"le récit et fini mais si sa vous tente de trouvé une suite libre a vous "
Puisque tu le permets je vais tenter une suite :
VIII - L'exil
L’aube se levait. Nous avions laissé les adorateurs du soleil à leur pitoyable besoin de sommeil et avions réuni nos forces dans la prière jusqu’à ce que les premières lueurs du soleil viennent caresser les ruines du saint sanctuaire. L’heure de leur exécution était venue.
Je m’agenouillai sur un rebord de la muraille et contemplai le campement des adorateurs du soleil, en contrebas. C’étaient des humains, mais pas des soldats cette fois. À en juger par leur vêtements de cuir froissés et leurs armes légères, il s’agissait d’éclaireurs ou de voleurs. Des lambeaux de brume matinale dérivaient dans le misérable camp que les humains avaient dressé au milieu des ruines, comme des fantômes que la lumière naissante habillait d’or.
L’odeur de leurs corps sales et de leur peur était insupportable, même là où je me trouvais perché, bien au dessus de leurs têtes. Je me redressai et fis un signe à mes hommes avant de fondre sur les humains. J’oubliai vite le poids de mon armure alors que je tournoyais au milieu d’eux, environné de l’éclat de mes lames et d’un nuage fumant de sang. La lueur lunaire de mes lames pénétrait leurs pitoyables armures et leurs chairs puantes sans effort. Ils étaient si faibles, paralysés par une peur et une confusion inutiles, que je leur en voulais presque. J’ai toujours préféré un bon combat à une boucherie inutile et ceux-là se laissaient abattre comme du bétail. Des faces grimaçantes se jetèrent sur moi et leurs cris se mêlèrent au bruit de leurs chairs déchirées. Il n’en resta bientôt plus qu’un et mon devoir me revint en mémoire. Ma lame se posa sur sa gorge tandis que la peur le figeait sur place et qu’il me regardait, les yeux embués, par dessus la surface argentée de mon épée, me soufflant sa peur au visage. Nous restâmes immobiles un instant tandis qu’autour de nous s’effondraient les derniers mourants.
«Dracon ! »
Shain Tal’ach, un maître de guerre de mon groupe surgit de la brume. Il traînait par sa natte brune une humaine maigre et crasseuse qui, terrorisée, pleurait sans honte ni retenue.
«Elle se cachait dans les ruines. »
Je libérai la gorge de l’humain de la menace de ma lame.
«Enchaînez-les. Tous les deux. »
Le gantelet du maître de guerre relâcha sa prise sur l’humaine et il cria ses ordres. Aussitôt les deux humains se précipitèrent dans les bras l’un de l’autre, leurs visages crasseux pressés l’un contre l’autre, avant de tomber à genoux, en pleurs. Mes hommes se détournèrent, répugnant à assister à une telle manifestation de faiblesse. Le regard dégoûté de mon maître de guerre se porta vers l’est, par delà les ruines, dans la direction des grandes salles d’obsidienne où nous attendait le Maître des Cérémonies.
«Seulement deux sacrifices ce soir, l’Archon sera mécontent. »
Je balayai du regard le campement humain : quelques dagues, un peu de nourriture – quelle existence misérable.
«Il faudra s’en contenter. Ça n’était qu’une bande de paysans et de fuyards, pas des guerriers. Ils sont morts trop facilement. »
Je jetai ensuite un regard sur les deux misérables épaves humaines effondrées à mes pieds. Je cherchais au fond de moi le sentiment de dégoût que ressentaient les nôtres, mais à la place il n’y avait qu’un sentiment étrange que je ne compris pas à ce moment là et que je refusai.
«Faites-les bouger. La nuit tombe vite en cette saison. »
Quand nous atteignîmes la cité, il faisait déjà noir. Sans même prendre le temps de nous nettoyer, nous traînâmes nos offrandes jusqu’à la grande salle où l’on nous attendait avec impatience. Nous traversâmes les rangs de nos proches, le souffle rendu court par notre marche rapide, suivant avec peine le rythme imposé par les cloches qui s’étaient mises à tinter à notre arrivée. Sous le haut plafond de la grande salle, notre procession s’avança interminablement, encadrée par deux murs de visages silencieux, reflétée par le sol d’obsidienne poli. Au milieu de la foule ma femme me fit un signe de tête que je lui rendis respectueusement. Pourtant, je me sentais déplacé. Vêtu de mon armure souillée et de mes armes ensanglantées, j’avais l’impression d’être moi-même un barbare.
Le Grand Archon nous attendait sous la fenêtre ronde, au travers de laquelle le disque argenté de la lune prenait lentement sa place.
La lumière froide de notre seigneur forma un puissant rayon qui vint illuminer l’Archon et le Livre des Sermons qui reposait sur son massif piédestal d’argent. Le rayon était si intense que les pages blanches semblaient luirent et baignaient le livre et la peau parfaite de l’Archon d’une aura surnaturelle. C’était l’heure la plus sacrée, le moment où la brillance de la lune atteignait son paroxysme. Le murmure des prières emplissait la grande salle d’un brouillard de sonorités.
Mon maître de guerre me dépassa et s’agenouilla sur le sol d’obsidienne devant l’Archon, tandis qu’autour de moi, mes hommes faisaient de même en signe de révérence. Seul, je restai debout.
«Le Dracon Craig Un’Shallach se présente devant l’Archon avec une offrande ! »
L’Archon s’avança, son ample robe flottant autour de son corps mince semblait se fondre avec le sol. Il nous mesura du regard et par son expression, il nous punissait de ce sacrifice de piètre valeur.
«Vous nous apportez une bien maigre offrande, Dracon. »
Puis il posa les yeux sur moi. Nos regards croisés s’éclairèrent un instant de l’ancestrale lutte pour le pouvoir. Une lutte que ma caste avait perdue il y a bien longtemps. Je gardai le silence et, un imperceptible sourire aux lèvre, il tourna le dos.
«D’abord l’homme. »
Des murmures bruissèrent dans la salle dans l’attente du miracle quand l’Archon tendit la main gauche vers le visage de l’humain, un visage déformé par la terreur. Il enfonça profondément les ongles de sa main droite dans sa paume gauche, ouvrant trois petites blessures d’où s’échappèrent les gouttes noires de son sang qui commencèrent à couler sur la peau de l’humain. Tout d’abord, les gouttes de sang formèrent des perles noires. Puis, comme cela s’était déjà produit bien des fois, elles commencèrent à se déformer, à glisser de droite et de gauche. Des pattes apparurent qui transformèrent les gouttes en araignées noires, une légion avide de serviteurs de notre seigneur qui ne tardèrent pas à s’enfoncer dans les chairs de l’humain. Le serviteur du soleil se mit à se tordre en hurlant sous les yeux de l’Archon qui observait ses souffrance avec une joie silencieuse.
«Tes chairs vont pourrir, prix du sacrilège de tes dieux. Ton sang va se répandre car c’est la marque de ta faiblesse et le plaisir de notre seigneur ! »
Je contemplai cette scène que j’avais déjà vue si souvent et tout en attendant silencieusement le dénouement, je cherchai au fond de moi le plaisir et la satisfaction, mais je ne les trouvai pas. Je vis le regard de la femme qui assistait à la mort de son mari, et dans son regard il y avait un désespoir absolu nourri de toute la puissance des émotions incompréhensibles qui la submergeaient. Un désespoir qui tranchait comme une lame dans les souffrances qu’il endurait, un désespoir aussi profond que le vaste océan du deuil. Ces yeux me glacèrent. Comme dans un rêve, je tirai une de mes lame et tranchai d’un coup la tête de l’humain. Un pas rapide et la femme s’écroula sur le sol, la gorge ouverte.
Cris et murmures emplirent la salle et je sentis peser le regard d’incompréhension de mes hommes. L’Archon tituba, terrassé par l’outrage que je venais de commettre.
«Qu’as-tu fait ? ».
En pleine confusion, je cherchais une explication pour un acte qui n’en avait pas. Comme si elle venait d’ailleurs, de loin, ma voix résonna, forte et claire.
«Ce n’étaient que des paysans indignes d’être sacrifiés ici. »
Je regardai autour de moi dans un silence pesant. Je me tenais là, dans mon armure couverte du sang des adorateurs du soleil et tous me virent pour ce que j’étais : un sceptique souillé par les croyances des adorateurs du soleil, contaminé par la marque par leur faiblesse. Une réaction de rejet traversa la foule comme une vague glacée et je restai isolé. L’Archon, pourtant, eut son petit sourire presque imperceptible. J’étais le chef de ma caste et de ce fait il ne pouvait m’atteindre, mais en cet instant je venais de rendre mon pouvoir.
« Prions, frères et sœurs ! Que le courroux du Tisseur d’argent nous épargne ! »
Je commençais à me retirer, encore engourdi de ce que je venais de faire, espérant que l’inévitable ne se produirait pas.
«Dracon ! »
Je me figeai sur place.
«Tu semble fatigué de ta tâche et incapable d’accomplir tes devoirs. »
Il prononça la formule, et bien qu’il ne s’agisse de mots et pas de magie, il aurait pu aussi bien invoquer le feu de Barga Gor sur ma tête.
« Tu auras une nouvelle tâche à accomplir. Tu te rendras à notre forteresse d’Urgath, où de nouveaux défis t’attendront. »
Tout était dit. Je me tournai lentement pour lui faire face.
«L’exil ? »
« C’est un long voyage. Tu devrais partir immédiatement. »
Il n’y avait plus rien à faire, plus rien à dire. Alors je me mis en marche, en direction de la grande porte, à l’autre bout de la salle. À chacun de mes pas, mes lourdes bottes résonnaient comme le tonnerre et à chaque bruit, la foule s’écartait un peu plus, comme s’ils nous craignaient, moi et la maladie de faiblesse qui m’avait infecté.
Les esclaves, bouche cousue, saisirent les poignées et ouvrirent la grande porte pour me laisser passer. Je me tournai vers ma femme, qui se tenait silencieuse au milieu de la foule. Je cherchai dans ses yeux le pouvoir que j’avais vu dans le dernier regard de l’humaine, mais il n’y avait rien, ni dans ses yeux, ni dans mon cœur.
Je lui adressai alors une signe de tête respectueux, puis, tournant les talons, je franchis la porte, laissant derrière moi la grande salle et mon pays.
D'après SpellForce