’allais surement pas me laisser impressionner par un petit illusionniste de province.

Alors que je leur jetais mon meilleur regard de braise, je vis les guerriers du cercle rester interdit quelques battements de cœur. Puis ils reculèrent prudemment pour se poser en défense de leurs biens le plus précieux : les femmes et les enfants. Libre de pouvoir enfin évoluer sans aucune menace, je m’accroupi auprès du sorcier et lui balançai une ou deux calottes histoire de le ranimer. Il se réveilla et vira au blanc en me voyant penché sur lui. Je lui fis mon plus beau sourire, lui tendis la main pour l’aider à se relever et lui passai amicalement mon bras autour des épaules une fois debout :
« - Bon on parle peut-être pas la même langue, mais je crois qu’on va réussir à bien s’entendre toi et moi. Non ?
-Ami couli. Ami couli. Ami couli, ki se monkla pore et poti garemonu. » me répondit-il en secouant la tête.

Conclusion : « toujours se méfier de sa première impression » m’avait confié, quelques années plus tard, Bernard alias « le sorcier à la peau de tigre ». Enfin, confié dans une approximation de langue civilisée. Bernard est mort propre. Dans un bain bien chaud. Au fond d’un chaudron. Celui qui servait, au solstice d’hiver, à la soupe annuelle du « Diner de renaissance des Ames ». Il aura au moins eu le mérite de partager quelque chose d’utile cette fois-ci : des calories et ses protéines. Je sais ce que vous vous dites… mais avouez qu’on ne peut pas résoudre tous les problèmes d’un coup.
 
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Herazer

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Episode II.1

“On ne fait pas de nouvelles découvertes dans le cœur humain. ” (Voltaire)


50 ans s’étaient écoulés depuis que la troupe de sauvages m’avait accepté comme chef. En moins d’une quinzaine d’année tous parlaient intelligiblement, en dehors des vieux. L’inceste était banni, et le respect de clan instauré. On pouvait dire que plus des trois quart de la tribu trouvait la sédentarité confortable. On se nourrissait de chasse, de cueillette et de potages infâmes. J’avais fini par trouver une grotte dans les environs ou j’y maintenais un ciel artificiel et un climat tropical pour y faire pousser ma production personnelle. Le tout protégé par une illusion de paroi rocheuse à l’entrée de la grotte. Tant de délicieux légumes, de savoureux fruits, de plantes aromatiques et autres épices. Sans parler du chanvre, du pavot et de la coca qui me permettait de me détendre à l’issue de longues journées de labeur. Je suggérai à la tribu un panthéon de dieux de la nature avec lesquels j’étais seul à avoir une ligne directe, histoire de bien maintenir mon autorité. Il me fallut un peu de temps pour faire remplacer les cultes anthropophages par de délicieuses danses presque nues dans la campagne. Un vrai régal des yeux. « Sex and drugs », mais pas encore de rock’n’roll. En plus du rôle de sorcier, et de chef, je m’étais attribué celui de précepteur. La séparation des pouvoirs n’était pas vraiment à l’ordre du jour.

Puis il y eu Mallagome. C’était mon fils. Enfin un des nombreux rejetons que j’avais eu de relations « accidentelles » à droite à gauche. Mallagome tout petit était déjà d’un caractère bien trempé et solitaire. C’était un diamant d’intelligence encore dans sa gangue. Les soirs de veillée « histoire du monde » au pied de la falaise peinte d’images rituelles, j’avais l’intuition que les yeux du petit rebelle me transperçaient à jour. On sentait poindre dans ses prunelles, une réflexion inhabituelle alliée à un doute systématique. Le premier sceptique de l’histoire ? A moins que la paternité me faisait monter des bouffées de sentimentalisme. Intuitivement je sentais que ce gamin allait révolutionner mon petit monde. Ou j’en étais simplement fier, allez savoir !

Tout jeune, Mallagome avait la manie de creuser pour enterrer ses trésors. La terre, ce premier coffre-fort du monde. Je l’avais vu faire secrètement lors d’une de mes siestes rituelles sous du gui séculaire. Un reflet lointain se déplaçant entre les arbres avait attiré mon attention. Je reconnu le galopin tenant dans sa main la source des éclats gênants. Mais que pouvait-il bien avoir trouvé ? Je me fis invisible d’une rune magique et me rapprochais de lui. Il se stoppa au pied d’un arbre, et à l’aide d’une branche sèche il se mit à creuser. Je le regardais faire en étouffant un bâillement. Lorsqu’il lâcha l’objet en question au fond du trou, je manquais de lâcher un juron. Ce garnement venait de souiller par la Terre mon Quartz de Transcendance. Un magnifique cristal de roche que j’avais dégoté moi-même au fin fond d’une grotte suintante peuplée de chauves-souris vivaces. Suivant la lumière qui le frappait, le quartz balançait de petites irisations bleutées contre la peau de ma hutte. Il m’hypnotisait bien malgré moi, et m’accompagnait dans la dégustation de tisanes au chanvre pour envoyer mon âme dans un monde de paix et d’amour. Il allait me falloir pas mal d’énergie pour le nettoyer des ces énergies trop telluriques et trop brutes. Comme si je n’avais vraiment que ça à faire. C’était un objet sacré et puissant, bordel ! Il venait de commettre un sacrilège caractérisé : la souillure infâme de l’Esprit du Quartz. Et pourtant, bien malgré moi, les yeux brillants de fierté paternelle, allez savoir pourquoi, je le ne le retînt point. Je sentis poindre une question dans mon vieux crâne de druide : où avait-il pu trouver ce cristal ? A la réflexion, il se trouvait bien dans ma hutte « chamanique » au milieu du village avant de se trouver dans sa main impie. Mon fils ou pas, ce petit con kleptomane méritait une bonne leçon ! Sachant que j’étais invisible à ses yeux, je m’approchais de lui sans aucune discrétion faisant craquer les brindilles et feuilles mortes au sol. Absorbé par son travail de rebouchage, il ne m’entendit pas. Je lui posais une main sur l’épaule en déclarant d’une voix caverneuse « QUI VOLE UN ŒUF, VOLE UN BŒUF ». Le petit eu un sursaut de terreur et le réflexe de balancer un coup de branche derrière lui, pile dans mon tibia. Retenant un cri à grand peine, je l’attrapai par le col de sa peau de bête, le redressais et lui balançait un magistral coup de pied bien placé. Sans demander son reste il s’enfuit vers le village. Il avait à peine 8 ans.
 
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Herazer

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Episode II.2

“Les plus belles découvertes cesseraient de me plaire si je devais les garder pour moi.” (Sénèque)


A l’âge de 14 ans venait le « rite de passage » pour chacun et chacune de la tribu. Un petit rite initiatique qui faisait de ces ados des Hommes et des Femmes de valeur. Pour les filles cela consistait à passer une nuit enfermée dans un tipi-vapeur après une tisane au chanvre de ma confection. Pour les garçons, le rite était un peu plus… sportif. Ils devaient se lancer dans la forêt avec un pieu surmonté d’un silex taillé et ramener un objet fait de leur main, une plante, une racine ou le corps d’un animal inconnu du clan jusqu’ici. S’ils ne réussissaient pas au bout de deux semaines, ils devaient trouver une clairière et bâtir un autel de pierre de leur hauteur afin d’implorer la clémence des dieux. Quel chef ou chaman pouvait avoir eu cette idée débile ? Aujourd’hui Mallagome se préparait à devenir un homme. Enfin un Homme. Oui, avec un grand H. La nuance n’avait aucune importance pour lui, mais elle était loin d’être anecdotique pour moi.

Le corps musclé, le visage fin, les yeux bleus durs et résolus, mon fils semblait confiant avant son départ. Voir même un rien désinvolte ; une attitude qui allumait un avertissement dans mon crâne. Mais pas d’Homme vrai sans un minimum de confiance, n’est-ce pas ? L’ensemble de la tribu se réunis pour la cérémonie de départ. C’était à sa mère, une brunette aux courbes toujours aussi généreuses qu’envoutantes, que revint l’honneur de lui transmettre symboliquement son arme pour démarrer dans sa vie d’Homme. Elle la lui tendit dans une génuflexion mêlée de respect et de sagesse. La rassurer et diminuer son angoisse faisaient aussi partie de mes attributions. Et j’avais quelques idées quant aux méthodes les plus efficaces à utiliser. Sa mère agenouillée devant lui, Mallagome, me jeta un regard en coin. Je vis un petit sourire narquois se dresser aux coins de ses lèvres. Impassible, je lançais les paroles rituelles :
« Que les dieux te guident, que ta vision t’éclaire, que tes découvertes soient sincères et que ton cœur reste pur envers ton clan ». Non, je n’avais pas trouvé plus bateau. On fait avec ce qu’on dispose et surtout avec ceux qu’on a en face. Mallagome, pencha la tête en signe d’assentiment, et sans même se retourner il prit la direction de la forêt au petit trot. « Il ira loin ce gamin », me dis-je, avant de rêver à la bamboula qui aurait lieu à son retour. Et son retour fût le plus rapide de tous jusqu’à présent ! Partis le matin à l’aube, l’ado revint avant même que le soleil ne songe à tirer sa révérence. Je le vis marcher vers le village, débonnaire et confiant. Sa désinvolture matinale s'était renforcée. Même de loin son regard irradiait la malice. Il tenait juste un bon gros morceau de roche dans les mains. Mon intuition me disait qu’il n’avait pas dû aller le chercher bien loin. Et certainement qu’il y avait de la terre fraichement retournée quelque part au pied d’un arbre environnant. Etait-il malhonnête ? Ou simplement malin ? « Simplement malin » me répondis-je, le sourire aux lèvres. Moi-même à 14 ans, j’avais eu droit au même genre de rite, en plus « démonique ». Et si je l’avais su, j’aurai aussi pris un peu d’avance sur le boulot, plutôt que de galérer seul de nombreuses semaines dans une forêt toujours plus sombre et plus humide. Je ne pus retenir une larme : la fierté c’est comme une éruption volcanique, ça ne se contient pas. La bamboula tant attendue n’allait pas tarder, avec en prime, les yeux de la mère du tout jeune Homme brillants de reconnaissance pour son chamane préféré. Une bonne soirée en perspective. Enfin, s’il passait l’épreuve du Conseil.

Tous assis en tailleur au cœur d’une prairie, Mallagome me faisait face tout en se soumettant de bonne grâce aux regards inquisiteurs du Vénérable et de l’Accoucheuse qui m’accompagnaient. Dans son dos, le reste de la tribu spectatrice retenait son souffle. L’ado tenait sa tête penchée vers l’avant en guise de respect. Ce fut le Vénérable qui prit la parole en premier :
« - Magallome, tu nous es revenu du Rite. Que nous rapportes-tu de nouveau ou de construit pour ton clan ?
- Ceci Vénérable. C’est une roche nouvelle que j’ai trouvé sur mon chemin.
- En quoi cette roche est-elle nouvelle pour ton clan ?
- Elle brille par endroit, d’un éclat rosé que personne n’a jamais vu. »
Je pris la roche et l’examinais de près. Je la sondai magiquement et retint de justesse un cri de surprise. Il avait raison ce garnement, c’était LA découverte majeure de son temps. Je n’allais surement pas lui faciliter la tâche en souvenir de mon Quartz souillé :
« - De quels éclats parles-tu ? Je n’y vois que de la pierre fragile ? Elle s’effrite dans ma main et se brise si je la frappe avec celle qui borde notre feu à tous.
- ( un éclat de sourire passa dans les yeux du jeune Homme) Ca je le sais mon Père, mais les éclats ne se voient qu’à la lumière du Dieu soleil. Puis-je vous faire une démonstration ?
- Quelle démonstration ? Le soleil se couche, répondit l’Accoucheuse.
- Celle qui vous prouvera que la Nature aussi engendre, ma Mère ! »
L’accoucheuse resta d’abord ébahit par son sarcasme, puis son visage se ferma. Je ne pus contenir un sourire. Je tendis la main vers Magallome, lui rendant par là même son trophée. Il vint creuser devant nous un petit trou qu’il borda de pierre. Il disposa une pierre plate au centre et jeta du petit bois autour avant d’y mettre le feu. Le temps que le feu devint conséquent, il prit un bol en terre cuite dans lequel il concassa la pierre. Il mit le bol sur la pierre au centre du feu et attendit patiemment, ses yeux braqués sur les miens. On y lisait le défi. Le contenu du bol se mit à émettre une épaisse fumée nauséabonde qui prenait un malin plaisir à planer uniquement autour de nos visages. Puis la pierre se mit à bruler et à rougir. Et par une magie encore inconnue, la pierre devint liquide, rouge et lumineuse. Le Vénérable et l’Accoucheuse restaient bouche bée face à la transformation. Magallome, qui surveillait d’un œil sa démonstration attendit que le liquide fut uniforme au fond du bol, puis à l’aide d’une branche en Y, il récupéra son bien et versa le contenu sur une grande pierre bien lisse un peu plus loin. Rapidement, la lumière du contenu s’éteignis et pris une teinte plus sombre aux reflets cuivrés. Il jeta dessus le contenu de plusieurs jarres d’eau stockées tout près. Puis il détacha le résultat de son œuvre de la pierre avant de nous le tendre dans une posture d’humilité exagérée. Voilà donc où il voulait en venir ce fils d’enfoiré ! Le moment était critique : ce petit con venait de découvrir le bronze et dans le même temps de laisser planer le doute sur d’éventuels pouvoirs magiques, incriminant par-là indirectement ma paternité. Un vrai génie politique avant l’heure. Sa découverte était sans précédent .Elle amorçait un pas de géant dans l’histoire de l’humanité et il ne fallait surtout pas qu’on le taxe de sorcellerie. Quel petit salopard de génie j’avais pour fils ! Il allait sans aucun doute me donner du fil à retordre celui-là. Interdits, mes acolytes plantèrent leur regard sur moi, attendant que je le foudroie sur place pour « exercice illégal de la magie ». Je saisis la plaque de bronze, pris le temps de l’examiner sous toutes ses coutures, la tordis à 90 degrés sans effort et sans quitter les yeux de Mallagome. Je la déposai devant l’Homme nouveau et m’inclinait trois fois face à lui :
« Bienvenue à toi, nouvel Homme du clan. Ta découverte sans précédent restera dans la mémoire de tous. Elle portera le nom de celle qui t’a mis au monde : Bronze. Tu deviens aujourd’hui responsable de Bronze et à toi seul incombe de construire son chemin. Seul ton Cœur, aujourd’hui pur, saura la guider vers la lumière » (ou bien dans l’ombre… pensais-je.) Je lui portais les mains sur la tête et le bénis d’un marmonnement incompréhensible. L’Homme nouveau, me remercia, récupéra sa découverte et partit en courant vers la tente de sa mère manquant de s’étaler sur le chemin. La moue ironique, je me tournai vers l’Accoucheuse : « Hé bien, on dirait que tu vas avoir du boulot en plus Accoucheuse, vu que la pierre peut aussi enfanter ! ». Elle fit demi-tour, et partit drapé dans un dédain plus épais que son habit.

Quelques jours après le banquet en l’honneur de Magallome, je me mis à le surveiller discrètement. Chaque fois qu’il s’enfonçait dans la forêt, il en revenait avec un charriot remplis de roche. Je pensai qu’il voulait en faire un stock avant d’en extraire sa fortune. J’étais curieux de savoir où celui-ci avait pu trouver un gisement de cuivre impur aussi proche du village. Un matin, avant que mon rejeton le plus célèbre en prenne le chemin, je me rendis dans la forêt et me fis invisible et silencieux à l’aide de glyphes magiques. Je l’attendis, le laissais passer devant moi et le suivi. Il tirait son charriot le cœur léger mais prenait de temps en temps le soin de regarder si personne ne le suivait. Le parcours me disait quelque chose, mais je n’arrivais pas à percevoir la destination finale. Magallome chantonnait. Puis, sur une intuition, il mit les lèvres en cœur et se mit à souffler l’air, ce qui produisit un son aigu. Cela sembla lui plaire. Il découvrit qu’en modifiant la forme de sa bouche et en modulant l’air, cela produisait des sons différents. Ce fût sa deuxième découverte en moins d’une semaine. Siffler en travaillant ! « Que ça va vite quand la musique vous aide à travailler » chanterai certainement la princesse d’un conte futur… Mon fils ralentit à l’orée d’une clairière, fit une pause, observa les alentours et pénétra à reculons suivi de sa chariote. Tout à coup la lumière se fit dans ma petite cervelle de père naïf : ce petit malin toujours aussi kleptomane venait discrètement dépouiller les autels de ceux qui n’avait pas passé la cérémonie du Rite du premier coup !
 
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Herazer

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Episode II.3

"L’argent c’est de l’éther" (Proverbe martiniquais)

“Point d'argent, point de Suisse.” ( Racine)



Depuis que Mallagome travaillait le bronze, il avait bien changé. Sa peau avait légèrement copié la teinte de sa matière préférée et son allure musculeuse s’était imposée d’elle-même. Sa kleptomanie s’était envolée au profit de son plus grand trésor : sa famille. Il avait aussi rebâtis les autels pillés et ajouté des décorations de son cru pour s’excuser auprès des Dieux, et surtout auprès de ceux qui avait passé le Rite sans succès. La balance n’était même pas encore un concept, que mon fils avait trouvé l’équilibre parfait dans sa vie. Sa sérénité ressurgissait sur toute la communauté. Grâce à toute une série de techniques bien personnelles, naissaient de ses mains des outils utiles ou décoratifs : marteau, têtes de pieu, pioche, épingles, bracelets et autres bijoux incrustant des pierres. Un véritable artisan au sens premier du terme : celui qui exerce son art.

Je lui avais officiellement demandé, en qualité de chef-sorcier-chamane, de me réaliser un bâton de marche et d’y incruster mon Quartz de Transcendance. Ça allait être lourd mais, un grand pouvoir implique une grande … musculature ? La demande avait été formulée au forgeron en présence du conseil. Il avait souri, certainement en hommage au souvenir d’un coup de pied bien placé. Puis, après une dizaine de jours, je m’étais vu offrir un magnifique bâton remarquablement léger, ciselé de toute part, torsadé en finesse et surmonté de l’objet du lointain larcin. Pour la première fois, faisant voler en éclat les murs de mes principes, je le pris dans mes bras pour le remercier. L’acte d’un père qui surmonte enfin sa timidité pour témoigner tout son amour et toute sa fierté. Il m’avait fallu près de trente ans pour apprivoiser cette affection trop silencieuse. Après avoir joué avec les défis, l’ironie, le mépris ou l’ignorance, l’amour paternel prenait enfin toute sa dimension en moi. L’amour filial laissa de discrètes traces salées sur les joues de l’Homme contre moi. Tout comme il avait tiré une œuvre d’art du fruit de la pierre, il avait contribué à forger une des parties les plus délicates de mon âme. Le diamant du nom de Mallagome était enfin extrait de sa gangue. « Déjà taillé, et parfait en tout point » avais-je pensé. Encore aujourd’hui, plus que la vue de ce bâton magnifiquement ouvragé qui ne me quitte jamais, le souvenir de cette embrassade reste mon recours ultime lorsque la Vie m’est insupportable. Une cicatrice douloureuse mais délicieuse qui me pousse à me battre pour les Hommes. Oui, avec un grand H !

Pendant que vivotait notre village, au fil du temps, plusieurs êtres humains vinrent à passer par là. Visiblement le coin s’était plutôt remplumé du coté âmes qui vivent. Un émissaire d’un autre village, moins grossier que les autres revint à intervalles réguliers nous visiter. Petit par la taille, sombre par le regard, il se voulait affable, et prévenant. Sur le nez une énorme verrue le faisait parfois loucher de manière plutôt comique. Il tenait le rôle d’un diplomate généreux qui venait de découvrir un monde aux possibilités infinies. Parfois, il troquait des fruits ou de la viande contre des vêtements bizarres venu de chez lui : robes longues, vestales, toges, braies ou encore jupes portefeuilles. Un choix plutôt éclectique, mais je devais avouer que la vue de mes concitoyens s’en était grandement améliorée. D’autres fois, il se contentait de simples discussions pleines d’un verbiage compliqué et hypocrite, sans jamais oublier de faire de petits cadeaux aux rejetons de ses interlocuteurs. Inutile de vous dire que j’étais plus que sur ma réserve. Même sans gros sabots aux pieds, je voyais où voulait en venir le nabot : à chacune de ses visites il restait des heures à contempler la forge, à ramasser du bois pour le feu, à s’émerveiller ostensiblement devant chacune des réalisations de notre forgeron. Et ce, même si le produit était refroidi après juste les deux premiers coups de marteau. La peur qu’il avait du forgeron faisait sa retenue vis-à-vis de l’objet de son admiration : le bronze. Pourtant, un jour, il réussit à dominer suffisamment ses nerfs pour s’approcher du mauvais côté du marteau. Un nain conscient ? Mallagome retint son bras levé, et planta son regard reflétant un feu de forge intérieur dans ceux de l’émissaire. J’observais de loin, priant que ce gros patapouf de voisin ne vienne point semer le trouble.
« - Que les dieux vous saluent ta famille et toi. Je suis vraiment admiratif de ton travail. Saurais-tu me faire une épingle en guise de décoration ? Je la porterai tout le temps et serai plus que fier de la montrer à mon clan. Qu’en dis-tu ?
- Je ne travaille que pour mon clan, lui répondit Mallagome d’un ton aussi dur que la pierre de granit sur laquelle qu’il forgeait.
- Mais je te paierai un b…
- Tu QUOI ???
- Je te paierai ? » murmura l’étranger dans un souffle de peur mêlé d’incertitude.
On y était ! La pomme de la discorde venait de se dévoiler entre les crocs étincelants du serpent sous la verrue. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire j’étais juste à côté de Mallagome. Prenant conscience de ma présence soudaine, le pseudo diplomate eut un sursaut de recul. Son fondement fracassa une jarre d’eau pleine au sol. Des rires fusèrent de loin. Une moue de colère passa une fraction de seconde sur le visage de l’humilié. Puis ses traits retrouvèrent une neutralité presque parfaite :
« - Je suis désolé. Je vous paierai aussi pou…
- QUOI ? ENCORE ce mot : paierai ? »
Mallagome, ce fils de la vertu. Sa colère couvait aussi puissante que son feu. Le marteau encore levé faisait de lui l’incarnation d’un Dieu en colère. Le silence qui s’en suivit était suspendu au poignet dans les airs. Quelle serait la cible de l’instrument divin ? Je posais une main calme et rassurante sur la main de mon fils. Son bras descendit doucement pour se poser le long du corps, tenant toujours d’une main ferme le marteau. L’assemblée expira comme un seul homme. Je pris un ton légèrement professoral :
« - Cher … monsieur, pour nous, les mots ont un sens. Un sens vrai. Une définition unique et pure. Qui se comprend d’elle-même. Et lorsqu’un mot qu’on ne connait pas parvient à nos oreilles, si la pureté en est absente, il sonne souvent comme une insulte. A moins le concept de ce mot soit clair, voyez-vous ? » (Et ce concept que tu nous ramènes, serpent à la verrue, en est bien une véritable d’insulte. Seulement, le choix ne nous appartiens pas, il nous faudra bien l’apprivoiser).

Sans se démonter et d’une obséquiosité dégoulinante, l’homme au fond de braies mouillées nous expliqua le concept de la monnaie. Il associait des mots barbares à d’autres bien nobles, comme « valeur » avec « travail ». Il crachait des paroles sales comme « marché » et « pouvoir ».Tout ça pour conclure d’un sophisme tout personnel :
« - Messieurs, la monnaie, c’est l’avenir !
- D’autant plus que la vôtre est en en bronze, n’est-ce pas ? »
Je sentais planer l’incrédulité et l’incompréhension autour de moi. Il y avait ceux qui avaient décroché aux premiers mots de la démonstration, ceux qui comme mon fils l’avait écoutés poliment, et enfin ceux dont les yeux brillaient déjà d’envie.
« La vraie richesse c’est son travail et sa famille. Et pas votre "monnaie" sans valeur qui se nourrit du pain, de la sueur et du sang des honnêtes clans ». Sans autre forme de procès, Mallagome mis la main au col de l’émissaire, avant de balancer son pied sur la cible mouillée un peu plus bas. Puis il reprit son travail avec un peu trop d’ardeur. J’étais fier de lui. Très fier. Trop fier… L’émissaire avait pourtant raison. Ce serpent caché sous la verrue nous apportait l’avenir. La monnaie permettait, plus ou moins honnêtement, de s’enrichir mais aussi et surtout de s’étendre, de se diversifier, de propager et de brasser les influences culturelles naissantes. A notre grand dam, la Vie nécessite toujours des concessions de l’intelligence ou du cœur, voire des deux. Si, à l’échelle du forgeron, le monde s’étendait de sa forge, à sa mine en passant par sa famille, moi j’avais une vision à beaucoup plus long terme. Et une boutique à faire tourner.

Je relevais l’homme à la verrue, lui époussetais vaguement sa chemise longue, et l’entrainais sous ma tente par le bras. De vagues excuses hypocrites de ma part vinrent excuser le forgeron. Ceci avant de longues tractations pour mettre au point un plan qui nous permettrait d’instaurer le système monétaire au sein du clan. J’avais déjà repéré les éléments qui étaient pour le changement. Le Vénérable, aussi loin d’être idiot qu'altruiste serait de mon côté. Avec deux ou trois autres anciens un peu moins bouchés que les autres, membres honoraires et temporaires du Conseil, nous pourrions sans conteste tout mettre au point. La seule vraie difficulté serait de convaincre Mallagome de fabriquer les pièces.

Après trois jours d’explications auprès de la tribu et une discussion du Conseil pendant trois nuits, nous pûmes enfin passer au vote. Sans surprise le "pour" l’emporta à la grande majorité. A l’annonce du résultat, Mallagome m’incendia de son regard de braise, avant de faire demi-tour avec tonnerre et fracas. Il revint aussitôt sur la place du village, jetant son marteau à mes pieds : « Ta monnaie impure, si tu la veux, tu te la feras toi-même, vieux hibou. » Puis il prit le chemin de son foyer avant de s’enfermer dans un mutisme sans borne. Je ne pus l’approcher qu’au bout d’un mois. Et encore, par ruse. J’avais demandé à la mère de ses enfants d’organiser la rencontre sans mentionner mon nom. Elle résista d’abord. Puis après lui avoir expliqué ma vision des choses, elle céda. La rencontre eu lieu chez lui. Je savais, par sa moitié, qu’il s’attendait à la visite d’un membre du clan pour une commande particulière. Lorsqu’il aperçut le cristal de mon bâton poussant le rideau de sa hutte, il poussa un cri de rage animale. J’entrai, et je le vis dans un état de colère dépassée. Il voulut se jeter sur moi, mais d’une rune discrète je lui imposais le calme de l’esprit. Sa respiration s’apaisa rapidement, et sa blonde vint nous servir un thé de ma réserve personnelle dans de jolies timbales de bronze ouvragées. Après un long silence, je pris une profonde inspiration :
« - Mon fils, je…
- Tu m’insultes dans mon foyer, vieillard ? Devant mes enfants ? (je lui jetais un sort de mutisme)
- N’es-tu pas mon fils ? N’es-tu pas celui dont la mère s’appelait Bronze ? N’es-tu pas celui qui souillât par la Terre le cristal que voici ? N’es-tu pas celui qui, avec la malice dont je suis fier, dépouilla les autels de la clairière ? N’es-tu pas celui qui offrit ce bâton à son Père ? Et dont le père empli d’amour fit couler les larmes ? N’es-tu pas le Cristal qui vînt de ma chair comme ces enfants vinrent de la tienne ? (Un long silence s’installa malgré que je levai le sort)
- Si. Je le suis, c’est vrai. Mais comment mon père et le Père de la Tribu peut-il nous trahir de la sorte ? Quelles valeurs sont les siennes ?
- Juste l’intérêt de tes enfants. Et des enfants de tes enfants. Et ainsi de suite. Je ne suis pas venu te demander de m’écouter parce que je suis ton père. Je suis là parce que tu es le leur ! (ma main désigna son fils et ses deux filles). Tu es intelligent et malin, Mallagome. Plus que tout le Conseil réunis. Mais ton manque de discernement pour l’avenir t’obscurcis l’esprit. Pense à ta lignée ! Quel sera le chemin des tiens ? Ton fils ne pourrait-il pas fonder un autre clan par-delà l’horizon. Ta fille ne pourrait-elle pas être la compagne d’un autre chef de clan ? Et à ce moment, quelles seront leurs vraies difficultés ? Où trouveront ils les paroles de leur père bien aimé pour les guider ? A travers la monnaie, lorsque tu ne seras plus que poussière, tes enfants, les leurs et toute ta lignée, auront un peu de ta lumière et de ta sagesse au creux de leurs mains.»
Silencieux, Mallagome me montra la sortie. En passant le rideau de la hutte, j’écrasais une larme.

Le lendemain avant même le lever du soleil, le feu de la forge éclipsait celui de tous les enfers réunis. Le village vibrait au rythme d’un marteau infernal. Le tas de minerai à côté de la forge diminuait à vue d’œil. Ceux qui passaient par là, le faisait sur la pointe des pieds en retenant leur souffle. Le travail dura jusqu’au lendemain midi. Alors que le feu de ma hutte crachait des volutes prenant des formes chimériques, j’entendis tomber lourdement un objet qui fit un tas de cliquetis inédits à l’entrée. Le temps que je reprenne mon équilibre au milieu des vapeurs de chanvre et traverse en grognant mon espace de vie, l’odieux individu à l’origine des perturbations avait disparus. A la place je trouvais un baquet en terre cuite débordant d’une myriade de petits éclats roux plus ou moins ternes. J’essayais de soulever l’objet mais j’en fus bien incapable. Je butais sur deux ou trois syllabes du sort de lévitation, et parvint non sans mal à mes fins : j’allais pouvoir regarder au calme le cadeau anonyme. Je plongeais la main dedans et en ressortais des pièces parfaitement rondes, plates et ciselées. Entre deux larmes, j’en approchais une de mes yeux : « Il a vraiment pas choisis mon meilleur profil ce petit con ! »
 
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Episode II.4.1

« En éducation, le plus important chez l’élève est la bonne volonté. Encore faut-il la semer. » (Louis Deniset)



« Le savoir-faire c’est bien. Le partager c’est mieux ! ». Voilà qui mettait fin à la conversation que je venais d’avoir avec cette tête de pioche de forgeron. Plus il prenait de l’âge, plus son crâne se renforçait. A croire qu’il tapait plus avec sa tête qu’avec son marteau celui-là. Bien sûr, il avait des circonstances atténuantes : sa moitié était passée beaucoup trop vite de l’autre côté de la lumière, lui laissant des enfants et beaucoup trop de chagrin sur les bras. Le Rite avait depuis longtemps donné des chemins au reste de la famille. Son fils vivait quelque part au-delà de la forêt et la plus grande de ses filles était partie au bras d’un riche marchand. Près de lui ne restait que la cadette vivant des produits de sa ferme. Elle n’avait pu se résoudre à laisser son père chéri seul au milieu du clan si vide de sens. Malgré quelques grains de sel dans ses cheveux, la musculature du forgeron restait celle de ses vingt ans. Le village s’était trop vite étoffé. En moins d’une vingtaine d’années, des nombreuses fermes, des marchands, des kilomètres de pistes et une taverne étaient venus planter le décor. Mallagome était devenu Venérable du Conseil. Sa place, plus que méritée, permis à plusieurs générations de prendre le chemin de la vertu plutôt que de la facilité. Parfois par une simple parole, d’autrefois avec plus de coup de pieds salvateurs.

La monnaie avait permis à tout un tas de curieux de venir prendre part à la vie du village, faisant croître l’influence du clan sur toute la région avoisinante. Il s’était même organisé une sorte de caravane qui faisait des allers-retours incessants entre les villages voisins pour partager absolument tout. Tout ? Pas tout à fait : Mallagome avait un savoir-faire unique et refusait de le transmettre cet entêté ! Je l’avais surpris les yeux pleins de larmes lorsque son fils lui annonçait son départ. Il caressait le rêve de lui transmettre le flambeau. Mais les chiens ne font pas des chats et rêvant d’aventure, le jeune Homme avait réunis quelques ados issus du Rite pour partir à la conquête de nouveaux horizons. Je ne pouvais pas laisser s’éteindre l’étincelle de génie qui illuminait mon diamant de fils :
« - Prends un apprenti, montre lui la voie du fruit de la pierre.
- Aucune chance.
- Pourquoi ?
- La famille, le clan. Tu connais ?
- Mallagome... Tu as eu la même réaction à propos de la monnaie. Penses à l’avenir du clan s’il te plait ! »
Il se renfrogna. Bien sûr qu’il était conscient qu’il lui fallait transmettre son savoir. Bien sûr qu’il savait qu’il n’était pas éternel. Mais un frein intérieur indiscernable l’empêchait de franchir le pas. Je n’avais pas d’autre solution que de le bousculer. Encore une fois… « Le savoir-faire c’est bien. Le partager c’est mieux ! » lui avais-je donc asséner, avant de renforcer magiquement la formule afin de l’enraciner dans son inconscient. Je fis demi-tour, impavide et empreint de toute ma qualité de dirigeant vénéré.

A quelques kilomètres du village, de l’autre côté d’un immense lac s’était développé une communauté de pécheur. Régulièrement, la caravane commandait des hameçons et autres outils à notre forgeron. A l’accoutumée c’était Vivion, un marchand ambulant, qui négociait le prix et le matériel nécessaire. Ce jour là, une fois la caravane posée, c’est un petit jeune homme d’une vingtaine d’année qui vint trouver Mallagome. Il expliqua qu’il était fils de pécheur, qu’il s’appelait Nisika, que les pécheurs allait bientôt se réunifier avec le clan du nord et que lui ne rêvait que d’une chose : s’installer loin de l’eau et de son ennui. Alors pour réunir l’argent nécessaire, il avait accepté de vivre temporairement du commerce de la caravane en prêtant main forte à Vivion. L’histoire résonna au fond de Mallagome : les dieux lui envoyaient le fils d’un autre pour pallier au manque du sien. Sculpté par les filets pleins à tirer, doré par les reflets du lac, Nisika avait pour lui son âge et ses cheveux roux. Un léger duvet loin de le protéger des embruns lui allongeait sa moue juvénile. Et si j’allais pousser un peu le destin à la roue pour une fois ? Je me mis en route à pas feutrés vers la forge.Un sourire dans les yeux, Mallagome tentait vainement d’aider le jeune homme à tenter de négocier :
« - A ce rythme-là, Vivion va y perdre sa roulotte, son stock et même sa chemise. Sans compter qu’il va te falloir plus d’une vie pour pouvoir t’offrir ta première bière à la taverne du coin. Le dieu du négoce ne t’a franchement pas dans ses bonnes grâces.
- Je ne savais même pas qu’il en existait un, répondit Nisika sincèrement désemparé.
- Pas plus que de dieu de la forge mon petit ! Mallagome éclata de rire. Malgré tout, je pense pouvoir intercéder auprès de ce dieu pour toi. Qu’en-penses-tu, vieux hibou ? »
Les sourcils presque levés au dessus du front, Nisika pencha la tête sur le côté. Puis il suivit le mouvement du Vénérable se tournant vers moi. Je fis mine d’être plus sourd qu’un pot de fleur :
« - Hummmm, oui, Forgeron Vénérable. Une question ? Un conseil peut-être ?
- (le regard du forgeron emplis de malice, il hurla en détachant toutes les syllabes) QUE-PEN-SES-TU-DE-CE-JEU-NE-HOM-ME ?
- Oui, bon, ca va. Inutile de crier.
- Nisika, voici Herazer, le chef-sorcier-chamane-hibou du clan.
- Respectueuses salutations sur toi, chef-sorcier-chamane.. euh… hibou ? répondit le jeune homme en s’inclinant.
- Herazer suffira grandement jeune homme, répondais-je de mauvaise humeur.
- Tu vois, Nisika, j’ai un principe fondamental : le savoir-faire c’est bien, le partager c’est mieux !»
Je sentis mes yeux s’arrondirent ! Non mais quel culot ! Il avait vraiment de qui tenir celui-là ! Et je compris soudain d’où la chair de ma chair me comparait au hibou. Un sourire se glissa bien malgré moi sur les lèvres. Je respirai et entrait dans son jeu :
« - Oui, c’est une pensée profonde pour un type qui martèle du bronze toute la journée. Je ne te connaissais pas cet esprit si fin !
- Visiblement, tu ne connais pas grand-chose de moi, Père.
- (nouveau grincement de dents de ma part) Eclaire moi donc !
- J’en aurai pour une semaine. Par contre, Nisika, cherche à s’installer dans le futur clan réunifié de l’autre coté du lac. Vu ses talents de négociateurs, je me disais qu’il me ferait un meilleur apprenti. Et qu’il apprendrait du même coup que la richesse nait de soi et non des autres. Qu’en penses-tu ?
- Que tu es bien le digne fils de ton père ! »
Le demi-compliment fit mouche comme le plus beau cadeau qu’il n’avait jamais reçu. Il se tourna vers le futur apprenti et lui tendis la main. Le futur forgeron, plongea son regard stupéfait dans celui de son futur maitre, puis plongea la main dans la sienne. Le rire est contagieux parait-il, je peux vous assurer que la fierté aussi.

Quelques vivats de témoins autour de nous alertèrent Vivion. Il coupa court à sa négociation, et se précipita vers nous à grandes enjambées. Un témoin lui résuma la scène. La colère prit plus de place que son visage. Nisika, l’apercevant devint blême. Vivion s’approcha de lui, se planta sur son coté, leva la main et... lui fit une grande bourrade dans le dos avant d’éclater de joie :
« - Tu vois, Grandame Megorna avait raison :
Ta voie sur ton chemin tu rencontreras,
Le plus grand trésor du clan nouveau tu deviendras,
Et la puissance divine tu disposeras ,ç
a fait déjà une rime sur trois. Et je sais que je te l’ai déjà dit, mais la Grandame ne se trompe jamais. »
Un sombre pressentiment me tomba le long de l’échine. Sans dire un mot, je regagnais mon intimité. Je saurai y retrouver toute ma lucidité.

Noyé dans les vapeurs de chanvre et imbibé de tisane de pavot - à moins que ce ne soit l’inverse - je m’interrogeais à voix haute :
« Grandame Megorna ? D’où sort-elle ? C’est qui celle-là ? Une bouseuse poisseuse cueillie au hasard sur le chemin ? Une poissonnière au verbe haut et la voix nasillarde? Une dirigeante de fortune tombée de son arbre ? Mais bordel : une femme ??? Pas que j’ai quelque choses contre, loin de là, mais ça serait la première à ne pas être dans l’ombre d’un grand Homme ! Une cheftaine qui, de plus, claironne des prophéties à tout bout de champs ! Sans que le clairon soit inventé en plus ! Et en prophétie j’en connais un rayon : il ne vous en sort même pas une tous les dix ans. J’ai presque quatre-cent-quatre-vingt-dix printemps et j’en ai proféré moins d’une dizaine ! Je vais devoir le tenir à l’œil notre nouvel apprenti. »
Logique : surveiller l’émissaire pour connaitre l’adversaire. Car tous mes sens me soufflaient qu’il s’agissait bien là d’un véritable adversaire. Adversaire non déclaré certes, mais travestis en agneau et sournois de surcroît. La jalousie, jumelle de la réussite, en bon charognard, venait survoler la plaine des innocents.
 
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Episode II.4.2


Bizarrement, Nisika était irréprochable. Ce qui confirmait mes soupçons. Qui pouvait bien être aussi parfait, à part moi ? Il apprenait juste, vite et bien, il ne rechignait jamais à la tâche, suivait les instructions à la lettre, et faisait la fierté de son patron. Fierté qui se lisait dans les yeux de Mallagome, pour celui qui savait le déchiffrer. Plus il était dur, plus Nisika se donnait corps et âme. Le forgeron l’hébergeait le temps de l’apprentissage. Tous deux partageaient gîte, couvert, et outils. Presque comme une famille. Presque comme père et fils. Au bout de quelques mois, l’apprenti travaillait seul à la forge pendant que le forgeron allait extraire du minerai. Un accord tacite qui leur permettait de prendre plus de plus de repos au bout du compte. J’avais soufflé à Mallagome d’attendre avant de révéler le lieu du filon, juste par prudence. Après un an et demi, mon fils estima que Nisika était prêt. Et sans trop savoir ce qui lui était passé par la tête, il avait décrété que l’équivalent du Rite devait être instauré pour valider le savoir-faire du jeune homme :
« - Ca lui permettra aussi de se sentir en confiance.
- C’est une idée intéressante. Et surtout révélatrice. C’est tout ce que le Rite t’a apporté à toi, Forgeron Vénérable ? La confiance ?
- Non, tu as raison mon Père, ça m’a aussi amené la vertu et un vieux hibou sans cesse sur mon dos ! La vertu, je m’y suis fait.
- Et donc c’est quoi ton Rite à toi ?
- En fait, c’est ta demande de bâton qui m’en a soufflé l’idée. Mais je vais lui faire faire quelque chose d’utile si tu veux bien : il va se forger ses outils ! Et s’il réussit l’épreuve, je l’accompagnerai pendant un temps pour rechercher un filon de bronze près de chez lui.
- En quel honneur ?
- Il va épouser ma fille. »
« Ben voyons, il t’aura vraiment tout pris celui-là : ton savoir-faire, ta vertu, ta fille… jusqu’à la place de ton fils. » pensais-je. Mais que voulez-vous qu’un père fasse depuis la rive quand le navire de son fils coule au large ?

Il était temps pour moi d’avoir un entretien avec Nisika. Et surtout de tenter d’en savoir plus sur la « Grandame ». J’avais bien questionné Vivion sur le sujet, mais le caravanier n’avait jamais rencontré directement la dirigeante. Ce qu’il savait de la prophétie de son ancien négociant éclair n’était que ce que Nisika et quelques pécheurs, témoins de la scène, lui en avait rapporté. Je trouvais Nisika qui terminait une série d’hameçon. Après quelques civilités d’usage, il ne me fut pas dur de lui faire raconter son histoire :
Megorna, la Grandame du clan des Abeilles venait souvent elle-même visiter les pécheurs. Elle était toujours accompagnée d’un petit homme, râblé, le regard sombre avec une énorme verrue sur le nez. Le jour de ses onze ans, Megorna vint en visite. Tirant un lourd filet depuis la rive, Nisika se retourna en entendant une certaine agitation derrière lui. Plus au loin, il voyait la dirigeante livide, les yeux fermés, comme statufiée, dont seules les lèvres remuèrent laissant passer une voix caverneuse :
« Les Abeilles offrent l’immortalité dans l’hydromel,
Les Poissons insufflent sagesse et intelligence dans le monde,
C’est en réunissant les féconds et les belles,
Que foisonneront les terres et les ondes.
»
Puis elle défailli, rattrapée de justesse par le conseiller et quelques gardes. De ses souvenirs d’enfant, Nisika n’avait rien compris aux paroles insensées, mais il ne devait jamais oublier l’impression que Megorna avait fait sur lui. Depuis ce jour-là, les pécheurs étaient devenus plus renfermés et plus sombres. Les pêches étaient moins fructueuses d’année en année. En grandissant, il n’avait revu que le conseiller à la verrue. Deux fois par an, celui-ci s’enfermait de longues heures avec le conseil. Puis il ressortait, toujours l’air contrarié. La dernière fois qu’il l’avait vu, c’était l’année précédant son arrivée chez nous. Il sortait à nouveau d’une réunion. Cette fois-là avait particulièrement marqué le jeune apprenti, car la verrue qui semblait avoir doublé de taille ne parvenait pas à cacher le sourire particulièrement carnassier du conseiller. Le lendemain, on apprenait que pécheurs et villageois, à l’unanimité du conseil, et en accord avec le digne représentant de la Grandame, allaient s’unifier. Il n’en fallut pas plus pour voir là l’opportunité de quitter les travaux de la mer et leurs lots quotidiens : danger, pénibilité, pauvreté, ennui… Le jeune homme, qui avait entendu beaucoup d’histoire sur la réussite des marchands par le conseiller de la Grandame, avait trouvé enfin sa voie. Il fit ses préparatifs ; la caravane de Vivion devait passer par là la quinzaine d’après.

Le marchand ambulant fut précédé deux jours avant par la Grandame. Le plus étonnant c’est que dès son arrivée elle questionnait tout le monde pour trouver : « Nisika au destin de roi ». Le conseiller n’avait visiblement pas suivi. Nisika devait apprendre plus tard qu’il était mort dans la nuit qui avait suivi le conseil pour la réunification. Le jeune homme fut amené devant la dirigeante par la moitié du troupeau de pécheur. L’autre moitié attendait impatiemment la suite des évènements. Nisika découvrait Megorna pour la première fois. Ses cheveux bleus nuits en longue cascade rehaussaient un visage aux traits fins. Les pommettes saillantes l’emportaient sur une délicate fossette au menton. Mais ce qui l’avait plus marqué c’était ses yeux. Deux grandes roues de feu plus sombres que la nuit qui irradiait. Dans la pupille semblait danser des nuances à peine plus claires dérivant sans cesses selon des courants aléatoires. Au centre de la mer de l'iris brillait une intelligence sombre, une puissance qu’il aurait qualifié de divine si un certain malaise ne l’avait pas saisi. La cheftaine portait une longue robe sombre cousue de fils cuivrés, une cape voletant à contre-courant et portait un collier d’obsidienne dont le pendant attirait le regard sur la naissance de ses courbes parfaites. Se trouvant face à lui, elle lui révéla l’émail le plus pur sur les canines les plus longues qui lui eut été donné de voir. Il voulait fuir, mais se sentait happé par la beauté sombre et mystérieuse qui lui souriait. Elle tourna autour de lui trois fois, puis rivant ses yeux dans le sien elle lui fit cadeau de la prophétie. Nisika la ressentis à la fois comme un poids et une étoile veillant sur lui. Un sentiment de destinée pris racine en lui et il savait déjà que la respectueuse Grandame Megorna recroiserait sa route. Pour le meilleur ou pour le pire. Il crut l’espace d’un battement de cœur lui appartenir à jamais. Puis le charme s’enfuit lorsqu’elle lui tourna le dos. Il pus à nouveau respirer et crut que le jour renaissait en plein midi. Les couleurs autour de lui reprirent place plus lentement qu’il n’aurait fallu. Elles étaient toutefois restées un peu terne depuis. S’ébrouant pour reprendre pied, il alla vérifier que tout était en ordre pour son départ. La suite je la connaissais.
 
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Episode II.4.3

“Si Christophe Colomb n’avait rien découvert, Kennedy serait toujours vivant.” (Francis Blanche)


« Il revient !! Il revient !! » Voilà les cris qui me tirèrent de ma divine sieste. Si je tenais le petit sacripant qui … « Oh bon sang ! » m’écriais-je en passant la tête par rideau de ma hutte chamanique. La silhouette qui s’avançait à l’entrée du village ne pouvait être que mon fils. Enfin. Après deux ans d’absence. Le connaissant, j’allais plutôt le laisser se poser avant de lui souhaiter la bienvenue. Inutile de faire face à son irritabilité de suite. Je retournai dans ma hutte achever ce que j’avais si bien commencé.
Les pieds planté sur un rocher, les bras écartés, je fixai cette île inaccessible sauf à ceux dont la Magie coulait dans les veines. Merlin, mon frangin adoré, vivait là avec sa belle et lumineuse dame Viviane du Lac. Dans l’intimité pour l’éternité. Paradis ou Enfer ? Soudain, je vis enfler une vague immense venant vers moi. Haute de deux fois ma taille, elle courait à la vitesse d’un cheval au galop. Elle suspendit sa couse au-dessus de ma tête afin de rassembler toute ses forces pour se laisser tomber. Elle allait m’écraser sur le rocher comme on écrase un fruit trop mûr sous son pied. Je cherchais des yeux mon bâton mais ne le trouvai point. Sans Magie, point de salut. Dans un réflexe bien humain, je levais mes bras devant mon visage. Aucun cri ne pus franchir mes lèvres. C’était ma fin !
« Alors vieux hibou, toujours en train de méditer ? ». J’ouvrai les yeux, prenant conscience que Mallagome se tenait face à moi, un sourire unissant ses oreilles. Il tenait une timbale à la main. Ma barbe ruisselait sur mes draps, de l’eau clapotait à mon oreille, et mon odorat me disait que du thé au chanvre était tout proche. Mon visage était trempé ?! Je me jetai sur lui : « ESPECE DE FILS DE COCHON ! ». Juste avant de le serrer dans mes bras, le regard humide. Il me tapota le dos, et se dégagea de mon étreinte avant de reprendre ostensiblement une grande inspiration. Puis, il me fit un clin d’œil et sorti sans un mot. « Fils de cochon ? Mais non, hibou ! » cria-t-il avant d’exploser de rire en s’éloignant.

La taverne n’était sans doute pas l’endroit le plus calme pour entendre une histoire, mais je voulais un air de fête pour nos retrouvailles. Mallagome dévora littéralement son repas, puis il commanda une bière avant de me conter ses deux dernières années. Après avoir forgé ses outils, Nisika, sa femme et le forgeron avaient profité de la caravane pour remonter vers le clan des Abeilles. Ils avaient construit tous les trois une petite maison en bois au toit de chaume à l’écart de la ville. La maisonnette fut finie juste à temps pour l’arrivée d’un heureux évènement. Finalement, Nisika n’avait pas été aussi innocent que je le croyais. En quelques mois, un filon de cuivre pur s’était révélé dans les montagnes avoisinantes, et on y avait aussi découvert un autre métal nommé étain. Le cuivre était plus tendre que le bronze natif de notre clan. Aussi, Nisika eut l’idée de mélanger les deux métaux et parvint à produire un bronze plus résistant. Il partagea sa découverte avec Magallome. Le maitre devint apprenti quelques temps. A eux deux, ils perfectionnèrent la matière et les techniques. La main du père dans la main du fils adopté. Mallagome serait revenu plus tôt s’il n’y avait pas eu son petit-fils sur place. La famille est un trésor dont jamais on ne se lasse. Après un an, ils eurent la visite du nouveau conseiller de « son illustrissime Grandame ». Elle les invitait à sa table pour un banquet traditionnel : « L’anniversaire de la réunification ».
« - Alors tu l’as rencontrée ? Comment est-elle ? A quoi elle ressemble ?
- Je ne sais pas, me répondit mon fils
- Comment ça tu ne sais pas ?
- La veille, je suis tombé malade. Une saleté d’abeille m’a piquée dans le cou et j’ai gonflé. J’avais du mal à respirer et j’ai bien cru que j’allais rejoindre ma douce. Heureusement, Nisika s’est pointé avec un onguent de Megorna et ça m’a sauvé la vie.
- Mais !? Comment Nisika a eu l’onguent ?
- Il parait que le conseiller de la Grandame s’est pointé à la maison deux heures après la piqure, lui a tendu en disant de faire vite et s’en est retourné. Par contre, mon gendre y est allé, lu,i au banquet. Il est revenu encore plus saoul qu’un certain chef-chamane que je connais. C’était la première fois que je le voyais comme ça. J’ai eu beau lui plonger la tête dans l’eau froide, rien n’y a fait. Et je peux te dire que ma fille n’était pas prête de me faire autre petit fils après cette histoire. Sans parler des discussions un peu hautes en volume et de l’ambiance plutôt malsaine de la maison. Mais que peut faire un père…
- Depuis la rive lorsqu’il voit couler le bateau de son fils, ajoutais-je dans un élan de tristesse. – puis je réagissais- Comment ça l’onguent de Megorna ? »
Question qui ne trouva qu’une réponse : un haussement d’épaules de Mallagorme. Depuis le banquet, Nisika avait changé, il était plus morne, moins enjoué. Il souriait peu, et semblait avoir sur ses épaules une cape noire qui le bridait sans cesse. Il eut l’idée de créer trois sortes de pièces pour améliorer le système de la monnaie : cuivre, étain et bronze. Il avait dit en avoir eu l’idée en discutant avec la dirigeante au cours du banquet. Il était reparti au village présenter son idée avec des pièces de chaque sorte en expliquant l’intérêt de diviser les valeurs. Il en était revenu transporté. Le lendemain, le conseiller de la Grandame lui décernait un titre honorifique –de pacotille d’après le forgeron- et, surtout, une place au conseil. Le maitre forgeron n’en était pas peu fier. Nisika revint à sa nature première le lendemain de sa nomination. La situation entre les jeunes mariés enfin apaisée après quelques semaines, Mallagome avait pris le chemin du retour.

« Oh, Vivion, t’as une réponse pour moi ? » Le marchand vint à la rencontre du forgeron. Il le salua, et lui fit un signe positif de la tête.
« - Tous les trois ? Tu es sur ?
- Mais oui puisque je te le dis. Ton fils m’a dit qu’il se mettrait en route dans deux jours pour être sûr de ne pas rater la date. Et c’est moi en personne qui te ramènerai les autres ! »
Mallagome assénât au marchand la plus grande claque dans le dos de l’histoire de l’humanité. Puis il lui posa la main sur l’épaule en lui soufflant un grand « merci ». Témoin de la scène, je sentis mon cœur faire un bond de joie dans la poitrine. Ainsi le forgeron aurait autour de lui tous ses descendants pour le solstice d’été. Non, cette fois ci je ne pleurerai pas ! Ou alors, juste une larme. Juste une. Ou deux…

Le Vénérable Forgeron avait sollicité la moitié du clan pour faire de cette réunion un instant d’exception. Trônant dans un champ, décorée de mille et une fleurs, un table supportait des bougies qui scintillaient, reflétant les lucioles en quêtes de partenaires. Un peu plus loin, des flammes léchaient un porcelet. A ses cotés, la plus grande de mes arrières petits-enfants racontaient des histoires à des plus jeunes, tout en jetant un œil sur un berceau. Un barde jouait distraitement pour quelques enfants et la forêt. Les rires et les anecdotes des adultes troublaient le bruit des brocs qui s’emplissaient sans cesse à des tonnelets plus lointains. Le tavernier avait accepté de s’occuper des contingences de la fête. Il avait reçu en paiement deux douzaines de gobelets de bronze. Les jeunes gens qui servaient avaient décoré la table, posé les bougies, nettoyé le champ de ses mauvaises herbes, lavé les nappes et démarré le feu. Ils virevoltaient pour l’heure dans une danse gracieuse et périlleuse afin que rien ne manque. Mallagome était tout simplement heureux, couvant des yeux son plus fabuleux trésor qui l’entourait. Un peu plus loin, revenant d’un moment d’isolement poussé par la nature, je fixais dans ma tête cet instant de pur bonheur. Est-il vraiment utile de vous dire qu’un moment pareil vous fait sentir combien certains vous manquent ? Tout ce beau monde s’endormi à son rythme : les enfants là où ils tombèrent d’épuisement et de rire, certains couples à l’abri de la forêt, et Mallagome la tête sur la table. Moi, je reposais mes yeux assis au bord des braises.

Je fus tiré du sommeil trop léger par un cri au loin. Ou mon intuition ? Je me levai. Mallagome n’était plus là. Un instinct de danger me titillait. Traçant une rune dans l’air, je localisai Mallagome au loin dans la forêt. Juste au pied de l’arbre où, bien longtemps avant il avait reçu une punition de ma part. Il n’était pas seul mais je n’arrivais pas à discerner qui lui faisait face. Je me mis à courir vers lui. Essouflé, ma course prit fin en reconnaissant son dos. Face à lui se tenait un Nisika que je ne connaissais pas. Sa carrure avait doublé. Ses yeux étaient plus sombres que la nuit. Les traits déformé par la rage, il se tenait légèrement penché en avant, prêt à bondir. « Tiens voilà ton petit papounet de magicien chéri ! », ironisa l’ancien apprenti sur un ton de fausset. D’instinct, Mallagome se tourna vers moi. Son adversaire en profita pour bondir sur lui, bras en avant. Un éclat métallique dans sa main : un couteau de bronze. Avec un cri de surprise, j’attrapais l’épaule de mon fils et le tirai hors de la trajectoire. Le forgeron se ressaisis et balança son poing de toute ses forces dans le ventre de Nisika. Un sinistre craquement précéda un horrible cri de douleur. Mallagome venait de se briser des doigt et le poignet. Il s’agenouilla de douleur tenant son poignet de l’autre main. Sans que j’ai le temps d’intervenir, l’autre lui tira les cheveux en arrière et lui entailla la gorge. J’allais le tuer ce démon ! De mes propres mains. La rage qu’avait connu Mallagome ne serait rien à côté de ce que j’étais capable de faire à l’aide de la Magie. Je voulus lever mon bâton tout en invoquant une onde destructrice. RIEN ! Je ne pouvais plus bouger. "PARALYSE DES PIEDS A LA TETE ! COMMENT EST-CE POSSIBLE ?" Ma voix criait dans ma tête sans qu’aucun son ne sorte ! Je voyais un reste d’étincelle de vie dans les yeux de mon diamant. Il me regardait incrédule, sans comprendre que je ne bougeait pas. Nisika s’approcha de Mallagome et lui posa une main sur la joue :
« Oh, le pauvre. Il a la main brisée. Et le poignet aussi. Ca doit faire mal ! Mais mon cher maître forgeron vénérable, il faut parfois réfléchir avant d’agir. C’est ce que j’ai fait moi. (Il releva sa chemise exhibant face au mourant un plastron de bronze.) Mais rassures toi, tu peux mourir en paix. Ton savoir-faire est entre de bonne mains : (dans un sourire dévoilant toutes ses dents) les miennes ! Maintenant, la Grandame t’autorise à passer de l’autre côté. » Mallagome s’écroula dans un froissement de feuilles mortes qui déchirèrent mes oreilles. Je poussais un grand cri qui ne résonna que dans ma tête. Puis, Nisika se plaçai tout près de mon oreille pour m’y susurrer son venin :
« He oui, vieux singe… non, pardon « vieux hibou ». Tu à assisté, bien impuissant, à la mort de ton fils chéri. Au fracas de ton diamant contre ma puissance. Vivion l’avait bien dit que la Grandame avait toujours raison. Elle m’avait prophétisé la puissance. Je t’ai toujours sentis incrédule à ce propos. Hé bien, maintenant, tu en as la preuve. Ha, au fait, Grandame Megorna, est juste là, derrière. C’est elle, « la poissonnière au verbe haut qui claironne ses prophéties à tout bout de champs », qui te maintiens dans cet état de paralysie. Elle te fait dire qu’il vaudrait mieux que tu gardes tes insultes pour toi la prochaine fois. Evites qu’elle dépasse ton crâne de piaf, elle entend tout. Absolument tout. Et elle te salue bien bas. » Il fit une courbette, me mit trois petites claques sur la joue avant de passer dans mon dos. Je forçais pour pouvoir me retourner. Rien n’y fit. Les trop longues secondes où je fus obligé de regarder le corps de mon fils renforcèrent la rage qui bouillonnait au fond de moi. Mallagome était mort mais moi j’étais en vie. Et je n’étais pas n’importe qui ! Le flot de la vengeance montai et renforçais mon énergie. D’un coup, l’enchantement explosa comme une tête sous le marteau de Mallagome. Je me retournais hurlant toute ma rage. Je vis le dos de Nisika au coté d’une longue chevelure nuit posée négligemment sur une longue cape noire.
« GRANDAME MEGORNA! TU NE SAIS PAS QUI JE SUIS ! NI DE QUOI JE SUIS CAPABLE ! JE VAIS TE FAIRE SOUFFRIR ! ENCORE PLUS QUE JE N’AI SOUFFERT ICI ! JE N’AURAI NI PITIE , NI MERCIE » Nisika se retourna, me fit un petit salut de la main, pris la main de Megorna, et il s’évaporèrent littéralement dans l’air.

Je tombais à genoux près du cadavre de Mallagome. Alerté par mes cris, la femme de Nisika me trouva. Elle se mit à pleurer. Je posais sur elle des yeux emplis de détresse. Elle prit mon bras, m’aida à me relever et m’accompagna jusqu’à un lit ou je m’écroulais deux jours entiers. Le bucher funéraire de Mallagorme fut érigé sur un bateau. Toute la famille était là, réunie pour son dernier voyage. Le bateau se décrocha seul de la rive puis s’enflamma à quelques mètres du bord. Je le regardai se consumer jusqu’à la fin. Les flammes me renvoyaient l’image de Nisika me faisant un signe d’adieu avant de s’évaporer avec sa sorcière. A la nuit tombée, je me rendis chez mon fils, et mis le feu à sa hutte. Puis, de mes mains, sans aucune aide de la magie je bâtis un autel de deux fois ma taille. Au pied j’y déposais une coupe en bronze que Mallagome m’avait offert. Le soleil levant vint écraser un reflet sur la coupe. Je me recueillis un instant, me levais et me dirigeais vers la ferme de la cadette de feu le forgeron Venerable. Pour l’instant, l’heure était à s’occuper des vivants.

 
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Episode III

"Ce ne sont pas les sociétés qui font des erreurs, ce sont leurs dirigeants" (Michaël Kami)

A l’instant même où s’étaient évaporés les deux monstres de la forêt, la réalité avait pris trop de consistance : elle m’étouffait. Je ne connaissais plus ni lumière, ni chaleur. Respirer était une lutte perdue d’avance. Le temps s’était engagé dans une course folle que je ne pouvais gagner. La mort de Mallagome avait fait germer un lierre qui s’accrochait à chacune de mes décisions. Il enfonçait ses racines au plus profond de mes certitudes sapant la moindre de mes convictions. Ca n’était pas la première fois que j’étais confronté à la perte d’un être cher. Mais c’était la première fois que je n’arrivai pas à y faire face. En une fraction de seconde, j’avais perdu plus que moi-même, sans en être responsable ? Pas responsable ? Vraiment ? N’avais-je vraiment pas joué le moindre petit rôle ? Qui avait sans cesse un œil sur un gamin kleptomane à l’esprit affuté ? Qui était intervenu, poussant les outils du forgeron à façonner de magnifiques pièces déposées devant ma hutte ? Qui avait poussé à la roue pour qu’il prenne apprenti ? Qui l’avait abandonné deux ans, seul, au clan des Abeilles, alors qu’il avait des soupçons plus que fondé sur la « Grandame » ? Qui avait cru par orgueil que son fils, son diamant, était de taille à se défendre contre des forces obscures ? Qui avait fait naître la main du monstre saignant mon fils comme un vulgaire animal ? Qui, par orgueil, pensait pouvoir propulser l’humanité au firmament étoilé sans efforts, sans obstacles ? Qui, par naïveté, avait eu plus confiance en la bonté de la nature humaine que lui-même ? Qui ?

Pourtant, j’aurai pu tirer la leçon de l’expérience de mon frère Merlin. Au début, philanthrope, il avait par un temps conseillé les plus grands meneurs de son époque sans jamais pouvoir en tirer une avancée réellement bénéfique pour leurs contemporains. Alors il se forgea un outil : Arthur. Il voulût en faire un exemple, un phare auquel chacun pouvait se fier. Mais la lumière du phare attirait dans son sillage les oiseaux et les nuées papillons de nuit. Ces derniers tiraient des flaques d’ombres, masquant les écueils sur les chenaux pourtant les plus éclairés. Lorsqu’il pensait qu’Arthur pouvait mener sa barque, il se retira du monde pour vivre temporairement sa vie avec sa belle. Un enchanteur n’est pas un Dieu, c’est avant tout un homme, qui a aussi le droit de souffler un peu. Le grand Amour de Merlin était la fée Viviane, la Dame du Lac. Une créature innocente à qui il donna tout. Son corps, son cœur, son âme, sa confiance et le plus infime de ses secrets magiques. Dame Viviane, l’enferma chez elle, par erreur disait-on. Elle s’est servie des neuf anneaux, une technique que mon frère lui enseigna, pour retenir l’objet de ses Amours en son domaine. Et, encore aujourd’hui, elle se dit impuissante à la levée du sort. Plutôt pratique comme excuse l’innocence, non ?. Jalouse ? Jalouse de qui ? De quoi ? Seule la Dame du Lac pourrait vous répondre. Si l’envie lui en prenait bien sûr. Ne pouvant s’échapper d’Avalon, Merlin fit appel à moi pour finir son boulot. Son sale boulot. Sous son apparence. Même si je n’avais pas grande sympathie pour lui, c’était tout de même mon frère. Alors, sous ses directives, je mis fin lentement à la légende de « l’homme des bois ». Il ne reste plus aujourd’hui que des mythes et des légendes toutes embrouillées et incohérentes. L’imagination des Hommes est un terreau fertile pour les rêves et les espoirs. C’est après ça que j’avais décidé de me reposer, une besace sous la tête, lorsque de présumés humains dépenaillés étaient venu troubler ma sieste. La suite vous la connaissez.

Je devais tirer la douloureuse leçon des échecs de ma fratrie. J’établis un plan. Enfin quelques règles élémentaires : ne plus s’impliquer pleinement dans la vie des Hommes, être plus observateur que dirigeant, agir par petites touches incognito et surtout, surtout : ne plus jamais m’attacher. Ca faisait vraiment trop mal. Après avoir rendu hommage à mon fils, j’aidai sa cadette à repartir du bon pied et la confiait aux bons soins de son fils. J’aidai au choix d’un nouveau Vénérable et me retirait du conseil. Et du clan. Ma hutte chamanique vint à être déplacée près de ma grotte au climat tropical. Puis, j’apprivoisais la solitude. Mais pas la douleur de la culpabilité. Je laissais le temps faire son œuvre, me plongeant dans le deuil, l’amertume et la dépression. Je délaissais de plus en plus la hutte, jusqu’à ne plus l’occuper. En moins de cinq années, elle devint une ruine. En dix ans, il n’y en avait plus aucune trace. A force d’espacer mes visites, les nouveaux du clan me prirent pour un étranger. A l’occasion, je fréquentais la taverne sous la grâce d’un sortilège d’illusion, me faisant passer pour un des nombreux marchands ambulants qui pullulaient. J’aiguillais les conversations sur moi-même, enfin mon autre moi. Au fil du temps, je passais de fondateur Demi dieu aux sages pouvoirs à Ancien blessé par la vie devenu ermite, puis à souvenir restant à quelques irréductibles descendants, pour finir légende moralisatrice pour la jeunesse. Ouf, on m’avait évité de devenir croque mitaine. Il avait à peine fallu un siècle pour m’oublier. C’était beaucoup plus sage ainsi.

Pour avancer, j’avais le choix entre me couper littéralement du monde ou voyager. Merlin avait choisis l’isolement, je prenais donc la tenue du voyageur. Je démarrais mon périple à la lisière du domaine de la fée Viviane. Mon frère vint à ma rencontre. Sans un mot, il me prit contre lui, murmura une bénédiction et s’écarta de moi. Puis, une larme au coin de l’œil, il me fit un grand sourire triste et s’en retourna dans sa prison. Je le remerciai intérieurement, serrai mon bâton et empruntai un sentier invisible menant à la lisière de la forêt. Alors que je posais le pied hors de Brocéliande, une voie douce et féminine m’insuffla courage et apaisement. La Dame du Lac attendait vraiment toujours le dernier moment pour se manifester.

J’allais par monts et par vaux, traversant les mers et les océans, ne restant jamais plus d’une vingtaine d’année sur place. Je découvrais de multiples paysages essaimés de cultures ô combien variées. Chaque peuple y allant de sa merveille : les pyramides, les samouraïs et le code de l’honneur, l’art de la musique, la poudre, la guerre, les statues, l’astronomie, la philosophie, les bibliothèques, l’humour… Il m’arrivait de poser une pierre à un édifice par quelques conseils, par magie ou en partageant mes connaissances. Puis je décidai que j’avais le mal de mes racines. Le souvenir de Mallagome et sa culpabilité étaient toujours présents, mais dilués dans une montagne d’images, d’expériences et de savoirs nouveaux. Il était temps de faire face et de rentrer. Je revins à l’île d’Avalon plus lentement que je ne l’aurai voulu, presque à reculons. Sans même avoir à m’annoncer, je fus accueilli à bras ouverts par mon frère, ce prisonnier involontaire :
« - Alors mon vieux, comment se porte le monde ?
- Mieux que ta bedaine en tout cas.
- Que veux-tu, le temps passe et l’inactivité laisse des traces, fit Merlin levant ses mains en signe d’impuissance.
- Désolé, je n’ai pas eu l’occasion de t’acheter un souvenir.
- Les tiens me suffiront ! »
Viviane et Merlin me laissèrent leur conter mon périple et ses merveilleuses découvertes sans m’interrompre une seule fois. Il m’accueillirent des jours entier où je partageais le bonheur de cette prison dorée. Un soir alors que sa blonde était partie se reposer, mon frère entreprit de me sonder :
« - Et Mallagome ? Enfin, comment…
- Ca va. C’est moins… douloureux. Je me convaincs que toutes les expériences ne sont pas forcément positives, mais qu’elles nous font toujours avancer.
- Jusqu’au bout du monde visiblement. Quel chanceux tu es, dit il dans un soupir. Tu te sens toujours coupable ?
- Coupable ? Mais je le suis coupable ! (je sentais le feu de la colère se déverser de mes lèvres). C’est moi qui n’ai pas su assez me méfier de la Grandame ! C’est moi qui l’ai poussé à faire ces pièces et prendre un apprenti…, ma voix s’enrouait. C’EST MOI QUI N’AI PAS SU LE PROTEGER ! hurlais-je dans un sanglot.
- (dans un murmure) Quand la forêt brule, tu ne peux pas en sauver tous les arbres, Lermin. »
Je restais sans voix, les yeux ronds, comme un hibou aurait dit mon diamant de fils. Je serrais mon bâton de toutes mes forces, comme une dernière tentative de résistance à l’évidence. Puis l’eau de ma conscience fit craquer le barrage de ma culpabilité ! J’avais fuis mes responsabilités, fuis les miens, fuis le monde, m’était abreuvés de connaissances utiles et inutiles, de paysages lointains et inconnus, d’expériences fabuleuses pour noyer LA seule et véritable leçon primordiale : j’étais JUSTE un humain ! Malgré ma bonne volonté, mon intelligence, ma sagesse, mes intuitions, ma Magie, et le reste, mes possibilités se borneraient toujours à la limite de ma nature humaine.
En une phrase, Merlin avait fait pour moi ce qu’il était incapable de faire pour lui : il m’avait ouvert les portes de la prison dorée qui je m'étais bâtie. Il aurait pas pu le faire plus tôt cet empoté ?
 

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Episode IV

« Le problème des dirigeants est inévitablement : qui jouera le rôle de Dieu ? (Frank Herbert / Dune)



Avez-vous déjà eu le sentiment de connaitre un endroit sans n’y avoir jamais mis les pieds ? C’est ce qu’il m’arriva lorsque j’approchais de ma grotte refuge. Sauf que moi, j’étais déjà venu. Mes yeux reconnaissaient sans problème le lieu protégé par mes soins, mais mon cerveau se demandait pourquoi l’entrée était ouverte ? Dans mon souvenir, je l’avais scellée avec du granit dans un rituel que je pensais inviolable et plutôt couteux en énergie magique. Absolument personne ne connaissait l’endroit. Je m’ébrouais en regardant de plus près l’entrée ovoïde donnant sur des ténèbres pas si lointaines. D’un côté de l’ouverture, était sculpté un homme fin et assez grand, bouclé et barbu, tenant un long bâton avec, à ses pieds, un chien à trois tête !? De l’autre, une femme à la couronne de blés portait une grande corne de bélier d’où jaillissaient moult fruits et légumes !? J’en étais à me demander à quand remontais mon dernier thé de chanvre quand je fus interrompu par une voix de fausset dégoulinante de fierté :
« - Ils sont beau n’est-ce pas ? Je trouve que j’ai particulièrement réussis Hadès, vous ne trouvez pas ?
- C’est lequel Hadès ? L’efféminé à la barbe ou la femme qui rit chaque fois qu’elle se brûle ? »
Je me retournai vers lui, un sourire bienveillant aux lèvres malgré tout. L’horreur incarna son visage de manière comique. Puis il détala plus vite que ses jambes ne lui permettaient en hurlant « Sacrilège ! La colère d’Hadès et de Demeter vont s’abattre sur nous ! » Haussant les épaules, je me dis que j’étais sans doute parti trop longtemps. J’avais juste hâte de retrouver mon foyer, mes fruits, et surtout ma douce tranquillité. La tranquillité, cette tendre moitié chérie et solitaire qui m’était restée fidèle malgré le poids des années ; celle sur qui je pouvais compter pour me ressourcer, pour nourrir mon âme, pour apaiser mon cœur et qui jamais, ô grand jamais, ne saurait me contrarier puisque véritablement silencieuse. Une épouse muette et presque parfaite pour moi.

Je fis quelques pas prudents, le temps que mes yeux s’habituent à la lumière. Ils n’eurent pas trop d’effort à faire : un grand foyer bordé de pierres contenait de grandes flammes. Un puis avait été creusé juste au-dessus pour permettre l’échappement de la fumée. Derrière, au pied de mes plantations étaient déposés, sur des rouges coussins luxueux, de nombreux objets hétéroclites dont une certaine quantité de pièces dorées. Un peu à l’écart, se tenait en tailleur une jeune femme décharnée en robe vestale blanche et aux cheveux qui auraient largement mérités un lavage, une taille et un épouillage. Elle chantonnait une complainte sourde et lancinante. A ses pieds, un petit brasero couvert dégageait une légère fumée blanche que son nez cherchait à aspirer en entier. Je la regardai d’un œil torve, voire malsain. Elle ne semblait pas être consciente de ma présence. Sa main vint à soulever le couvercle, à balancer quelques feuilles dans le brasero, puis elle remit le couvercle en inspirant à fond. Mon nez se plissa en percevant l’odeur venant du brasero. Cette petite inconsciente se sniffait MA réserve de chanvre ! C’en était trop pour un retour ! Je devais prendre des mesures. En premier lieu : déloger la squatteuse, et manu militari ! Ensuite : remettre bon d’ordre dans ce … capharnaüm, reflet semblable à ma vie du moment. La petite inconsciente, un sourire béat aux lèvres, leva ses yeux brillants vers moi. Elle prit une nouvelle inspiration et me lança de sa voix la plus grave :
« - Qui vient troubler la méditation de la Pythie ?
- De la pi…quoi ? fis-je à voix basse, tendant l’oreille.
- Qui veux-tu qu’Hadès, Dieu des Enfers, accueille avec bienveillance, vieillard ? »
VIEILLARD ? Rontondjuuu…. Alors Hadès c’était bien l’efféminé en fin de compte, hein ?
« Attends squatteuse, je vais t’en donner moi du "Dieu des enfers" » susurrais-je.
Je me concentrai sur le feu : l’intensité de celui-ci se décupla d’un coup. La pythie surprise, eut un mouvement de recul. Je fis naitre un vent modéré au sein de la caverne. Les cheveux trop longs de la femme volaient en tous sens alors que ses mains tentaient de les contenir. Le brasero se renversa. Plus loin quelques offrandes commençaient à se déplacer sur le sol. Plein d’une inspiration "divine", je fis naitre une illusion de flamme dans mes yeux. Ils vinrent s’ancrer à ceux de la femme effrayée. Puis je me modulais une voix de circonstance : grave, caverneuse avec un léger écho lointain. Un sourire malsain naquit sur mes lèvres. Sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche, ma voix vînt du fond obscur de la grotte, amplifiée par l’acoustique des lieux :
« Ne me reconnais-tu point, pauvre petite créature sans importance ? ».
J’eu presque peur moi-même. Je vis le regard de la pauvre femme terrifiée se fixer quelques secondes sur mon bâton, puis ma barbe avant de réaliser que de vraies flammes dansaient dans mes yeux. Affolé son regard semblait chercher quelque chose à mes côtes. Un chien à trois tête sans doute. Elle ouvrit la bouche, la refermât, puis l’ouvrit à nouveau :
« Ha… Ha… Hades ? »
Sa voix peinait à couvrir le bruit des flammes avivées par le vent. Je lui répondis toujours du fond de la grotte sans remuer les lèvres:
« - Cela t’étonnes-t-il qu’un Dieu visite ses soit disant serviteurs? Serviteurs qui se sont accaparés, sans croire bon l’en avertir, une partie de sa demeure sacrée ? Un lieu de repos, bénit également de sa femme ! (oups, je n’étais pas sûr que celle taillée dans la roche représentait « ma femme »… mais bon trop tard. Comment avait dit le courageux artiste tout à l’heure ? ha oui : ) Demeter. Toi et les tiens avaient profané notre domaine sacré, et il est temps pour nous de venir le reprendre.
- Mais… Dieu vénéré, qui m’avez guidé de votre lumière, Hécate en personne est venue pour nous ouvrir le chemin !
- HECATE !? Comment ?
- Oui, seigneur, dit-elle dans une posture servile à l’extrême. Elle nous a dit que vous l’aviez envoyée pour que nous puissions vous rendre hommage à condition de faire de ce lieu sacré un temple et que je soit votre pythie.
- Hé, bien voilà chose faite. Et qui prend fin sur le champ. Je reprends maintenant possession de mon royaume. Dorénavant, nul humain ne saurait le souiller sans subir ma colère. Sauve-toi ! Et remercie Hécate de pouvoir encore disposer de ta misérable vie. »
Peut-être en avais-je fait un petit peu trop ? Mais aux grands maux, les grands sortilèges. Hadès était un dieu après tout. Petit à petit, je fis cesser tous les enchantements. Le feu et le vent s’apaisèrent rapidement au sein de la caverne. Puis j’invoquais en langue démonique l’esprit de la roche pour refermer le puis d’évacuation. Les roches crissèrent avant de masquer totalement la lumière du jour. Non mais quels sagouins ces gens là ! Franchement ! La lumière du feu, fatigué d’avoir trop donné quelques minutes avant, restait la seule à jeter quelques rayons essoufflés sur mes plantations. Elles semblaient ne pas avoir trop souffert de mon absence. En dehors du chanvre, bien évidemment ! Il allait me falloir des mois pour renouveler le stock. Si je tenais la fameuse « Hécate » entre mes mains, elle passerait un mauvais quart d’heure ! On n’a pas idée d’autoriser des gens à venir squatter chez les autres, non ? D’ailleurs, qui c’était cette fameuse "Hécate" ? J’allais devoir me renseigner. J’étais vraiment parti depuis trop longtemps… Je grommelai un son inaudible, et le plafond de la grotte s’illumina d’un ciel bleu comme en plein jour. Une brise légère vint assainir l’odeur de fumée et de chanvre brulé. Alors que je commençais à faire le tour du propriétaire pour évaluer les dégâts de ces squatters indélicats, je vis que la pythie était toujours là. Pétrifiée en tailleur sur son coussin, les cheveux en bataille et la bouche ouverte. Ma voix se fit suave : « Tu souhaites me faire changer d’avis ? » Elle ne demanda pas son reste et s’enfuit en courant.

« Hécate ? Mais c’est la déesse de la Lune et des arts magiques ! », me dit l’homme que j’avais alpagué à l’aide de quelques verres. Je n’avais rien reconnu du petit village de mes souvenirs, mais été resté ce point de repère traversant les âges : la taverne ! Et de l’alcool, évidemment. Légèrement aviné, l’homme face à moi n’était pas avare de renseignements pour quelques lampées, et ce, malgré sa méfiance naturelle des étrangers. Je tentais de lui faire combler les trous laissés par mon absence.
Le village que j’avais aidé à fonder avait bien changé. Il s’était considérablement agrandis et garni de maisons, de rues pavées mais aussi de colonnes et statues. C’était devenu ce qu’on appelait une citée. Visiblement elle était occupée par un peuple d’esthètes, mais aussi de philosophes, d’astronomes, de penseurs, de scientifiques, d’acteurs, d’auteurs… Bref des gens qui utilisaient plus leur tête que leurs muscles. Ce qui n’empêchait pas des casernes d’avoir poussé à l’écart de la ville, et des patrouilles de faire des rondes. Il y avait aussi des dirigeants, et un système politique. Ce peuple porté sur l’intellect s’était nommé pompeusement : les Grecs. La population avait grossis et migrée au fur et à mesure du temps vers le sud. Puis comprenant que l’union faisait la force, les villes s’étaient regroupé en région, puis en pays. Au départ, la capitale, était installée ici, mais trop près de la frontière, elle avait été reculée dans des terres plus à l’abri. Au nord, un peuple presque identique, à la différence qu’ils étaient plus sportifs et belliqueux, appelé Romains, avaient étendu son influence vers le nord. Grecs et Romains partageaient beaucoup en commun, en dehors des noms de leur cosmologie et de leur alphabet. Ils commerçaient ensembles, étaient polythéistes, esthètes, penseurs, guerriers et surtout égocentriques. Ils se défiaient souvent, entre pays ou entre villes, sur des grandes étendues de sables au milieu de spectateurs avides d’exploits et de sang. Je n’avais rien contre la modernité, mais je lui trouvais toujours un arrière-gout d’inutilité macabre par moment, quels que soient la culture et les latitudes.
« - D’accord, Hécate est la Déesse de la Lune et des arts… magiques. (la conscience du mot fit raisonner de lointains souvenirs)
- Oui, me répondit l’homme fixant son verre vide ; je fis signe à la serveuse.
- Mais les déesses, ça reste là où ça vis en général. C’est rare pour un mortel de croiser un dieu, non ?
- Visiblement pas pour certaines familles. J’ai croisée une pythie, hier courant comme une folle. Enfin la folie est ce qui défini la fonction de pythie en général. Quelques années plus tôt, Hécate est apparue à la pauvre fille et à sa tante, qui cueillaient des fleurs pour une offrande à je sais plus qui. Hécate a pris corps dans les airs, a désigné l’endroit comme porte du royaume d’Hadès et fait disparaitre le pan qui masquait la caverne. La nièce s’est agenouillée en jurant de prendre le rôle de prêtresse pour Hécate, mais celle-ci a refusé. D’après elle sa destinée était de s’occuper du temple à venir. Toujours des bonnes femmes, au passage. Et hier, la pauvre jeune pythie hurlait dans toute la ville qu’Hadès lui-même l’avait chassé de son temple. Même qu’un homme l’accompagnait, racontant que lui aussi qu'il avait vu Hadès et lui avait parlé. Et, tu sais quoi ? La caverne à tout simplement disparue. La colline à repris un aspect normal : plus d’entrée, plus de décorations, même plus de puis au-dessus ! Je l’ai vu de mes propres yeux. D’ailleurs toute la ville l’a vu. Qui aurait pu faire ça ?
- Un dieu sans aucun doute, dis-je un sourire narquois.
- Si tu veux mon avis, c’est pas Hécate qui est venue ce jour là. C’est Trivia ! ( Le brouhaha se suspendit quelques battement de cœur dans la taverne, quelques yeux suspicieux se fixèrent sur nous, avant de retourner à leurs occupations)
- Ha tiens ?
- (il se pencha vers moi et me souffla dans la plus grande des confidentialités) Oui c’est Trivia ! La déesse romaine. Déesse romaine de la Lune et des arts magiques. (Je ne saisissais pas bien la nuance entre les deux versions, mais sans doute y’en avait-il une). Et elle est venue pour faire passer nos divinités pour des minables. (Ha voilà, elle était plus mesquine que sa consœur !)
- D’accord. Sans doute. Mais…
- Attends ! Le plus beau : en fait, il semblerait que Trivia habite in-co-gni-to la ville d’Apes et qu’elle en hante les carrefours et le cimetière. Certains l’ont aperçue se baignant nue dans le lac sous la pleine lune. Prononçant des rituels étranges, une coupe et un couteau à la main. Ils l’ont reconnue grâce à sa longue chevelure plus sombre que la nuit.
- Apes ?
- Oui, une ville romaine plus au nord. A quelques lieues du grand lac. En fait la ville d’Apes a été baptisée ainsi en l’honneur du clan qui la fonda. Apes signifie abeille en romain ! »
Je sautai de ma chaise en renversant la table. Les verres en argile, se fracassant sur le sol, réveillèrent en sursaut ma cervelle trop longtemps endormie. Sur la table redressée, je lâchais quelques pièces récupérées dans la caverne. Sans même saluer l’informateur aviné, mon corps pris le chemin de la sortie. Mon esprit quant à lui, me mena vers de douloureux souvenirs. Le clan des abeilles… La longue chevelure noire… Les arts magiques… « Grandame Megorna » sifflais-je une fois dehors.
 
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Chapitre 2 : Le vieil homme et la dame de fer


“La certitude de n'être pas seul qui console même dans un cimetière.”(Jules Renard)


Quand on est d’essence démonique, on détient le pouvoir absolu sur tous et sur toutes choses.
Quand on a pour frère jumeau le plus célèbre des enchanteurs, on vit dans son ombre et on se sait à l’abri.
Quand on traverse les âges, on a peu de chances de s’ennuyer, mais toutes les chances de se savoir unique.
Quand on est humain, on ne doute jamais assez, ou bien de trop.

Quand on s’appelle Lermin, tout ça vole en éclat !
Mais on aime l’Humanité.
 

Herazer

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Episode I.1


Il était définitivement clair que l’Homme se développait dans un nouvel âge. Un âge d’Or ? Surement pas : il avait eu la prudence de conserver quelques vieux démons. Et moi, le mien : Grandame Megorna. Un fantôme, une ombre, une énigme. Qui ne voulait ni mon bien, ni la paix. Mais que me reprochait-elle donc à la fin ? Et d’abord qui était-elle ? Je n’en connaissais que sa chevelure noire posée sur sa cape, le portrait qu’en avait fait Nisika, sa mégalomanie manipulatrice, et, je devais le reconnaitre, sa finesse d’esprit au service de la ruse. Elle était un incendie de forêt, courant droit vers son objectif, inconscient du reste de la forêt. J’en avais fait les frais. « Quand la forêt brule, tu ne peux pas en sauver tous les arbres, Lermin », m’avait dit mon frère. Certes, mais un feu ça se circonscrit, ça s’arrose, ça s’étouffe ! C’est dangereux, voire mortel, mais certainement pas tout puissant. Pas autant que moi en tout cas. Par contre, la pyromane…
J’avais naïvement cru bon de fuir un temps. Que cela me permettrait d’oublier, ou tout du moins de m’apaiser. Espérant aussi, sans raison logique, que ça rayerai la Grandame de la surface du monde. La fuite ! Cette solution séduisante ; qui n’efface ni les démons intérieurs, ni les rancunes tenaces. Même mon désir de vengeance s’était juste muré dans le silence à mon retour. En surface de mon âme, c’était le passé, à prendre à compte d’expérience. Il ne me restait plus que deux possibilités : opposer une résistance passive à Megorna avec de possibles dommages collatéraux, ou bien l’affronter. Simple. Manichéen à souhait. Ma colère,pendant qu’elle bâillonnait fermement ma raison, opta pour la seconde solution.

Il me revint en mémoire une de mes rencontres : un grand chinois dégingandé originaire du pays de Qi, qu’on appelait Sun Tzu. Ayant vu son pays éclater, il s’était réfugié dans le pays de Wu et vivait retiré du monde. Je l’avais croisé un jour de pluie, assis au sommet d’une colline. L’homme faisait des mouvements de bras et se parlait à lui-même, sous la pluie ! Un autre original de ma trempe en somme. Nous avions rapidement sympathisé. Il m’avait invité chez lui car il était juste curieux. Curieux et surtout seul. Versé dans la stratégie militaire, son obsession était de contraindre l’ennemi à abandonner la lutte, « la conquêtes des armées adverses sans livrer bataille ». Cette idée me séduisait tant, que je l’avais aidé à rédiger un ouvrage de treize chapitres : l’Art de la guerre. Je n’avais pas encore conscience que nous accouchions du premier ouvrage de stratégie militaire au monde. A mes yeux il contenait surtout beaucoup de sagesse. Le travail achevé, j’étais parti, à grands regrets, mais je n’avais pas fini de chercher à oublier. J’appris plus tard, que Sun Tzu était devenu général de l’armée du roi suite à la démonstration de ses principes. Et avait mené les plus grandes victoires de son époque, sans quasiment jamais combattre. Et le premier de ses principes : connaitre son ennemi et le terrain. La ville près de ma grotte s’était baptisée Phôs. Ce qui voulait dire lumière. Pour moi, le plus bel hommage qui fût fait à Mallagome. Je n’appris rien d’utile en dehors du fait que Grec et Romains se battaient à coup de pilums et de rhétorique pour leurs panthéons respectifs, rigoureusement identiques à quelques exceptions près, avant de se réconcilier dans le vin. « In vino veritas », ne m’avait jamais semblé aussi vrai. On m’avait dit que dieux et déesses se livraient parfois à des tromperies, à des mesquineries. Et que Trivia, sous couvert de prodiguer la fertilité lunaire , participait à des orgies nocturnes et secrètes. Tous ces « éternels » étaient bien plus humains que je ne le pensais au final. Je pris donc mon bâton déguisé en celui d’un pèlerin, ma plus belle musette en cuir de lamas du Pérou, une chemise longue et propre, des sandales neuves et me mit en route vers Apes.
« -Pas de pouilleux en ville, va te trouver à mendier ailleurs, fut le charmant accueil du garde à l’entrée d’Apes.
- Justement, la route fut longue, je voulais profiter des termes qu’offre votre bonne ville.
- Lave toi d’abord ! (Logique de garde transpirant sous le soleil…)
- Regarde ça, dis-je en montrant une bourse de cuir rondelette, je suis venu faire une offrande à Trivia. M’en voudrait-elle vraiment d’avoir une pièce de moins si ça me permet de lui offrir toutes les autres ?
- Bah…(l’homme fronçait les sourcils semblant se demander où se trouvait l’embrouille)
- Me punirait-elle de récompenser dans le même temps un brave homme ?
- C’est bon, c’est bon, passe. Mais gare à toi si tu ne respectes pas les lois d’Apes! ».

Je ne voyais pas de vraies différences entre Apes et Phôs. Des hommes se pavanant, des femmes minaudant, des rues étroites, des mendiants crasseux, des marchands soupçonneux, des esclaves usés, des militaires trop fier, des tavernes bruyantes, des temples malodorants, des façades surchargées, et tout un ramassis de colonnes et de statues qui semblaient se concurrencer dans la démesure. Pas vraiment de quoi pavoiser. Jusqu’au cœur de la ville. Au détour d’une rue principale, j’aboutis sur une grande place ronde pavée et immaculée d’où partaient plusieurs autres artères vers l’extérieur. Au centre de la place, se tenait un immense édifice bien plus imposant que ceux croisés jusque-là. Il semblait rayonner de sa blancheur, baignant les alentours d’une énergie subtile. Les badauds étaient muets ou parlaient à voix basse. Il en résultait un magma de silence vomit depuis la porte, où s’enfilaient lentement de frêles silhouettes humaines qui ne ressortaient jamais. La base de la construction était ronde, haute comme quatre hommes, et elle supportait la statue d’une femme vue de dos. La femme représentée avait les bras légèrement écartés du corps, paumes tendue vers le haut dans un geste d’invitation. Mon cœur se figea alors que je détaillais la stature : l’image gravée dans ma mémoire de la Grandame se superposait parfaitement à ce que j’avais sous les yeux. Me reprenant, je décidais de faire comme beaucoup et me dirigeai lentement vers l’entrée de ce qui ne pouvait être qu’un temple. Chemin faisant, une question me taraudait : par où pouvait bien ressortir les fidèles ? Par intuition, je traçais un glyphe de discrétion près de ma hanche. Je ne serai pas invisible, mais juste insignifiant aux yeux de ceux qui m’entouraient.
La file serpentait entre deux colonnes posées une vingtaine de pas avant l’entrée. Colonnes, qui par chance, ne masquaient aucun gardien devant la porte. Un sentiment d’urgence me criait de faire demi-tour. Mais je n’avais vu aucun fidèle le faire. Même insignifiant aux yeux de tous, j’aurai tout de même paru suspect. Quand le vin est tiré, il faut payer le tavernier. Calant mes pas sur les fidèles devant moi, je préparais ostensiblement ma bourse d’offrande, et fit blanchir les phalanges qui tenaient mon bâton. Quelques pas et j’entrerai dans la tanière de la louve. Mais où était donc la sortie bon sang ? Sur le seuil du temple, je vis que le couloir faisait un coude à angle droit deux pas plus loin. S’imposèrent à mon esprit les images d’une louve allongée sur le côté, au millier de mamelles et nourrissant des milliers de rejetons. Un frisson glacé m’étreint l’échine alors que je franchissais le coude. Une longue procession en spirale serpentait autour d’un immense autel posé au centre de la salle, avant de ressortir en ligne droite à l’opposé de là où je me tenais. Sur cet autel était posée une reproduction fidèle de la statue pesant au-dessus de ma tête. De nombreux brasero éclairaient d’une lumière chiche le chemin processionnel. Les murs en arrondis, revoyaient une atmosphère moite et étouffante, et détachaient de nombreuses ombres déformées piétinant dans une synchronisation parfaite. Un très léger brouhaha de pas accompagnait le tintement des offrandes lointaines. Derrière l’autel, officiait le spectre d’un vieillard sans âge. Il surveillait les offrandes, et remuait plus ou moins fort de la tête en fonction de la qualité du sacrifice. Chaque fidèle, le regard rivé au sol, déposait son cadeau au pied de la statue, et était ensuite béni d’une main tremblante par le fantôme dans un murmure répétitif.
Je penchais la tête en avant et suivait le rythme régulier de la procession tout en me forçant à ne pas penser à mon intuition qui me criait de m’enfuir. A quelques fidèles du prêtre, j’essayais de capter son regard. Celui-ci du le sentir, car il posa ses yeux dans les miens le temps de deux battements de cœur. Et dans la moitié de ce temps, j’y cru déceler une faible étincelle qui ne m’était pas inconnue. Mais ça ne pouvait être que le reflet du brasero posé à ces côtés. Plus qu’une seule fidèle devant moi. J’attendis patiemment que le vieillard officie sa bénédiction rituelle sur le front pale tendu vers lui. A mon tour. Enfin. La sortie était proche, et j’allais pouvoir me remettre avec d’un peu d’hydromel dans la première taverne venue. Comme tous ceux avant moi, je laissais le regard au sol, vidais ma bourse pleine sur l’autel, et attendis une éternité la main sur mon front accompagnée du grommèlement. La bénédiction se faisait plus qu’attendre lorsqu’un silence de plomb me fracassait les oreilles. Quelque chose n’allait pas. Je me fis violence pour ne pas lever la tête et réclamer mon dus. Il s’était endormi le vieux ? Pire peut-être ? Non, je voyais son vêtement remuer au gré de sa respiration. Mais bon sang, tu fais quoi là ? Une pause déjeuner ? Mon instinct me disait de tenir bon. Mon cœur s’accélérait. Ma patience disparut tel un fétu de paille dans le feu. Un murmure indistinct serpenta dans la foule alors que je redressai la tête cherchant le regard de l’officiant face à moi. Encore aujourd’hui, quand je repense à cet instant, je ne revois qu’un sourire malsain et des yeux triomphants. Des yeux d’un autre âge. Une douleur soudaine à l’arrière de la tête. Une grande lumière blanche dans mon champ de vision avant de faire place au noir total. Le sol vint à ma rencontre dans une douleur terrible. Il m’invita malgré moi à un repos salutaire. Ma conscience s’éteignit dans un souffle venu du passé : Nisika…
 
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Herazer

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Episode I.2


Je me retrouvais une fois de plus sur le rocher face à Avalon. Mais cette fois-ci rien ne se produisit. Pas de vague pour venir m’écraser. Juste une étendue calme. Juste la sérénité d’un coin de nature sauvage protégeant l’éternité d’un Amour en cage. Une brise légère m’ébouriffant les cheveux. Un clapotis envoutant invitant à la méditation. Je me mis en tailleur, et me concentrai sur ma respiration. Un vieux moine zen avait vainement tenté de m’apprendre les arcanes de la méditation. C’était le lieu idéal pour s’y essayer à nouveau. Je n’avais rien de mieux à faire. Les yeux fermés, je me berçais de mon souffle. Il me sembla que mon corps pris moins de consistance. L’image d’Avalon imprégnée sur ma rétine se para de petits carrés multicolores. Le chant des oiseaux glissaient lentement dans l’oubli. Tout mon environnement s’assombrit. Mon corps devint inconsistant alors que des ténèbres parées d’étoiles m’envahirent. Malgré moi, je perçu un son grave au loin. Une sorte de pulsation. Un tambour, non, un tambourin à la peau fine. Bam-Bam. Bam-Bam. Une voix naquit dans le vide. Mon esprit curieux se mis à se déplacer vers la voix, laissant mon corps sur le rocher. Elle m’agaçai cette voix de ne pas se caler sur le rythme du tambourin. On n’entendait que ça pourtant. En m’approchant de la voix, j’en distinguai quelques syllabes : « ho …ye …oi …yeu…or…yé ». Pas facile de comprendre quand c’est loin et qu’on ne voit pas remuer les lèvres. « Ho…re…ye…toi…yeu…cier ». Je m’approchais encore. Répète s’il te plait. « HO… Rev…yes toi vieux…cier ». Soudain, une tempête me ballota dans les ténèbres. Elle me secouai d’avant en arrière. « Ho, HO ! Réveilles-toi vieux sorcier !». Mes yeux s’ouvrirent brusquement sur une lumière trop blanche avant de se refermer. L’énorme marteau de Mallagome vînt heurter l’enclume de mon crâne. Je forçais mes paupières fermées, puis les détendit. « Ho. HO. Réveilles toi vieux sorcier ! ». Ma bouche pâteuse tenta de crier d’arrêter de me balloter, mais mon repas précéda mes paroles. Je toussai, crachant le peu de bile me restant dans l’estomac. J’étais allongé. Même la lumière rose pâle derrière mes paupières accentuaient les battement de mon cœur à l’arrière de ma tête.
« - Espèce de vieux débris ! hurla une voix au-dessus de moi
- Voila ce qu’il arrive quand on prend le bateau avec une migraine !
- J’vais t’en donner moi des leç… »
- Ttte, ttte, teee, legio. La cellule pue déjà assez comme ça, merci »

Une troisième voix venait de s’inviter dans la conversation. Je la reconnaissais entre toute malgré le ton aux accents de vieillesse. Prenant de l’assurance, j’ouvris les yeux. Le vieux prêtre du temple était accroupi face à moi. Il semblait plus alerte que lors de son office, et avait gardé son sourire malsain et ses yeux triomphants. Je lui lançais d’un ton que je voulais badin :
« - Le bonjour sur toi… Nisika, soulignant son nom du venin de ma haine
- (Il prit un ton enjoué, comme s’il retrouvait un vieil ami) Mais que de fiel dans la voix de ce cher Herazer. Ou plutôt devrais-je dire ce cher Lermin ? Dis-moi vieux chamane, toujours le gout de la mise en scène ?
- (Je lui répondis sur le même ton) Non, ça je vous le laisse, à ta maitresse et à toi. Je n’ai jamais vraiment été bon acteur.
- Je te le confirme. Je t’ai repéré dès ton entrée dans le temple. Tu surjoue un peu, mon vieux, si tu veux mon avis. Je pourrai voir pour te donner quelques cours. De discrétion, de prudence et d’espionnage aussi par la même occasion. Mais trêve de gentillesses. Dis-moi, qu’est ce qui t’amène à Apes ?
- Visite de courtoisie. A un vieil ennemi. Tellement vieux, qu’il devrait déjà avoir vécu plusieurs dizaines de vies selon certaines croyances orientales. Des vies de toutou à sa mémère.
- Oh, moi tu sais… je ne suis pas de ceux qu’on dresse. Contrairement à certains forgerons oubliés ! »
Me fixant dans les yeux, il afficha une fausse moue de compassion avant de la dévorer de son sourire. Ma rage voulut me dresser, me jeter sur ses yeux et les lui arracher, avant de lui tirer la langue par un sourire que je lui aurai découpé sur la gorge. Mais j’étais entravé des épaules aux chevilles et le marteau dans ma tête me sonna de nouveau. Je tentai de contrôler ma respiration pour diminuer les battements dans mon crâne.

« - Ha Lermin, Lermin. Tu as un gout certain pour la tragédie. Tu incarnes sans le savoir la tragédie grecque dans toute sa splendeur. Le destin des hommes au grés des caprices des dieux. Dommage que ce soit si ennuyeux. Question de génération sans doute ?
- Dit l’homme qui ressemble à ce que pourrait être mon aïeul sur cinq ou six générations.
- Un point pour toi. Mais, vois-tu la Grandame, que dis-je, la déesse de mon cœur, dois justement y remédier d’ici quelques heures.
- Déesse de ton cœur ? Tu la crois vraiment capable de se contenter d’un seul homme à la fois ? Surtout un vieillard minable dans ton genre, tout juste bon à remuer de la tête, lever la main et grommeler, le tout à l’abri des courants d’air »
Je marquais une pause. Nisika ne souriait plus, j’avais touché juste. J’enchainais d’un ton narquois :
« - Oui, j’ai entendu dire que Trivia était la déesse de la Lune et des Arts Magiques. Et j’ai aussi entendu parler d’orgies et de bacchanales secrètes au bord du lac, en son honneur. De rituels de fertilités où certains jeunes participants avait l’insigne honneur de serrer Trivia, nue, et de très près, pour en tirer sa puissance de fertilité. A quand remonte la dernière fois que ta « déesse » y a participé ? Tant que j’y pense, qui sont ses autres serviteurs ? Paraissent-ils plus vieux ou plus jeun.. »
Je n’allais pas plus loin. Pour un vieillard, Nisika avait conservé sa forme de forgeron : il me redressa par le col d’une seule main. Son front touchait presque le mien, et son haleine portait des relents de haine teintée de jalousie. Ses yeux fous de rage s’agitaient en tous sens. Il me siffla sa colère glaciale au visage :
«Je t’interdis de parler ainsi de la Grandame. Je vais te montrer moi de quoi je suis capable malgré mon âge ! »
Il leva le poing. Pas de doute, ça allait faire mal ! Je vis la crispation de son bras mais je ne voulais pas lui laisser le plaisir de fermer les yeux. Au ralentis je vis le poing s’approcher de l’arrête de mon nez. « NISIKA ! » Le coup stoppa net à un demi-cheveu de ma peau. Je tournais la tête vers celle qui venait de crier et le temps se suspendit. La Grandame montrait enfin le bout de son nez.

Je vous avais déjà parlé de la Fée Viviane, aujourd’hui la Dame du Lac. Cette beauté blonde qui avait emprisonné sans le vouloir mon frère sur l’ile d’Avalon. Si Viviane était la face d’une pièce tenue dans la lumière, Megorna en était l’autre face dans l’ombre. Deux reflets à la peau laiteuse et aux traits de visages identiques ! Mais aux couleurs opposées. La lumière des yeux de Viviane irradiait de leur lumière chaude alors l’ombre du regard de sa jumelle mangeait la lumière. J’aurai pu jurer que la chevelure de la Grandame absorbait l’obscurité de la nuit la plus noire. Elle était parée d’une longue toge noire, coulant le long ses courbes harmonieuses. Elle était une pierre d’onyx entouré d’un halo sombre. Je m’attendais presque à ce que la torche s’éteigne lorsqu’elle se rapprocha de moi. En fait, elle n’avançait pas : c’était la pièce qui glissait sous ses pas, me rapprochant inexorablement d’elle. Nisika me lâcha contre un mur, et je maintenais tant bien que mal mon équilibre. Elle me fit face, enchaina son regard au mien et afficha un sourire neutre. Une beauté faite de glace, d’obscurité et aux lèvres couleur sang. Elle leva la main et posa le bout de ses doigts sous mon menton. Bizarrement, ils étaient tièdes et agréables au toucher. Contrairement à sa voix grave qui vous givrait le cœur :
« - Ainsi donc, voici maitre Lermin, le célèbre frère de maitre Merlin.
- Pas si célèbre que ça, je n’ai jamais entendu d’histoire sur moi.
- Quelle modestie ! As-tu apprécié mon petit cadeau ?
- Si tu parles du coup sur la tête que j’ai reçu dans ton… antre, ce n'était pas un cadeau : j’ai lâché tout une bourse pleine sur l’autel juste avant.
- Non, je te parle de la jeune fille que tu as du trouver chez toi à ton retour de voyage.
- Tu aurai pu trouver mieux comme femme de ménage. Elle s’est quand même servie dans mes réserves.
- Le petit personnel n’est plus ce qu’il était, que veux-tu ? Les temps se perdent »
Nisika tiqua et jeta furtivement un regard d’incompréhension à sa déesse. Sans quitter mon regard, elle fit une pause en allongeant son sourire. Je brisai le silence au bout d’une éternité :
« - J’ai tout de même une question à te poser. Pourquoi te faire appeler Grandame ? Tu n’es pas plus grande que la moyenne pour une dame. »
Elle m’éclata de rire au visage, dévoilant ses dents du blanc le plus pur.
« - Je ne suis pas une grande dame, imbécile ! Je suis une grande Ame. Une Ame plusieurs fois centenaire, ne pliant ni sous le poids des ans, ni sous celui du savoir. Je celle dont les arcanes de la magie n’ont plus de secret. Je suis…
- Pas toute seule, la coupais-je. (Son sourire disparut, me laissant entrevoir sur ses traits la beauté de la cruauté)
- Et c’est bien ce qui m’ennuie. Je ne tolère pas la concurrence. Encore moins quand il s’agit d’un vieux magicien barbu. (Elle posait sa main sur ma poitrine, diffusant une douce chaleur enivrante) Qui pourrait avoir son charme tout de même cela dit… »
Nisika lui jeta un regard furieux. Elle avait misé sur un cheval fier, égocentrique et avant tout jaloux. A moi d’en tirer parti pour me sortir de là :
« - Qu’en penses ton petit personnel défraichis ?
- De qui parles-tu, vieux singe ?
- Suis mon regard, dis-je en posant mes yeux sur le vieux prêtre. »
Megorna fit une moue dédaigneuse avant d’interroger son acolyte du regard. Comme il ne dit rien, elle l’interpella :
« - Alors ? Qu’en penses-tu « petit personnel défraichis » ?
- (Incrédule il garda le silence)…
- Mais non, mon chéri. Tu vois bien que je plaisante. Je sais très bien que ton cœur m’appartient. »
Elle posa ses lèvres sur les siennes. Mais la réponse de Nisika manqua de chaleur. Il se recula, plongeant le regard dans ce celui de sa Grandame et lui lança :
« - Ce vieux fou m’a parlé d’orgies au bord du lac. Il m’a parlé de fête de la fertilité où des participants te… souillaient ? De plusieurs hommes dans ta vie ? Est-ce que c’est vrai ? (La graine de la jalousie venait enfin de germer sous le terreau de la fierté)
- Oui. Même si c’est très exagéré, comme toute légende. Mais même les divinités ont un côté terrestre à satisfaire.»
Soupçonneux Nisika marqua une pause. Je profitais qu’ils m’avaient oublié pour tenter de me libérer par un sort : la corde qui me retenait subissait un effet accéléré du temps.
« - Combien ? demanda Nisika
- Combien quoi mon chéri ?
- Combien ? Combien à te vénérer et à te rendre hommage de leurs charmes, à te servir, à espérer des marques de ton attention ?
- Si peu, souffla-telle dédaigneusement. Pas même un seul qui ne compte vraiment. Il n’y a que toi qui compte pour moi, tu le sa…
- COMBIEN ? MEGORNA !
- D’accord, ton corps est un peu… fatigué. Mais tu restes le seul dans mon cœur, mon amour !
- MENTEUSE ! Ca te plait d’être l’objet de toute ces attentions ! D’être l’incarnation de leur désir. D’être le centre de leur monde. Et c’est pour ça que tu recule sans cesse mon rajeunissement. Tu ne veux pas un compagnon. Juste un serviteur. Un toutou bien docile et surtout fidèle. Un objet comblant le moindre de tes caprices. Pendant que d’autres t’amusent et comblent ton divin côté terrestre ! »

Les yeux de la déesse prirent une dangereuse teinte de colère. Je découvrit que le noir pouvait encore être plus sombre. Elle inspira, se redressa et lui fit le plus enjôleur des sourires. Elle posa une main sur sa poitrine puis se colla à lui.
« Tu veux rajeunir, mon doux forgeron aux bras puissants, mon amant de la première heure ? Tu es en colère parce que tu crois que seule ta virilité compte pour moi ? Mais non voyons, tu te trompes ! Ton cœur avant toute chose … »
Elle se pelotonna contre lui, avec la moue la plus amoureuse. Elle redressa la tête vers lui, le contemplant d’un océan de douceur dans les yeux :
« - Tu croirai à mon amour pour toi si je te rajeunissais ici, là, maintenant ?
- Tu pourrais écarter certains de mes doutes, oui.
- C’est déjà mieux que rien. Détends-toi et laisse-moi faire. Là. Voilà. Ferme les yeux et laisse toi aller mon amour »
La voix de la Grandame n’était que tendresse et douceur. Ses mouvements étaient fluides, gracieux, ensorceleurs. Elle accompagna de ses bras le vieil homme pour l’allonger. Il se laissait guider, les yeux fermés et confiant. Elle lui posa le plus délicat des baisers sur les lèvres. Son index vint le caresser entre ses deux paupières fermées. Son vieil amant tenait une respiration calme et sereine. Le doigt blanc glissa lentement sur les lèvres desséchées, suivi les courbes ridées de son cou pour s’arrêter sur le plexus solaire. Megorna pencha la tête, puis mis ses lèvres à l’oreille du prêtre. Elle lui susurra d’une voix de miel : « Je t’aimais ». Les yeux de Nisika s’ouvrirent instantanément. Puis son corps se changea en poussière d’un coup. Sans un son. Sans un souffle. Sans transition. Il était un homme puissant et vivant, il devint poussière inutile et immobile. La Sorcière se redressa et envoya un baiser au sol du bout de ses lèvres.

Abasourdi par la disparition instantanée de Nisika, quand je refis surface j’étais assis, adossé au mur. Et libre. L’enchantement que j’avais lancé avait été efficace. La corde continuait à se déliter au sol. J’inspirai le plus silencieusement possible en me redressant le dos au mur. J’étais libre et debout. Il ne m’en fallait pas plus. Libérant la moitié de ma puissance, je libérai également une onde de choc magique dans toute la pièce. La déesse fut projetée contre le mur et retomba mollement, inconsciente. Je la regardai. Une déesse des arts magiques inconsciente suite à une onde magique ? Quelle ironie.
La porte en bois de la cellule avait volée en éclat. Deux grand pans et de multiples éclats gisaient au milieu du couloir dans le lequel je me faufilai. Eclairé par des torches, je vis d’un côté un escalier qui descendait, et de l’autre une porte en bois. Celle-ci s’ouvrit à la volée devant trois gardes abasourdis. Je me rendais invisible. Mon bâton. Il me fallait mon bâton. Impossible de le laisser aux mains de gardes. Ou pire : aux mains de Megorna. Je reculais de quelques pas dans le couloir, dépassant le cadavre de la porte sur le sol. Les gardes entrèrent dans la cellule devant moi et tentèrent de réveiller la femme. Je courais vers la porte laissée ouverte. De l’autre côté, dans une petite salle à peine plus grande que mon cachot, une table recouverte d’un pichet et trois gobelets était accompagnée de trois tabourets couchés à terre. Derrière la table, trônait un étal présentant divers armes et mon fidèle bâton. Je le pris, le soupesais, et sentis une vague de bien être me parcourir. Il me suivi dans mon aura d’invisibilité. Je n’étais plus à la merci du premier venu.
L’urgence et la panique me firent trouver la sortie à l’air libre. Je débouchais dans une ruelle en terre battue. Tassant mes épaules et courbant la tête je pris une direction au hasard, prenant soin de me faire passer pour un vieil homme croulant sous le poids des années. Je claudiquais légèrement, avant de prendre conscience que j’étais toujours invisible ! Non mais quel crétin je pouvais être parfois ! Pas le temps de m’auto flageller. J’enfilais les ruelles au hasard prenant soin, dans la mesure du possible, de ne percuter personne. Une artère principale ! Il me fallait une artère principale pour retrouver la sortie. La lumière déclinait lentement et mon intuition me disait que je devais être sorti d’Apes avant la nuit. Chose sage pour une fois, je n’allais certainement pas la contredire.
Tout en essayant de m’orienter, je finis par tomber sur la place ronde et le temple de Trivia. Sauvé ! Je refaisais le parcours en sens inverse jusqu’à la sortie de la cité. Franchissant la porte de la ville, je remarquai que le garde qui m’avait accueilli avait été relevé. Je suivi la route sur près d’une lieue, toujours invisible. N’y tenant plus, sans même regarder en arrière, je m’enfonçai dans la forêt et m’adossai à un chêne. Les feuilles mortes craquèrent sous mon poids lorsque je me laissais choir. Là, à l’abri des arbres, je levais le sort d’invisibilité et soufflais enfin. Pas de taverne, pas d’hydromel. Mais en vie.

J’attendis la nuit, histoire de tenter de me faire oublier. Repensant à la terrible disparition de Nisika, mes yeux accrochèrent la lune. Elle était pleine et ronde. Comme les disques qu’on lançait dans les arènes. Sauf que ce disque-là ne battrait aucun record, il resterait là, suspendu dans la nuit entre les étoiles. La scène du cachot se rejouait sur le fond lunaire. Encore. Encore. Et encore. Puis alors que la sorcière envoyait encore un baiser au sol, l’histoire prit un tournant inédit. Son visage affiché sur l’astre se tourna vers moi et me souris. Ses yeux creusèrent des trous sombres sur la pâle rondeur. En leur centre une étoile scintillait . La voix de la sorcière raisonna dans ma tête :
« - Lermin. Je te vois. Mais rassures toi je ne te pourchasserai pas. Tu peux retourner à ta grotte d’ermite l’esprit en paix. Et reprendre des forces.
- Des forces ? Mais.. pour QUOI ? lui criais-je seul au milieu des arbres.
- Mais pour le jeu, voyons. J’ai perdu un pion. Tu as gagné une manche, bravo.
- Nisika, un pion ? C’était une vie, un miracle de la nature, pas un pion. C’était un homme, Megorna. Tu l’as assassiné ! Il t’était fidèle en tout, il t’aimait comme un fou, il t’aurait donné plus que sa vie. Il a tué pour toi ! Pourquoi ?
- Il ne me servait plus à rien. Depuis trop longtemps. J’avoue avoir été victime d’un excès de sentimentalisme. Il avait ses qualités c’est vrai mais… vraiment rien d’irremplaçable. Autant le sacrifier pour renouveler le cheptel.
- Mais QUI ES TU ? QUEL RAPPORT AVEC MOI ?
- Je suis bonne joueuse, Lermin. Voici un indice. Va voir ton frère et prononce lui mon nom : MORGANE. Il te donnera les règles du jeu qu’il a lui-même créé »
Elle disparut laissant dans son sillage son nom en lettres dorées inscrites sur la lune.
Je pleurais en silence.
Je baissais les yeux.
J’étais Lermin.
J’étais seul.
 
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Episode II

"Aristote va jusqu’à dire que les esprits particulièrement vifs sont tous angoissés, je ne suis pas fâché d’être moi-même un peu lent." (Cicéron)
 
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