Episode II.4.3
“Si Christophe Colomb n’avait rien découvert, Kennedy serait toujours vivant.” (Francis Blanche)
« Il revient !! Il revient !! » Voilà les cris qui me tirèrent de ma divine sieste. Si je tenais le petit sacripant qui … « Oh bon sang ! » m’écriais-je en passant la tête par rideau de ma hutte chamanique. La silhouette qui s’avançait à l’entrée du village ne pouvait être que mon fils. Enfin. Après deux ans d’absence. Le connaissant, j’allais plutôt le laisser se poser avant de lui souhaiter la bienvenue. Inutile de faire face à son irritabilité de suite. Je retournai dans ma hutte achever ce que j’avais si bien commencé.
Les pieds planté sur un rocher, les bras écartés, je fixai cette île inaccessible sauf à ceux dont la Magie coulait dans les veines. Merlin, mon frangin adoré, vivait là avec sa belle et lumineuse dame Viviane du Lac. Dans l’intimité pour l’éternité. Paradis ou Enfer ? Soudain, je vis enfler une vague immense venant vers moi. Haute de deux fois ma taille, elle courait à la vitesse d’un cheval au galop. Elle suspendit sa couse au-dessus de ma tête afin de rassembler toute ses forces pour se laisser tomber. Elle allait m’écraser sur le rocher comme on écrase un fruit trop mûr sous son pied. Je cherchais des yeux mon bâton mais ne le trouvai point. Sans Magie, point de salut. Dans un réflexe bien humain, je levais mes bras devant mon visage. Aucun cri ne pus franchir mes lèvres. C’était ma fin !
« Alors vieux hibou, toujours en train de méditer ? ». J’ouvrai les yeux, prenant conscience que Mallagome se tenait face à moi, un sourire unissant ses oreilles. Il tenait une timbale à la main. Ma barbe ruisselait sur mes draps, de l’eau clapotait à mon oreille, et mon odorat me disait que du thé au chanvre était tout proche. Mon visage était trempé ?! Je me jetai sur lui : « ESPECE DE FILS DE COCHON ! ». Juste avant de le serrer dans mes bras, le regard humide. Il me tapota le dos, et se dégagea de mon étreinte avant de reprendre ostensiblement une grande inspiration. Puis, il me fit un clin d’œil et sorti sans un mot. « Fils de cochon ? Mais non, hibou ! » cria-t-il avant d’exploser de rire en s’éloignant.
La taverne n’était sans doute pas l’endroit le plus calme pour entendre une histoire, mais je voulais un air de fête pour nos retrouvailles. Mallagome dévora littéralement son repas, puis il commanda une bière avant de me conter ses deux dernières années. Après avoir forgé ses outils, Nisika, sa femme et le forgeron avaient profité de la caravane pour remonter vers le clan des Abeilles. Ils avaient construit tous les trois une petite maison en bois au toit de chaume à l’écart de la ville. La maisonnette fut finie juste à temps pour l’arrivée d’un heureux évènement. Finalement, Nisika n’avait pas été aussi innocent que je le croyais. En quelques mois, un filon de cuivre pur s’était révélé dans les montagnes avoisinantes, et on y avait aussi découvert un autre métal nommé étain. Le cuivre était plus tendre que le bronze natif de notre clan. Aussi, Nisika eut l’idée de mélanger les deux métaux et parvint à produire un bronze plus résistant. Il partagea sa découverte avec Magallome. Le maitre devint apprenti quelques temps. A eux deux, ils perfectionnèrent la matière et les techniques. La main du père dans la main du fils adopté. Mallagome serait revenu plus tôt s’il n’y avait pas eu son petit-fils sur place. La famille est un trésor dont jamais on ne se lasse. Après un an, ils eurent la visite du nouveau conseiller de « son illustrissime Grandame ». Elle les invitait à sa table pour un banquet traditionnel : « L’anniversaire de la réunification ».
« - Alors tu l’as rencontrée ? Comment est-elle ? A quoi elle ressemble ?
- Je ne sais pas, me répondit mon fils
- Comment ça tu ne sais pas ?
- La veille, je suis tombé malade. Une saleté d’abeille m’a piquée dans le cou et j’ai gonflé. J’avais du mal à respirer et j’ai bien cru que j’allais rejoindre ma douce. Heureusement, Nisika s’est pointé avec un onguent de Megorna et ça m’a sauvé la vie.
- Mais !? Comment Nisika a eu l’onguent ?
- Il parait que le conseiller de la Grandame s’est pointé à la maison deux heures après la piqure, lui a tendu en disant de faire vite et s’en est retourné. Par contre, mon gendre y est allé, lu,i au banquet. Il est revenu encore plus saoul qu’un certain chef-chamane que je connais. C’était la première fois que je le voyais comme ça. J’ai eu beau lui plonger la tête dans l’eau froide, rien n’y a fait. Et je peux te dire que ma fille n’était pas prête de me faire autre petit fils après cette histoire. Sans parler des discussions un peu hautes en volume et de l’ambiance plutôt malsaine de la maison. Mais que peut faire un père…
- Depuis la rive lorsqu’il voit couler le bateau de son fils, ajoutais-je dans un élan de tristesse. – puis je réagissais- Comment ça l’onguent de Megorna ? »
Question qui ne trouva qu’une réponse : un haussement d’épaules de Mallagorme. Depuis le banquet, Nisika avait changé, il était plus morne, moins enjoué. Il souriait peu, et semblait avoir sur ses épaules une cape noire qui le bridait sans cesse. Il eut l’idée de créer trois sortes de pièces pour améliorer le système de la monnaie : cuivre, étain et bronze. Il avait dit en avoir eu l’idée en discutant avec la dirigeante au cours du banquet. Il était reparti au village présenter son idée avec des pièces de chaque sorte en expliquant l’intérêt de diviser les valeurs. Il en était revenu transporté. Le lendemain, le conseiller de la Grandame lui décernait un titre honorifique –de pacotille d’après le forgeron- et, surtout, une place au conseil. Le maitre forgeron n’en était pas peu fier. Nisika revint à sa nature première le lendemain de sa nomination. La situation entre les jeunes mariés enfin apaisée après quelques semaines, Mallagome avait pris le chemin du retour.
« Oh, Vivion, t’as une réponse pour moi ? » Le marchand vint à la rencontre du forgeron. Il le salua, et lui fit un signe positif de la tête.
« - Tous les trois ? Tu es sur ?
- Mais oui puisque je te le dis. Ton fils m’a dit qu’il se mettrait en route dans deux jours pour être sûr de ne pas rater la date. Et c’est moi en personne qui te ramènerai les autres ! »
Mallagome assénât au marchand la plus grande claque dans le dos de l’histoire de l’humanité. Puis il lui posa la main sur l’épaule en lui soufflant un grand « merci ». Témoin de la scène, je sentis mon cœur faire un bond de joie dans la poitrine. Ainsi le forgeron aurait autour de lui tous ses descendants pour le solstice d’été. Non, cette fois ci je ne pleurerai pas ! Ou alors, juste une larme. Juste une. Ou deux…
Le Vénérable Forgeron avait sollicité la moitié du clan pour faire de cette réunion un instant d’exception. Trônant dans un champ, décorée de mille et une fleurs, un table supportait des bougies qui scintillaient, reflétant les lucioles en quêtes de partenaires. Un peu plus loin, des flammes léchaient un porcelet. A ses cotés, la plus grande de mes arrières petits-enfants racontaient des histoires à des plus jeunes, tout en jetant un œil sur un berceau. Un barde jouait distraitement pour quelques enfants et la forêt. Les rires et les anecdotes des adultes troublaient le bruit des brocs qui s’emplissaient sans cesse à des tonnelets plus lointains. Le tavernier avait accepté de s’occuper des contingences de la fête. Il avait reçu en paiement deux douzaines de gobelets de bronze. Les jeunes gens qui servaient avaient décoré la table, posé les bougies, nettoyé le champ de ses mauvaises herbes, lavé les nappes et démarré le feu. Ils virevoltaient pour l’heure dans une danse gracieuse et périlleuse afin que rien ne manque. Mallagome était tout simplement heureux, couvant des yeux son plus fabuleux trésor qui l’entourait. Un peu plus loin, revenant d’un moment d’isolement poussé par la nature, je fixais dans ma tête cet instant de pur bonheur. Est-il vraiment utile de vous dire qu’un moment pareil vous fait sentir combien certains vous manquent ? Tout ce beau monde s’endormi à son rythme : les enfants là où ils tombèrent d’épuisement et de rire, certains couples à l’abri de la forêt, et Mallagome la tête sur la table. Moi, je reposais mes yeux assis au bord des braises.
Je fus tiré du sommeil trop léger par un cri au loin. Ou mon intuition ? Je me levai. Mallagome n’était plus là. Un instinct de danger me titillait. Traçant une rune dans l’air, je localisai Mallagome au loin dans la forêt. Juste au pied de l’arbre où, bien longtemps avant il avait reçu une punition de ma part. Il n’était pas seul mais je n’arrivais pas à discerner qui lui faisait face. Je me mis à courir vers lui. Essouflé, ma course prit fin en reconnaissant son dos. Face à lui se tenait un Nisika que je ne connaissais pas. Sa carrure avait doublé. Ses yeux étaient plus sombres que la nuit. Les traits déformé par la rage, il se tenait légèrement penché en avant, prêt à bondir. « Tiens voilà ton petit papounet de magicien chéri ! », ironisa l’ancien apprenti sur un ton de fausset. D’instinct, Mallagome se tourna vers moi. Son adversaire en profita pour bondir sur lui, bras en avant. Un éclat métallique dans sa main : un couteau de bronze. Avec un cri de surprise, j’attrapais l’épaule de mon fils et le tirai hors de la trajectoire. Le forgeron se ressaisis et balança son poing de toute ses forces dans le ventre de Nisika. Un sinistre craquement précéda un horrible cri de douleur. Mallagome venait de se briser des doigt et le poignet. Il s’agenouilla de douleur tenant son poignet de l’autre main. Sans que j’ai le temps d’intervenir, l’autre lui tira les cheveux en arrière et lui entailla la gorge. J’allais le tuer ce démon ! De mes propres mains. La rage qu’avait connu Mallagome ne serait rien à côté de ce que j’étais capable de faire à l’aide de la Magie. Je voulus lever mon bâton tout en invoquant une onde destructrice. RIEN ! Je ne pouvais plus bouger. "PARALYSE DES PIEDS A LA TETE ! COMMENT EST-CE POSSIBLE ?" Ma voix criait dans ma tête sans qu’aucun son ne sorte ! Je voyais un reste d’étincelle de vie dans les yeux de mon diamant. Il me regardait incrédule, sans comprendre que je ne bougeait pas. Nisika s’approcha de Mallagome et lui posa une main sur la joue :
« Oh, le pauvre. Il a la main brisée. Et le poignet aussi. Ca doit faire mal ! Mais mon cher maître forgeron vénérable, il faut parfois réfléchir avant d’agir. C’est ce que j’ai fait moi. (Il releva sa chemise exhibant face au mourant un plastron de bronze.) Mais rassures toi, tu peux mourir en paix. Ton savoir-faire est entre de bonne mains : (dans un sourire dévoilant toutes ses dents) les miennes ! Maintenant, la Grandame t’autorise à passer de l’autre côté. » Mallagome s’écroula dans un froissement de feuilles mortes qui déchirèrent mes oreilles. Je poussais un grand cri qui ne résonna que dans ma tête. Puis, Nisika se plaçai tout près de mon oreille pour m’y susurrer son venin :
« He oui, vieux singe… non, pardon « vieux hibou ». Tu à assisté, bien impuissant, à la mort de ton fils chéri. Au fracas de ton diamant contre ma puissance. Vivion l’avait bien dit que la Grandame avait toujours raison. Elle m’avait prophétisé la puissance. Je t’ai toujours sentis incrédule à ce propos. Hé bien, maintenant, tu en as la preuve. Ha, au fait, Grandame Megorna, est juste là, derrière. C’est elle, « la poissonnière au verbe haut qui claironne ses prophéties à tout bout de champs », qui te maintiens dans cet état de paralysie. Elle te fait dire qu’il vaudrait mieux que tu gardes tes insultes pour toi la prochaine fois. Evites qu’elle dépasse ton crâne de piaf, elle entend tout. Absolument tout. Et elle te salue bien bas. » Il fit une courbette, me mit trois petites claques sur la joue avant de passer dans mon dos. Je forçais pour pouvoir me retourner. Rien n’y fit. Les trop longues secondes où je fus obligé de regarder le corps de mon fils renforcèrent la rage qui bouillonnait au fond de moi. Mallagome était mort mais moi j’étais en vie. Et je n’étais pas n’importe qui ! Le flot de la vengeance montai et renforçais mon énergie. D’un coup, l’enchantement explosa comme une tête sous le marteau de Mallagome. Je me retournais hurlant toute ma rage. Je vis le dos de Nisika au coté d’une longue chevelure nuit posée négligemment sur une longue cape noire.
« GRANDAME MEGORNA! TU NE SAIS PAS QUI JE SUIS ! NI DE QUOI JE SUIS CAPABLE ! JE VAIS TE FAIRE SOUFFRIR ! ENCORE PLUS QUE JE N’AI SOUFFERT ICI ! JE N’AURAI NI PITIE , NI MERCIE » Nisika se retourna, me fit un petit salut de la main, pris la main de Megorna, et il s’évaporèrent littéralement dans l’air.
Je tombais à genoux près du cadavre de Mallagome. Alerté par mes cris, la femme de Nisika me trouva. Elle se mit à pleurer. Je posais sur elle des yeux emplis de détresse. Elle prit mon bras, m’aida à me relever et m’accompagna jusqu’à un lit ou je m’écroulais deux jours entiers. Le bucher funéraire de Mallagorme fut érigé sur un bateau. Toute la famille était là, réunie pour son dernier voyage. Le bateau se décrocha seul de la rive puis s’enflamma à quelques mètres du bord. Je le regardai se consumer jusqu’à la fin. Les flammes me renvoyaient l’image de Nisika me faisant un signe d’adieu avant de s’évaporer avec sa sorcière. A la nuit tombée, je me rendis chez mon fils, et mis le feu à sa hutte. Puis, de mes mains, sans aucune aide de la magie je bâtis un autel de deux fois ma taille. Au pied j’y déposais une coupe en bronze que Mallagome m’avait offert. Le soleil levant vint écraser un reflet sur la coupe. Je me recueillis un instant, me levais et me dirigeais vers la ferme de la cadette de feu le forgeron Venerable. Pour l’instant, l’heure était à s’occuper des vivants.