Oh mes aïeux ! J'oublie prestement mes velléités de bras-de-fer et mes esquisses culinaires à la franco-russe.
Mais quelle fourberie, quelle vilenie, quelle gabegie !
La viscosité noirâtre a englouti un loup gris en entier ! Après avoir gobé une hache naine à double lame !
Oreilles Pointues a bien cerné la chose. Il s'agit donc d'un infernal métamorphe ! Il/elle est maintenant juchée sur une poutre, hissé/e par les bras puissants de Bert ( 'pas remarqué qu'il était aussi baraqué, moi... hmm hmm, intéressant)
Je considère la Chose d'un œil circonspect. Elle a une vague forme de loup, ses contours sont flous et changeants.
Avoir avalé du métal et un loup sauvage l'aura probablement renforcée suffisamment pour lui donner la force de soutenir un combat.
Il nous faut donc l'affaiblir !! Mais comment faire ?? Qui donc s'y connait en saletés de cet acabit ?
Je suis juchée sur le comptoir, pas pratique pour le combat au corps à corps. Je bondis à terre et assène un formidable coup de rapière sur le museau de la Chose. ça fait un petit bruit métallique - ♪♫ klonggg ! ♪♫ - et elle encaisse plutôt bien, en grondant et en montrant les crocs. Je recule prudemment.
Le loup maléfique lève le nez, nous regarde. Il ne saigne même pas. Prenant mon courage à deux mains et mon épée aussi, j'abats ma lame une seconde fois, de toutes mes forces.
Et c'est alors que se produit une chose très curieuse : la créature ne bouge pas d'une oreille, et ma lame reste comme soudée à sa tête. Je sens une mystérieuse force qui tire mon épée hors de mes mains. Saisie, je tente de résister, mais cet étrange phénomène est plus puissant que moi.
Sous nos yeux ébahis, mon épée est rapidement absorbée par le loup. Tout au long du processus, il ne cesse de nous fixer de ses prunelles rouge sang. A la fin, il parait se ragaillardir, avoir plus de... consistance. Sa surface, auparavant molle et bourbeuse, se solidifie.
Peste. Je suis mal barrée.
"Ah ! C'est malin ! me houspille Oreilles Pointues. Tu n'as plus ton épée ! Et en plus, par ta faute, il est plus fort qu'avant !
- Pardon ! J'essaie d'agir, moi, au moins ! Que fais-tu, toi, juché/e sur tes poutres ? le/la rembarrai-je vertement.
- Et on fait quoi, maintenant, madame la génie ?
- Je ne sais pas ! C'est toi l'expert/e en monstruosités des forêts ! En plus, le mot "génie" n'existe pas au féminin, fils/fille de hutte inculte !
- Quoi ??? Attends voir, saleté d'humaine, je vais te faire ravaler tes paroles !!"
Et elle/il saute à terre. Elle/il m'empoigne les cheveux et son front vient cogner le mien. Je saisis ses poignets pour le/la repousser, mais il/elle est plus fort/e que moi, il/elle me flanque un coup de tête sur le nez qui me fait voir trente-six chandelles. Je chancelle et il/elle en profite pour m'expédier un coup de poing dans le ventre, qui m'envoie bouler à l'autre bout de la salle.
Le nez en sang et les reins meurtris, j'atterris aux pieds du bûcheron, qui n'a pas bougé d'un iota. Il se penche vers moi, murmure avec sollicitude : "Девушка ! Как дела ?*"
Je me relève, furax et humiliée. Je me suis fait mettre au tapis par un vulgaire mangeur de racines !
Je remonte à l'assaut, flanque un coup de pied bien senti dans le flanc de l'elfe et le/la plaque à terre. Je m'assieds à califourchon sur sa poitrine et mes doigts serrent sa gorge. Il/elle se débat et me griffe le visage. Mes jambes sont serrées autour de ses hanches, elle se tortille sous moi et rue furieusement, ses longs cheveux d'ébène parfumés à la fleur d'oranger cascadent sur le sol.
Soudain, une forme astrale vert pomme se matérialise devant moi en piaillant. Nous cessons de nous battre, figé/es dans une posture des plus... équivoques. Du coin de l’œil, je remarque que le loup infernal s'est assis gentiment, la langue pendante, et semble contempler la scène avec beaucoup d'attention. Serait-ce une lueur égrillarde que je vois briller dans son regard ??
"Eh oh ! Mais ce n'est pas le moment de vous battre, les filles ! Du moins, pas de vous battre entre vous ! chantonne le corps astral de la demoiselle menthe à l'eau. Vous avez un problème plus urgent, là !"
Elle a raison. Je me rétablis, essuie mon nez en sang et tend une main apaisante vers l'Elfe pour l'aider à se relever. Il s'exécute en grommelant : "Je ne suis pas une fille !"
Bert descend enfin de son perchoir, et si son sac banane semble avoir curieusement remonté au-dessus du nombril du Hoppié, c'est certainement dû à l'inconfort de sa position sur la poutre.
Tiens, en parlant de son sac magique. J'empoigne l'objet, effleure au passage son bras (mais lequel ?), il soupire, ses joues rosissent, je n'en ai cure, j'ouvre la fermeture éclair (mais laquelle ?) et j'extirpe un sachet de marshmallows que je m'empresse de jeter dans la gueule du loup infernal.
Oh ! ça doit lui plaire, il les attrape au vol, les gobe, les engloutit, et mange finalement tout le paquet. Pour un peu, il ronronnerait de contentement.
Il a l'air à présent rassasié et indolent, presque mou. Parfait. C'est ce que j'escomptais. Il se couche paresseusement, bâille, comme s'il voulait faire une sieste digestive. Ses contours s'étalent sur le sol, il s'affaisse, flasque, comme une gigantesque pâte à pain.
Je saisis ensuite une torche accrochée au mur, que je balance sur la créature. Ah ! quel beau feu de joie !!! Il se tord et fond horriblement, dans une pestilentielle odeur de caramel brûlé.
Je m'époussette les mains en me tournant vers le reste de l'assemblée. ça c'est de la belle ouvrage, propre, nette et sans bavure.
Nickel.
* Trad. : "Eh gamine ! ça va ?"