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  • Événement Avril 2024 - Cot Cot Codeccc

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  • Mise à jour 1.280

    La mise à jour 1.280 aura lieu le mercredi 10 avril ! Comme d'habitude, il y aura une courte interruption des serveurs pendant la mise à jour et nous vous prions de nous excuser pour ce petit désagrément.
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Feu de brousse à Québec.

BlackKwolph

Biologiste
Chapitre vingtième


Cindy se coiffait en souriant au reflet, si lumineux, fin et élancé, que lui renvoyaient les baies vitrées de la salle des pas perdus. Comment ne pas être fière d'une telle silhouette ? Comment ne pas adorer un visage à l'ovale aussi parfait ? Comment ne pas désirer une chevelure digne de Bérénice ? Elle l'aurait volontiers offerte à Aphrodite pour gagner le coeur de son protégé.
Et elle cherchait sur la dalle, dans la salle des pas perdus, les traces de quand elle l'avait attendu... tous ces petits pas accomplis ensemble... Souriant au marchand de journal , dans la salle des pas perdus, elle se souvenait des villes qu'elle avait vues, rien qu'en prenant le large, au coin, du long en large... Elle avait vu Malé, Rome, Angkhor (et encore, d'accord, d'accord) et Amsterdam... et son homme l'attendait, elle, femme....
Tiens, cela sonnait comme un air connu. Ses adorables petites cellules grises, qu'un charmant passager à la moustache impressionnante, et à l'embonpoint tout autant, avait vantées, avec un accent français si exotique, pendant le vol Londres/Le Caire, se mirent à s'agiter. Un homme attend une femme.... dans la salle des pas perdus....Mais oui, Maxime le Forestier ! Elle l'adorait depuis son adolescence. Un français, certes, mais avec un nom pareil, il avait obligatoirement des ancêtres québécois ! Ce qui le rendait encore plus précieux.

Chantonnant l'air avec une légèreté de rossignol milanais, elle reprit sa traversée du hall, souriante, séduisante, sous le regard admiratif des uns et critique des autres.« Tout mes cents pas mis bout à bout, J'aurais changé cent fois de décor, De montagne en désert, de désert en port,.... » les paroles lui échappaient parfois, mais elle se sentait transportée, heureuse.

« Tzindyyyyyyyyyy ! Tzindyyyyyyyyyy ! Hallooooooooo ! » Une tornade rousse à longues nattes, format camionneur international fondait sur elle tel le pygargue à tête blanche sur le malheureux mulet innocent.
« Heidi ? »...... stupeur et tremblements.....
Heidi ? La colocataire de Steve ? Etudiante en Beaux-Arts (elle étudiait beaucoup les divers modèles, sa maîtrise du nu était reconnue dans tout les milieux interlopes de Québec), elle était d'origine Suisse Alémanique. Sportive aguerrie, maîtrisant divers arts martiaux, championne de curling, elle finançait ses études en assumant pendant les week ends un poste de bûcheronne près de Rivière Rouge. Elle maîtrisait parfaitement la scie de tronçonnage, possédait un permis pour les débusqueuses, et dirigeait une équipe de dix solides gaillards, qui avaient souvent posé en tant que modèles. Cindy et Connie étaient fans de ses photos et tableaux. Mais son plus grand admirateur était Steve. Il ne tarissait pas d'éloges sur la beauté exprimée aussi artistiquement. Certaines photos étaient d'ailleurs en bonne place dans sa chambre.
Heidi, donc, la serrait à l'étouffer, ne prenant nullement garde à préserver sa coiffure... Un peu brutale, peut-être, mais tellement … nature ! Et pour être nature, elle l'était, refusant l'usage de tout déodorant pour rester plus en contact avec le monde de la forêt. Une rebelle flamboyante. Mais que Tzindyyyyy préférait garder à distance. Son odorat était trop fragile pour résister à un tel vent de sauvageonnerie.
Elle se faisait toujours, in petto (expression qui la faisait rire discrètement), la remarque que Heidi et Steve, qui s'entendaient comme lardons en foire (expression incompréhensible....), étaient étonnamment mal assortis. Et pourtant, leur colocation avait évolué en une véritable amitié. Ils se confiaient tout. Ce qui la rendait parfois un peu jalouse, un peu.

« Tzindyyyyyy ! Che suis zoooooo surprise ! (malgré 5 ans passés en pays Québécois, et les cours de diction dispensés par Steve, Cindy et Connie, son accent ne faiblissait pas) Das ist ein groooosssss plaisir ! Ch'arrive de Berne où le drapeau ne l'était pas ! AH AH AH AHHHH! (et boum, un grand coup de coude dans les cotes tendres de Cindy qui devinrent encore plus flottantes...souffle coupé.... hhhhhhh.....). Bien contente de quitter meine Familie. Ils sont zoooooo rustiques. Fous m'afez manqué, tous. Ach, et ch'ai rapporté un petittt cadeau pour l'appartement de Stevy : un coucou de chez moi! Il zonne tous les quarts d'heure un petittttt bout de l'hymne natzional. Wunderschön ! »
Cindy, le souffle toujours court, s'efforçait de suivre le débit rapide de Heidi, décryptant les mots inconnus.
Evidemment Heidi proposa de fêter leur rencontre par une bière amicalement partagée. Cindy n'aimait pas la bière (ça ballonne ....) mais accepta, conquise par le sourire chaleureux de son amie. Assise confortablement au bar de l'aéroport, elle commanda un jus de carotte bio et un en-cas de bâtonnets de fenouil et radis noir. Le flot ininterrompu que déversait la Suissesse la berçait, indolente et détendue. Il en ressortait surtout qu'Heidi repartait pour 2 semaines de vacances travailler dans les forêts du nord.
... la forêt..... le silence..... JOE !
Mon dieu, elle avait pris son étui à cartes Louis Vuitton en lieu et place de son portable, obnubilée par Amadou. Coupée du monde depuis son départ. Vite ! Rentrer, retrouver son appartement. Et lire des nouvelles de Joe !

Un proverbe entendu lors d'une escale en Afghanistan la hantait « ألا يمكنكَ فعلُ شيء بخصوص هذا الطوفان ؟ " (traduction approximative : pour une colonie de fourmis, l'arrosoir est déluge)
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre vingt et unième.



Cindy se coiffait d'une main rapide et excitée, enivrée dans la cascade capillaire comme des lèvres dans un vin blanc de glace. Les deux amies se levèrent, quand une odeur d'arachides torréfiées vint exciter les narines de porcelaine de la belle hôtesse. Heïdi, en s'extirpant de sa place pour récupérer les valises, bouscula un grand type en imper qui prenait un café derrière elle. Existait il des café-cacahuète?

Après quelques minutes de route, le taxi déposait les deux voyageuses à la résidence de "l'orignal babouneur". Elles trouvèrent Steve, éploré devant la porte de Cindy. Amadou, courbé sur lui, posait une main bienveillante sur son épaule secouée de sanglots. En entendant le moteur, Steve releva le visage qui s'éclaira, quand Heïdi surgit du véhicule.

-"Heïdi?!? Ma grande amie des montagnes, Halala Heïdi, halala Heïdi, Halala dit Heïdi!!! ha dit Heïdi haha!!! Tu reviens donc, la maison est là pour t'accueillir!" Et il se jeta au cou de la suissesse.

Cindy caressa la main de son ami en passant, qui, dans les bras de Heïdi, ne touchait plus le sol, Puis elle se dirigea vers un Amadou souriant. Ah, que ce sourire était radieux, on aurait dit la lune dans une nuit de chaume... et celle ci se reflétait à merveille dans les grands lacs bleus des yeux de Cindy.

Que s'était il passé ici? Pourquoi Steve était il effondré? Et pourquoi Amadou avait un seau près de lui? Elle embrassa amicalement mais avec insistance et délectation les joues d'Amadou en savourant le contact doux et ferme de l'homme à tout faire. Son regard se posa alors sur le contenu du seau... un pygargue y gisait.
Cindy apprit alors les événements qui avaient tant troublé Steve. Quelques jours plus tôt, un petit lapin s'était présenté à la porte du pavillon de Cindy, il avait attendu là, innocent et adorable à tel point que Steve voulu l'apprivoiser. Jour après jour, il l'avait nourri de carottes et de pommes. Malheureusement un matin, un chat sauvage avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Le lendemain un chien errant avait mordu le chat qui avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Puis un carcajou avait attaqué le chien qui avait mordu le chat qui avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Enfin la trique d'Amadou fit s'enfuir le carcajou qui avait attaqué le chien qui avait mordu le chat qui avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Ce jour là, Steve brûla du regard la trique d'Amadou qui avait fait s'enfuir le carcajou qui avait attaqué le chien qui avait mordu le chat qui avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Puis tel un ange rédempteur, un pygargue était venu éteindre la colère de Steve qui avait attaqué la trique d'Amadou qui avait fait s'enfuir le carcajou qui avait brûlé le chien qui avait mordu le chat qui avait dévoré le lapin qui avait mangé la carotte et que Steve voulait bien adopter. Pour que finalement, après un combat acharné contre le carcajou réfugié un peu plus loin, une indigestion foudroya l'ange rédempteur qui avait éteint la colère de Steve qui avait dévoré la trique d'Amadou qui avait mangé le carcajou qui avait mordu le chien qui avait brûlé le chat qui avait attaqué le lapin qui avait fait s'enfuir la carotte et que Steve voulait bien adopter. Depuis ce jour funeste, Steve était inconsolable de la perte de ce petit être de poils et d'yeux aussi grands que d'oreilles et Amadou devait évacuer le cadavre du pygargue. Il ferait un brasier plus tard dans la soirée, sans doute, c'étaient ses affaires après tout et Cindy ne s'en préoccupait pas plus que cela, pas plus que... cette odeur d'arachides torréfiées qui flottait dans l'air...

Amadou montra un petit tas de sable fumant, et expliqua à Cindy qu'il avait eu envie de préparer des plats de son pays natal et les cacahuètes torréfiées dans le sable brûlant en faisaient partie. Cependant, ces parfums alertèrent Cindy, comment se pouvait il qu'elle les ait sentis à l'aéroport? D'où venait cet écho, cette sensation...? Il fallait rentrer d'abord, retrouver la maison, défaire les bagages. Appeler Joe, appeler Joe. Le taxi était reparti, Heïdi avait chargé ses bagages dans la Fiat 500 Jolly beach et rentrait déjà ceux de Cindy. Steve embrassa d'une accolade apaisée sa confidente, son alter ego, son yin, sa Cindy. Amadou avait déjà disparu avec le seau qui deviendrait cinéraire.

Cindy se remémora un poème que lui avait conté Amadou, un texte du poète africain, Birago Diop. "Les Souffles" était son titre.

"Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend ,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre
"

(trad inutile)
 
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Chapitre vingt-deuxième

Cindy se coiffait avec exaltation, tout en allant et venant dans son appartement d'un pas vif et léger.
Elle avait défait sa valise, et s'appliquait à ranger ses petites affaires : classer ses brosses à cheveux par ordre de taille, pendre ses uniformes dans l'armoire, et ranger ses pots de baume capillaire dans sa coiffeuse.

Pourtant, elle avait l'esprit préoccupé par la geste du pygargue, dont l'air entêtant tournicotait dans sa jolie tête blonde. Elle se surprit à se demander à quoi ressemblait la trique d'Amadou. Était-elle à la fois souple et solide ? Était-elle ferme et terriblement intimidante ? Était-elle de nature à mater les pygargues, les carcajous ou tout autre créature sauvage ? A sa vue, était-on plutôt enclin(e) à se courber ou s'agenouiller ? Que de questionnements !!

Son téléphone, soudain, birloupidibip-bip-bipa, ce qui la tira de ses songes, non pas concupiscents, mais plutôt empreints d'une curiosité pragmatique. Vite, Cindy décrocha, et... oui ! C'était un appel de Joe ! La voix rocailleuse s'éleva dans le haut-parleur.
"Bonjour, ma chouette chuchotante. Je t'appelle du téléphone public au dépanneur (trad. épicerie de proximité ouverte même le dimanche jusqu'à 22 heures) de Saint-Crénon. J'ai perçu ton appel ! Le vent me l'a apporté, la lune me l'a chuchoté, le caribou me l'a brâmé. Et malgré ton message en apparence joyeux, ta voix m'a semblé empreinte d'une extrême détresse. Que t'arrive-t-il, jeune biche aux abois ?

- Joe !! Oh, Joe !! Tu ne devineras jamais !..." A entendre la voix de son mentor, Cindy sentit son cœur fondre comme neige au soleil... ou comme fromage sur poutine.

...Et Cindy de lui conter confusément, d'une voix saccadée par l'émotion, les semaines passées : les péripéties d'Amadou, les sentiments qui l'agitaient, la détresse de Steve et les coucous suisses, le sort du pauvre lapin et le jacuzzi, l’infamie de Jonathan et les cacahuètes grillées...
Joe écoutait sa protégée d'une oreille bienveillante et intervenait de temps en temps d'une voix apaisante.

"Écoute !" lui dit-il lorsque Cindy se fut épanchée. "Prends quelques jours de congés et viens donc me rendre visite, accompagnée de tes amis ! C'est avec joie que je vous accueillerai ! La forêt est magnifique en cette saison ! Nous trouverons une solution à tous tes déboires !"

Mais quelle idée délicieuse !! Cindy en tomba en pâmoison. Oh oui ! Quelle perspective exaltante !

Elle raccrocha rassérénée et emplie d'une énergie nouvelle. Elle s'empressa de dresser la liste des choses à acheter et à prévoir en vue de ce voyage qui serait, assurément, initiatique autant que bénéfique.

Elle secoua la boule à neige achetée au Caire et regarda les petits flocons tomber sur la Pyramide de Gizeh...
Dans ce lointain et aride pays, on dit souvent :

فقكٸٸشصضظظغغغ ٻ ( Traduction approximative : "La splendeur de l'obélisque fait s'extasier les villageoises" )
 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre vingt-troisième
Cindy se coiffait, sentant ressurgir son inquiétude....

A l'Est, près du mur de clôture de la résidence de l'Orignal Babouneur, Amadou avait creusé le sol durci par la sécheresse de cette fin d'été et avait préparé un lit de bois sec.... le réchauffement climatique n'était pas une simple lubie de scientifique. Il n'aurait jamais imaginé qu'il faisait aussi chaud au Québec. Cette chaleur étrange l'incommodait. Avec respect, lentement, il souleva la dépouille du grand rapace, attristé de l'avoir vu succomber au terrible combat kafkaïen contre le carcajou. Après l'avoir élevé vers le soleil rougeoyant, notant qu'il poudroyait, il se pencha vers l'herbe qui verdoyait, et ne voyant rien venir, déposa l'aigle noir et mort qui plus jamais, dans un bruissement d'ailes, ne reprendrait son vol pour regagner le ciel. Avec des gestes lents et doux, psalmodiant des phrases rituelles tant de fois entendues au cours des cérémonies funèbres dans son village, il alluma le petit brasier qui ne tarda pas à crépiter funestement. Amadou s'était dressé face au soleil qui déclinait, majestueux et sombre. Il sentait en lui la puissance de ses ancêtres sorciers, et dans sa large poitrine battaient les lourds tambours sonores, boomerang de sentiments enfouis. « E wê, E wêê, E wô, O Wôô » La mélopée ancestrale le berçait et son âme s'éleva dans le rythme lancinant des percussions. Il ne fut pas surpris quand, dans la fumée épaisse qui s'élevait du foyer, il vit se former lentement mais très nettement un être étrange à l'attitude bienveillante. Quel esprit se manifestait ainsi ?
Jamais un tel personnage, au teint sombre mais lumineux, aux longs cheveux raides, couronné de plumes blanches et noires de pygargue, en habit richement décoré, étrangement découpés sur le bas..., ne s'était présenté à lui. Et son âme accueillit un rythme nouveau, syncopé mais qui n'était pas de son pays. Ce rythme parlait de hauts plateaux, et de forêts immenses, de lacs transparents et glacés, et de neige. Le message de l'esprit résonna en lui.

A l'ouest, Steve tournait le dos au soleil pour qu'il n'éclaire pas son visage ravagé par des larmes intarissables. Il pleurait toujours la perte de son ami à poil et à quatre pattes, se revoyait caressant délicatement la queue ronde et douce... Prostré dans son Voltaire restylé par Jacques Guillon, il était fan de ce designer québecois, il refusait de déballer le cadeau que Heidi lui présentait avec inzistanze. Finalement, autant pour se changer les idées que pour faire cesser les injonctions de plus en plus incompréhensibles de son amie teutone, à tâtons, il tritura les rubans multicolores du paquet et finit par extraire d'un monceau de papiers d'emballages bulle, soie, et autres (les Suisses se faisaient pourtant mousser quant à leur avance en matière d'éco emballage...pfffff!) …. un coucou Suisse ! Les battements de main de Heidi et son cri (hurlement?) de plaisir le firent sursauter. Il sourit finalement et suivit son amie pour trouver une place à ce nouvel invité sifflotant et tournicotant, quelle surprise : ce n'était pas un coucou qui habitait le charmant chalet chuiche, mais un aigle ! Etrange idée en vérité.

« Au Nord, au Nord ! » répétait Heidi. Elle avait trouvé la place idéale pour son « coucou » si original. Un grand mur sur lequel seule une toile de Antrios meublait l'espace de son blanc immaculé, juste parcouru d'un fin liseré blanc, mais moins blanc... Que d'heures de discussions vives et de controverses animées avait suscité cet achat si cher. Mais Steve en était dingue ! Et un coucou-aigle allait parfaire l'harmonie de ce mur pur et dur.
Précise et efficace, Heidi prépara la perceuse et le foret, la cheville et le tournevis, le marteau et le clou. D'un coup de crayon vif, elle marqua l'emplacement et perça sans hésiter. Steve sursauta, mal à l'aise tout à coup. Quelle étrange réaction ! Il était accoutumé pourtant aux travaux bruyants de sa colocataire. Mais le son strident, puis les coups répétés en rythme irrégulier du marteau trouvèrent en lui un écho. Et un coup d'oeil vers Heidi, qui s'était brutalement interrompue, en alerte, l'assurèrent du bien fondé de sa réaction.... Il tendit le cou et le coucou, elle le suspendit.... et...... TOUS les coucous de l'appartement se mirent à sonner. IMPOSSIBLE !!! C'est impossible , répétait Steve ? Chacun était réglé sur un fuseau différent et la qualité horlogère suisse n'est plus à démontrer. Ils n'avaient JAMAIS modifié leur rythme régulier et rassurant. Heidi et Steve se rapprochèrent, tremblants. Ils avaient entendu le même appel. L'heure était venue !

Au Sud, Connie était en pleine séance de coaching/ relooking. Sa renommée avait traversé la grande flaque : Elton John en personne l'avait appelée pour superviser la création des nouveaux costumes de son spectacle. L'espace scénique figurerait une immense chambre avec un lit à baldaquin extravagant couvert de coussins en soie, et un magnifique piano blanc. Toujours plus grandiose, plus délirant, plus glamour, outrageous avait-il dit. désirant faire concurrence à C'line Dion (Osti que Cindy ne l'apprenne jamais....), il avait exigé des paillettes, de l'or, des étoles en vison et des plumes d'autruches à mettre dans son cubiculum, vite fait. Il venait de se raviser, préférant des plumes d'aigle, sous menace de se suicider en cas de refus. « don't go breaking my heart ! » avait-il marmonné au téléphone. « Ké k'y dit ? » La liaison était si mauvaise depuis Londres. Où diable pourrait-elle trouver de vraies plumes d'aigle ? Ils étaient protégés et elle n'avait plus le temps de trouver des braconniers. Quelle plaie ! Pourtant elle en avait acheté quelques unes sur internet. Si la police apprenait qu'elle en détenait, elle risquait 100.000$ d'amende et 2 ans de prison... de quoi réfléchir avant de suivre la voie tracée par Rachel CrowSpreadingWings...
Une pulsion irrépressible la poussa à sortir les plumes de leur boîte. Elle les admirait, hypnotisée. L'aigle est sacré. L'aigle voit tout et connaît tout. Ses doigts s'approchèrent des plumes ; à leur contact, un frisson étrange la parcourut de la tête aux orteils. Dubitative mais téméraire, elle se leva et se dirigea rapidement vers son dressing. Elle devait appeler Cindy.

Au centre de sa chambre, près du guéridon où d'odorantes cacahuètes encore tièdes attendaient d'être croquées, Cindy venait de poser sa brosse à cheveux. Effarée, elle écoutait le crépitement discret de ses cheveux, anormalement électrisés par le coiffage. Afin de vérifier qu'ils ne se dressaient pas tout droit sur sa tête, comme dans cette expérience de Farfadet (un patronyme bien amusant pour un physicien, il devait être petit et espiègle, c'était certain !), elle se dirigea vers le miroir. Et là, elle retrouva sa sérénité : souriant, son regard toujours chaleureux et protecteur, Joe lui faisait face. L'image tendit ses mains vers elle.

Heureuse, elle oublia un instant le proverbe cubain qui ronronnait en elle : « Ah Rachid, pone tus cacahuetas en las rojas bresas que a tu pais de volver te dejas. » (trad. approximative tant l'idiome est éloigné du français : Pose tes cacahuètes sur la braise rougie, laisse-les te ramener au pays.)
 
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Chapitre vingt-quatrième

Cindy se coiffait joyeusement et avec exaltation devant son miroir. Son propre reflet se superposait à l'image mentale de Joe. La brosse en soie de sanglier crissait doucement dans ses longs cheveux.

Elle était prise d'un élan fou. Éclipsée, la fatigue des dernières semaines ! Elle se sentait extatique, guillerette, électrique. Un regain d'énergie lui donnait des ailes, et elle sentait qu'elle était à un tournant important de sa vie.

Oui ! Oui !!! que la vie est chouette, tabernak' !!
Son téléphone birloupidibip-bip-bipa de nouveau. Oh ! un appel de Connie, cette fois !

Cindy répondit avec enthousiasme. Mais la voix de Connie était d'une gravité étrange.
"Ma choute, je suis navrée de te déranger ! Mais j'ai quelque chose d'important à te dire ! Tantôt, j'étais occupée avec des plumes d'aigle, et j'ai été prise d'un long, d'un soudain et indéfinissable frisson !!
- Oh-oh, Connie !!! avec des plumes !?
- Nooon, pas ce genre de frisson, friponne ! Autre chose... c'était bizarre... Un sentiment à la fois d'urgence et d'éternité...
- Serait-ce en rapport avec les plumes ...??"

Pensives, les deux amies songèrent, chacune de leur côté, à cette curieuse perspective.
Puis, Connie reprit :
"Non, impossible. C'est autre chose.
- Il faut que nous en parlions. Je viens chez toi d'ici une demi-heure ?
- ... Euh, ou-oui !! ( Aarrgh tabernak !! il faut que je range le foutoir d'Elton John, et fissa ! ) Oui oui, avec plaisir !
- Et j'ai un projet à vous proposer pour rendre visite à Joe !
- Hou mais quelle riche idée ! On en discute tantôt ! A plus tard !"

Cindy picora les cacahuètes restant sur le guéridon, puis rassembla son manteau, son antivol, ses clés, son téléphone et son casque de vélo ultra-aérodynamique. Elle ouvrit la porte de son pavillon pour sortir, et se heurta de plein fouet à Amadou, qui avait fini d'incinérer le pygargue. Il était harassé, vidé, exténué par cette sépulture. Il sentit son cœur fondre d'un inexplicable chagrin pour le rapace et pour son malheureux sort. Il se heurta à Cindy, et dans un mouvement incontrôlé, l'enserra de ses bras musclés. Elle dût sentir son désarroi, ne dit pas un mot, et il lui en sut gré.

Ils restèrent un long moment enlacés, muets de chagrin, de surprise et d'émerveillement mêlés. Sa chemise sentait bon le feu de bois et le... pygargue grillé. Puis l'étreinte prit fin, aussi naturellement qu'elle débuta.
A peine le temps d'un soupir, et Amadou rentra sans un mot dans l'appartement, laissant Cindy sur le palier, les bras ballants, son casque de vélo se balançant doucement à sa main.
Avait-elle rêvé ? Les bras d'Amadou, autour de ses épaules ? Sa grande main sur son dos ? Avait-elle rêvé ?

Avant qu'elle ne put réagir, Amadou ressortit brusquement sur le palier, lui prit le visage entre ses mains chaudes, et lui murmura, ses lèvres d'ébène contre le front de porcelaine : "Cindy...


...Ohm'gad tourr' na gan'gaa pinna- gongo" ( Traduction approximative : "Là où les broussailles s'entre-mêlent, le serpent cherche sa femelle" )
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre vingt-cinquième


Cindy coiffait les mèches qui dépassaient de son casque ultra-aérodynamique et flottaient dans le vent coquin qui caressait la nuque délicate de l'hôtesse de l'air. Il allait même jusqu'à s'engouffrer dans le polo échancré de Cindy, se réchauffant au contact de la peau de nacre en s'attardant, prisonnier volontaire, autour du nombril de la belle cycliste.
Rêveuse, heureuse d'avoir retrouvé un instant son intérieur douillet, l'odeur de son colocataire de fortune, elle était encore toute excitée par les paroles sibyllines qu'Amadou avait posées sur son front. Elle se prit à se demander ce qu'il avait bien pu vivre pour acquérir tant de sagesse. Il avait dû risquer sa vie dans des dures luttes pour la liberté de ton, au milieu d'une population qui grouillait et cognait. Les plus jeunes épanchaient leur bile dans l'émeute tout en se dépouillant devant les brutes. Ah, on ne devait pas s'en venir pour reculer alors! Les gérontes, jugés plus sages avaient pris le pouvoir et mené son pays à la ruine. La population avait été pillée jusqu'à manquer de soupe et s'était soulevée légitimement; quand déjà? Amadou lui avait pourtant donné la date officielle, néanmoins, il savait que seule l'entrée du premier char marque une date, après tout, avait il ajouté:

-"Les péchés n'ont pas de dates".

Et c'est à ce moment précis qu'il avait fui son pays à feu et à sang. Il avait refusé de tirer dans la populace hagarde et désespérée.
Quelle sagesse, quel courage, cependant elle n'était pas sûre de vouloir que la situation se calme dans le pays natal d'Amadou, en effet qu'arrivera-t-il une fois les sexas retirés? Rentrerait il? Le pourrait il?
Cindy en était toute émoustillée, tellement qu'elle ne prit pas garde au feu tricolore suspendu devant elle. Un coup de klaxon strident la tira de ses pénétrantes pensées. Un char freinait en urgence pour laisser passer le petit vélo rose de Cindy, lancé à vive allure. Le conducteur hors de lui éructa par la fenêtre:

"M'enfin!!! Comment peut on circuler dans ce tank et sans faire attention, Tabernak!!!"

Puis, finalement séduit par le regard apeuré, surpris, innocent et coupable de Cindy, le chauffeur du véhicule se dit que cette fille au beau polo ferait fondre les calottes... et puis il y avait eu, finalement, plus de peur que de mal.
Cindy, les jambes en coton, se laissa porter, au guidon de sa monture, jusqu'au carrefour suivant, quand une phrase surgit du fond de sa mémoire, Joe l'indien la berçait souvent, petite d'un dicton qui avait guidé sa vie:


"Stu ding eubate thatgoude ol douais" (trad: Le coiffeur s'occupe des nattes et des chevelus, puis il épile les bajoues des pisteurs.)
 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre vingt-sixième
Cindy se recoiffait sous le casque rose, maudissant le peu d'espace disponible pour glisser son peigne anti-statique, afin d' arriver nette et parfaite chez son amie. La façade du Carrefour apparut au bout de l'avenue. Et là, le scoop ! Un signe : elle approchait, elle approchait d'un moment décisif dans sa vie, sa petite vie bien rangée d'hôtesse embarquée, sa parfaite vie en rose. Voilà ce que lui soufflait une petite voix lorsqu'il la prenait dans ses bras, qu'il lui parlait tout bas.. « Cindy »... Un virage s'imposait.
Un tournant dans sa vie !
Droite ou gauche se demanda-t-elle aussitôt, et, agitant son peigne à droite, sans aucun regret, adroite du doigt droit, elle tourna brutalement à gauche, signalant son changement de direction au monde entier, et aux conducteurs qui l'entouraient avec bienveillance.
Rayonnante, illuminée par les dards chauds et flamboyants d'un soleil langoureux, madonne auréolée de grâce et bénie des Dieux de la Nature, elle rangea son vélo dans l'entrée de l'immeuble de Connie.
Toujours portée par sa Révélation, elle bondit, telle la douce vigogne vers les sommets escarpés, dans l'ascenseur qui la déposa sur le pallier.

La porte était déjà grande ouverte, et dans le brouhaha d'une conversation animée, elle reconnut immédiatement les accents hystériques de Steve et le rythme balancé de Heidi qui incompréhensiblement ne cessait de hurler «coucou coucou ».
Lorsqu'elle apparut au seuil du salon, Steve achevait de narrer l'étrange phénomène horloger. Il soulignait l'aberration de ce « coucou » en forme d'aigle. Un aigle était donc à l'origine de cet affolement. Comme de l'appel de Connie. Et le souvenir du pygargue incinéré s'imposa brutalement. L'aigle.... royal, protecteur, majestueux, gardien des secrets de l'humanité. Ses plumes bicolores, nettement contrastées.

Elle prit la parole, brûlant d'annoncer la Nouvelle à ses amis.
« Un tie and dye !!!!! Je vais faire un tie and dye !!!!!! »
….
La pression redescendit lentement. Un silence effaré succéda peu à peu à l'agitation braillarde.
Trois paires d'yeux la contemplaient, ahuries.

L'éclat de rire de Connie ramena Steve et Heidi au réel.
« Ma chérie, enchaîna Steve, tu n'y penses paaaas ! Tes magnifaïques cheveux !!!! saccagés !!! secs et cassants !!!! Impensable ! Hérétique ! »
Heidi se contenta de murmurer « Thaï and Die ? Mein Gott, mais, c'est terrible ! »

Apaisante, Cindy reprit la parole et s'expliqua :
« Tout concorde, les signes me guident, l'aigle me montre la voie de la couleur. Joe m'est apparu cet après-midi, ainsi qu'à vous, mes amis, mes bien chers frères, mes bien chères soeurs. Il détient la science des plantes. Il saura. »
Joe habitait la forêt boréale, au Nord Ouest, dans la réserve faunique d'Ashuapmushuan. Il faudrait passer par la ville fantôme de Val-jalbert... 400 km jusqu'à Chibougamau, par des routes forestières étroites. Ils dormiraient « Chez Nancy » avant de commencer leur périple pédestre vers le Lac Father.
Connie, reine de l'organisation, décrochait déjà son cell pour réserver les chambres. Elle était capable de boucler ses valises en 5 minutes.
Heidi, enthousiaste à l'idée de parcourir à nouveau ses chères forêts, embarqua Steve, toujours choqué, sans ménagement. Elle assura qu'ils seraient chez Cindy, équipés, dans 1 heure. Il partiraient avec son Ford Ranger.
Cindy appela immédiatement Amadou, il fallait l'équiper du nécessaire au plus vite.

Les deux amies, propulsées par la Corvette C6 ZR1, se hâtèrent vers l'Orignal Babouneur.
Leurs pensées se rejoignaient autour de « Prismus coloramus pedibus poetorum spondevari » (trad. Il-Littré : Le pied de l'arc-en-ciel ne fait pas trébucher le poète)
 
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Chapitre vingt-septième

Cindy se coiffait avec la main d'Amadou, qui ne comprenait rien à cette situation absurde.
La jeune femme avait saisi entre les siennes la grande main de son ami, qu'elle passait et repassait dans ses longs cheveux en fredonnant.
Ils roulaient depuis environ 20 minutes. Heidi conduisait en discutant avec Connie, et sur la banquette arrière, Amadou était entouré d'une Cindy rayonnante et d'un Steve plongé dans ses pensées, un sourire béat aux lèvres. (Songeait-il encore à son lapin...?)

Quels étranges amis il avait là ! Ils étaient tous très gentils, mais si imprévisibles parfois ! Leurs personnalités étaient pour l'exilé sénégalais parfois insaisissables, et leurs réactions curieuses.

Deux heures auparavant, à la résidence de "l'Orignal babouneur" ...
Alors qu'il rangeait ses outils, très fier du massif qu'il avait patiemment désherbé, tuteuré, taillé, éclairci, Amadou avait vu arriver en trombe la Corvette de Connie. Une Cindy surexcitée en avait surgi, ses beaux cheveux en pagaille, l’œil écarquillé, la voix hachée, hurlant mille inepties sur un voyage en forêt et une "taillandaille". Les Québécois avaient décidément de biens curieuses mœurs !

Ni une, ni deux, Cindy embarqua Amadou, fonça dans l'appartement, saisit sa valise et l'emplit avec une rapidité et une efficacité qui frisaient le miracle : vêtements chauds, chaussures de marche, baume à cheveux, répulsif à moustiques, lampe de poche, sacs de couchage, et mille autres affaires. Elle verrouilla ensuite soigneusement les volets et la porte, et entraina Amadou vers le parking.
Entre-temps, Connie y avait garé sa voiture et laissé un mot à la loge de la résidence, afin d'informer le gardien qu'Amadou s'absenterait durant plusieurs jours. Elle aussi était équipée d'une valise.

Tous trois se mirent à patienter devant l'entrée de la résidence. Peu après, apparu un gros pick-up, qui les embarqua aussi, ni deux, ni trois.

Le véhicule stoppa devant le magasin de sport le plus proche. Là, tous aidèrent Amadou à choisir une foule de vêtements adaptés à un séjour en forêt. Steve insista pour qu'il les essaie. Après un déshabillage express, un rhabillage encore plus rapide, des essayages, des avis, des lamentations, des soupirs, des gémissements appréciateurs, il fut enfin le moment du départ. Heidi ne fit ni trois, ni quatre, embarqua tout son petit monde dans le Ford Ranger, et en route !!

Dans la voiture, Steve téléphona à ses clients pour reporter tous ses rendez-vous. A présent, il rêvassait.
Connie décida intérieurement qu'Elton John attendrait. Vu son grand âge, il n'était certainement plus à quelques jours près...
Heidi était très excitée, et ravie de ces vacances bien méritées. Elle avait travaillé d’arrache-pied tout l'été, puis avait rendu visite à sa famille. Ses cours ne reprenant pas avant quinze bons jours, elle allait enfin pouvoir passer du temps avec ses amis !
Elle babillait, vantait sa voiture "Rends-toi compte, Connie, je l'ai achetée pour une pomme et un œuf, (trad. Pour une bouchée de pain) une féritable affaire !" et contait des anecdotes sur sa famille "...mais mon père a une planche defant la tête... (trad. il est borné) alors je lui ai dit "Papa, c'est saucisse contre saucisse !" (trad. c'est donnant-donnant ) ...ensuite j'ai dit à mon cousin, qui n’arrêtait pas de mettre sa moutarde (trad. de mettre son grain de sel) "eh oh, dummkopf, ce n'est pas ta bière" (trad. ce ne sont pas tes oignons) il en a été des chaussettes !! (trad. Il en est resté baba) Ah ah ah !" et de ponctuer toutes ses phrases d'un grand éclat de rire accompagné d'un coup de coude dans l'épaule de Connie.

Amadou ne saisissait pas un tel caractère d'urgence, ni l'importance de ce voyage. Pourquoi se presser ainsi ? Un tel périple se préparait soigneusement, la forêt n'allait pas s'envoler du jour au lendemain !! Et puis, c'était quoi, une taillandaille ? Cela avait-il un rapport avec la forêt ? Peut-être une manière de tailler les arbres qui lui était inconnue...?
Patience, il aurait bientôt toutes ces réponses. En attendant, il ne quittait pas Heidi des yeux...
Il regardait Heidi, et il pensait confusément à un vieux proverbe wolof :

"Amm' imp titi tou- ngou lopfoouu" (Traduction. : Au fond du mortier vide, le pilon s'ennuie)
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre vingt-huitième



Cindy se coiffait désormais de sa propre main. Elle avait fini par lâcher celle d'Amadou avant que les siennes ne deviennent moites au contact de la peau de son voisin de banquette. Sa chevelure d'or déjà en sursis ne méritait pas de subir en plus les outrages d'une transpiration acide, bien que délicate et parfumée. Cindy, somnolente et rêveuse, regardait le paysage défiler dans la nuit qui bordait maintenant le véhicule. Elle semblait invoquer saint Ignace de son regard voilé. Steve, quant à lui, promenait discrètement son regard sur le corps ferme d'Amadou. Il avait invoqué le manque de place pour expliquer le contact appuyé de sa jambe contre celle de l'ancien tirailleur.

Connie, ayant renoncé à suivre et comprendre la logorrhée de Heidi, l'avait laissée en compagnie de la voix masculine et robotique du GPS. Le Ford Ranger fendait le silence nocturne à une allure rapide et régulière. Voilà deux heures que la bande d'amis roulaient ainsi. Amadou continuait de fixer la conductrice, éclairée par la lumière blafarde du tableau de bord, quand leurs regards se croisèrent dans le rétroviseur. Personne ne sentit le pick up ralentir au moment où Heidi s'interrogea sur le magnétisme du regard intense du beau jardinier. En effet, elle ne pouvait plus soustraire ses yeux à ceux là même qui se détachaient dans l'obscurité. Elle qui avait photographié des éphèbes nus, les plus beaux spécimens masculins existants pour les calendriers de la fédération LGBT en Europe. Elle, qui d'un simple coup d'oeil, aurait pu refroidir les élans virulents d'un rugbyman néo zélandais, essouffler les plus endurants des coureurs de fond enamourés. Elle, qui à l'instar d'Hercule aurait pu dans son berceau tuer d'une main des cobras grouillants. Elle, qui battait pavillon arc en ciel, se surprenait à ne plus pouvoir se dégager de l'emprise ensorcelante du regard félin d'Amadou. Que lui arrivait il?

Amadou, toujours attentif, perçut, le trouble de la jeune étudiante. Il engagea alors la conversation. Il parlait de son pays, des arbres endémiques qu'on y trouvait, les kapokiers, les baobabs, les anacardiers et puis de ceux destinés au reboisement comme les eucalyptus. Il réfréna un sourire en abordant les pistachiers, quand Heidi l'interrompit...

«Himmelgott, mais en Switze, c'est verboten ! Niemals faisons-nous zela sur les chémins !!!!! Doch ! vous n'afez donc bas de toiletten publiques ?!?»

Si Amadou, toujours respectueux, avait gardé le silence, il n'en fut pas de même pour Connie qui avait tendu l'oreille en entendant la voix grave. Son rire sortit de leurs rêveries Cindy et Steve qui se demandaient la raison de cette hilarité soudaine. Heidi, comprenant son erreur, pouffa et enchaîna qu'il allait bientôt falloir s'arrêter pour remplir le réservoir.

«Nous approchons de Val Jalbert, il doit y avoir une station de la dernière chance par ici, nous en profiterons pour acheter quelques encas.» Rassura Cindy.

En effet, un Ultramar se dessinait déjà dans le noir. Ils allaient pouvoir y trouver des toilettes propres et de quoi se sustenter légèrement. Aussitôt le véhicule garé, les trois filles et Steve foncèrent se soulager, pendant qu' Amadou s'occupait de choisir des sandwiches. Il était déjà à la caisse quand, affolé, Steve lui retint le bras.

«Pardon mais tu vas me faire manger mes bas (trad. me faire stresser) si tu me fais avaler ça!»

A peine sa phrase terminée, Steve partait dans les rayons à la recherche de quoi satisfaire ses appétits vegan. Il revint avec un sachet de chips à l'ancienne, seule denrée garantie sans traces d'exploitation animale. Amadou le regardait d'un oeil bienveillant et lui glissa au passage:

«Tu sais Steve, moi je suis Human et pas sûr que ton paquet n'ait pas vu l'exploitation de quelque ouvrier. Parfois il faut savoir faire des concessions, non? Tu ne sais donc rien du goût d'un jambon qui a cuit dans son jus?»...

«Tu vas tu gazer ton char avec ou bien?» Interrompit le caissier.

Heidi sortit alors faire le plein et Amadou régla tout avant de rejoindre le véhicule. Cindy, qui suivait Steve, ne put s'empêcher en captant les effluves de la pitance éthique, de penser qu'ils devaient être proches d'un gisement de cette nouvelle énergie tant controversée, comment était ce déjà? Ah oui, le gaz de chips. Il lui revint en mémoire le lac Saint Jean et son admirable beauté de sites. La lune s'y reflétant devait offrir une sensation magique autant que romantique, peut être pouvaient ils y faire un saut puisqu'ils étaient à mi chemin et si près de Val Jalbert.
Quand le moteur vrombit, elle esquissa un sourire et mordit suavement dans son sandwich en dévorant discrètement Amadou du coin de l'oeil.
Par les fenêtres entrouvertes, le vent dans la nuit semblait murmurer à qui pouvait l'entendre:


«Begadi wabani oguiam alamouk» (trad: La lune réserve à l'unique rêveur sa face cachée.)
 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre vingt-neuvième

Cindy se coiffait musicalement en chantonnant « Rossignolet sauvage », admirant les ombres costumées, terriblement vintage, des derniers animateurs du village fantôme, à peine dévoilées par les becs de gaz de Val Jalbert. La nuit était tombée et les silhouettes, qui en haut de forme, qui en robe corsetée, se hâtaient de regagner les pavillons restaurés qui les hébergeaient pendant la saison touristique. Souriant à l'évocation d'une page d'accueil de Forge of Empire, elle se rêvait en robe à corset, sa taille déjà fine encore amincie. Cheveux remontés en un chignon complexe, coiffés par sa femme de chambre. Dirigeant avec autorité mais générosité, le complexe d'extraction de pulpe (son esprit s'enflammait à l'idée d 'extraire la pulpe d'un tronc gonflé de sève...). Régnant avec magnanimité sur un domaine immense où, bien qu'elle sût que l'esclavage fut aboli au Québec en 1834, elle rêvait qu'Amadou travaillait comme serviteur. Et elle, dans son imposante robe en dentelle, à crinoline, sous un grand chapeau de paille, sa peau claire protégée par une ombrelle délicate, parcourait ses propriétés en calèche, de délicates mèches autant emportées par le vent... Le passé, le présent se mêlaient dans sa rêverie silencieuse, le temps n'existait plus. Le tangage doux du véhicule sur la route inégale la berçait, sans un souci pour les noeuds qui se formaient peu à peu dans sa chevelure..... la radio sirupait « pour que tu m'aimes encore »..... Amadou et C'line....

AHHHH !
Un soubresaut brutal du 4x4 la fit passer tant d'un siècle à l'autre que d'un siège à l'autre, sur les genoux d'Amadou.
«Donerwetter! » - Ah lala, Heidi n'avait pas l'air contente du tout ! Après avoir tiré le brake à bras sans ménagement, elle pestait, avec une retenue terriblement suisse, et jurait comme une bûcheronne « Verdammtes Auto ! » (que je préfère ne pas traduire)... Le Ford était immobilisé à présent, en plein milieu d'une rue assez large, mal éclairée. Pas âme qui vive, ce silence, les bâtiments restaurés mais sans vie. Cindy, en proie à un mauvais pressentiment, frissonna. Instinctivement, elle se colla contre Amadou et sentit que ses muscles étaient aussi tendus.
Heidi gesticulait, se baissait, se relevait, râlait. Et finit par leur expliquer que deux pneus étaient crefés et qu'évidemment, il n'y en avait qu'un de rechanche. Ils n'étaient pas bien loin de Sankt Félitzien, mais le garache de son ami Ménard serait fermé... et de toute façon, il fallait une dépanneuuusse. « Scheisse ! » fut sa conclusion ultime. Seule solution : call le garache, et trouver un endroit où dormir en attendant. Sinon, ils finiraient par passer la nuit sur une corde à linge.… et les filles se retrouvèrent aussitôt, mobile tendu à bout de bras, tentant de capter un réseau hypothétique. RIEN !

Connie, toujours pratique, décida que Saint Félicien n'étant qu'à une petite demi-heure, cela leur ferait le plus grand bien de marcher un peu, après le long trajet déjà accompli. Steve commença à bougonner, il se trouvait fort bien, blotti contre son ami et ne souhaitait certainement pas quitter le confort relatif du 4x4 pour crapahuter dans la noirceur sur des routes éclairées par la full moon, à se faire bouffer par les maringouins. Qui plus est, ils ne risquaient pas de faire du pouce dans un coin aussi perdu ! Sauf qu' Heidi était déjà partie à grands pas, Connie avait convaincu Cindy de cesser de se coiffer et de la suivre, entourant ses épaules d'un bras protecteur, Amadou ne voulait pas les laisser seules et s'extirpait actuellement de la voiture. En soupirant bruyamment, Steve suivit le mouvement, il aurait préféré qu'Amadou fasse le premier move, dans la pénombre des places arrières... bref, un chiâleux de première.
Heidi entonna alors un chant Switze choyeux et un brin martial, et tous se hâtèrent pour arriver le plus vite possible au village.
Au loin, une sirène appelait dans la nuit. Les pompiers ? Pourtant aucun nuage ne courait sur la lune enflammée, de cet incendie ne s'élevait aucune fumée, les bois étaient noirs jusques à l'horizon, ils marchèrent sans parler sur l'humide gazon.
Le martèlement sourd de leurs pas marquait le rythme du chant de Heidi... qui stoppa soudainement, oreille tendue, bras levé, torse penché, épaules verrouillées, genous semi-pliés. Cindy gémit imperceptiblement. Amadou et Connie l'enserrèrent plus étroitement, inquiets de l'attitude de leur guide à mi-chemin.
Un bruit de course dans les fourrés, accompagné de halètements et.... de grognements ? …. Cindy s'évanouit.

Le murmure des frondaisons soufflait dangereusement "Als der Strohm dreimals spricht anzufassen sollen wir" (trad. quand le courant triphrase, mieux vaut se triporter.)
 
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Chapitre trentième

Cindy se coiffait, toujours évanouie. Sa main droite maniait la brosse à cheveux d'un geste à la fois audacieux et désordonné, le résultat était pour le moins hasardeux.
Le petit groupe se rassembla autour de Cindy, dans un grand cafouillage. Steve la secouait comme un prunier, Amadou comme un pistachier, Connie tentait de lui prendre le pouls, tandis qu'Heidi lui relevait les pieds. Quelqu'un (on ne sait pas qui) suggéra de lui faire du bouche-à-bouche. Dans le silence de plomb qui suivit, alors que Steve, Amadou et Connie s'échangeaient des regards gênés, Heidi releva dignement le buste en un semblant de garde-à-vous, prit une grande inspiration et déclara d'une voix solennelle qu'elle se défouait pour zette rezponzabilité. A peine eut-elle fini sa phrase que Cindy ouvrit les yeux comme par miracle, et déclara être au mieux de sa forme.
Elle se releva, épousseta ses vêtements, et rangea sa brosse à cheveux.
Les cinq amis se concertèrent ensuite sur quoi faire : le taillis haletait et grognait toujours !

Heidi prit les choses en main, et déclara qu'on allait "enzercler le buisson, chacun par un coté". Aussitôt, Steve déclara vouloir faire équipe avec Amadou, et essuya une œillade courroucée de Cindy, qui avait eu la même idée. Après des discussions sans fin, il fut décidé que Cindy et Connie feraient équipe, et que les trois autres avanceraient seuls. Le plan était d'une netteté et d'une précision toutes teutonnes.
Armés, qui d'une lampe de poche, qui d'un bâton de randonnée, qui de sa tablette tactile, ils s'approchèrent lentement du bosquet.
Amadou avançait d'un pas feutré, retrouvant l'ivresse de la chasse à la poule d'eau, là-bas, dans son pays : il fallait être silencieux, l'œil et l'oreille à l'affut, et se placer sous le vent, bien sûr.
Steve tremblotait en gémissant, cela faisait un petit bruit tout doux, comme une bouilloire qui chuinte.
Heidi, prenant l'histoire très au sérieux, progressait à pas de loup, et, le sourcil froncé, faisait des signes impérieux à Cindy et Connie, qui chuchotaient ensemble.

Une fois qu'il furent suffisamment proches de l'étrange phénomène, ils se ruèrent, tous en même temps, au creux de taillis. Une ombre gigantesque et formidable en surgit, bouscula Steve, encaissa un coup de tablette, puis un coup de Maglite, et s'enfuit dans la nuit.
Steve, croyant sa dernière heure arrivée, hurla comme un damné et bascula dans la bruyère. Il tenait des propos incompréhensibles, appelait à l'aide, invoquait Saint-Roch et sa voisine, implorait la clémence de l'ombre maléfique, et commençait à confesser ses plus secrets et plus honteux fantasmes, lorsque Amadou mit fin à cette logorrhée.
"Relève-toi, Steve, mon ami, la menace est passée.
- Mais c'était quoiiiiii ce truc ??? ulula un Steve larmoyant
- Peut-être un animal sauvage ?"

Après une telle péripétie, il n'était pas raisonnable de continuer la randonnée de nuit. On décida donc de retourner à la voiture, de se préparer un bon thé bien chaud, et de trouver un plan B pour passer la nuit.

Heidi entraina donc tout son petit monde vers la voiture, en vantant sa nouvelle bouilloire multi-fonctions que l'on peut même brancher sur l'allume-cigare. Nul n'avait remarqué qu'Amadou était resté un peu en arrière, il fouillait du regard le buisson dans lequel s'était caché le curieux animal, et observait attentivement le sol piétiné et les branches cassées. Il se baissa, ramassa un objet, et à la lueur de la lune montante, il vit que c'était un emballage d'arachides torréfiées.
Alors qu'une chouette ululait dans le lointain, il sentit son échine frissonner, comme les pins sous la caresse du vent. Lui revint à l'esprit un vieux dicton en argot, qu'on répéte souvent, dans les ruelles sombres du quartier marchand de Dakar :

Ouma don'g oppa ngouki (Trad. "La vengeance est un plat qui se mange avec les doigts")
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre trente et unième

Cindy se coiffait d'une main fébrile, ôtant par la même les morceaux de végétaux pris dans ses cheveux emmêlés. Heidi décrivait les différentes fonctions de sa bouilloire à qui voulait l'entendre mais personne ne l'écoutait plus, les yeux hagards tournés vers la forêt en limite de Val Jalbert.

- " La batterie zolaire... le GPS... la boussole eïntégréte... le nécessaire à coudure..."

Le rugissement des chutes d'eau Ouiatchouan couvrait presque sa voix. Cependant parmi l'inventaire de la bouilloire qui chauffait déjà, Connie, qui avait perdu son légendaire rictus, perçut la dernière information:

- " Une radio de fortune qui peut capter aussi la FM ?!"
- " ya ya, ein émetteur CB... Schussel !!!" se morigéna Heidi.
- " Euh... pardon les filles mais je crois que l'eau bout... Si la bouilloire fait aussi... bouilloire, je pourrais avoir un thé chaud, s'il vous plait?" Interrompit Steve.

Cindy, qui regardait encore Amadou resté près du taillis, demanda également à être servie. La fatigue commençait à se faire sentir et puis ce froid pénétrant, cette humidité presque palpable entre les remous des chutes d'eau et le lac Saint Jean... Plus rien n'était à la hauteur de ses projets romantiques.

Et en effet, loin de prêter ses bras rassurants et prometteurs de tant de chaleur, Amadou farfouillait maintenant autour des buissons. Ses yeux de braise, désormais acclimatés à l'obscurité avaient identifié les traces de pas du fuyard... Et... était ce vraiment possible?! Ces pas étaient gigantesques et s'enfonçaient profondément dans la terre meuble et humide. Ils dessinaient des contours d'orteils énormes, à peine croyable, l'intrus était donc pieds nus. Armé de son seul courage, sous la lune perçant les cimes, Amadou s'enfonça dans la forêt vierge et abandonnée depuis trop longtemps. Au dessus de lui un hibou bouboulait tristement, dernier spectateur bruyant d'un spectacle muet. Ce silence pesant alertait Amadou sur une présence proche. En tant qu'ancien militaire, il savait que si les animaux se taisaient c'est qu'un danger guettait. Alors, avec prudence il avança encore, suivant les traces sur le sol ébranlé.

- " Crrrrrrr... ziiiiioup... crrrrrrr.... pssschhhhh... QRRR, je répète QRRR, à toutes les âmes autour de Val Jalbert. Push-pull en panne. Si des mille pattes sont dans le coin, ou un Old-man à l'écoute. QRRR, QRRR, push-pull en panne au village fantôme, deux pneus crevés, deux pneus crevés." Répétait Heidi au dessus de la bouilloire brûlante. Steve et Cindy, sirotaient sans entrain leur thé pendant que Connie scrutait le noir qui avait avalé Amadou en lisière de forêt.
- " Yep, yipikaï Young Lady, ici Yankee Tonk. Kou don t'es en veine, chu rendu pas bien loin, à Saint Félicien. Je réveille le dépanneur et on arrive. Terminé."
- " Wunderbar !!! Ramenez deux pneus 235/70 R16, je répète 235/70 R16... Nous vous attendons. Terminé."

Amadou ne pouvait pas entendre la réponse à l'appel de détresse, parce qu'il était déjà trop loin mais surtout car il était figé devant un amas de tissu au pied d'un arbre. Il s'approchait doucement, tout doucement il tendit sa main vers le tissu et s'apercevant que c'était un imperméable déchiqueté, il sentit un poids énorme le coller au sol. Il roula par terre, tentant de s'agripper autour de lui, il n'entendait qu'une espèce de borborygme entrecoupée de halètements:

- " Je t'ai enfin retrouvé, tu vas payer maintenant !"

Rompu pourtant aux techniques de combat, Amadou ne savait se dégager de cette emprise. Il luttait persuadé que s'il abandonnait, ses amis seraient en danger. Que se passait il? Qui était cet homme surgi des frondaisons? Par dessus son épaule, un relent d'arachides torréfiées leva le doute. La police militaire de son pays avait lancé à ses trousses un limier afin de le ramener de force. Il ne voyait que cette explication. Toujours bringuebalé, bradassé, Amadou pensait se rendre, quand un grognement se fit entendre, un bruissement dans les feuilles, une odeur nauséabonde emplit l'air embrumé par les haleines des deux hommes puis un hurlement retentit. Il se sentit soulevé et l'emprise sur son dos se relâcher. Il s'effondra au sol, nez à nez ou plutôt nez à pied, avec des orteils énormes et poilus. Encore étourdi il pensa aux Hobbits qui avaient de grands pieds poilus, puis aux Hopiés qui avaient des... Non, non rien de tout cela ne pouvait être réel... Alors quoi?

Son agresseur qui venait d'apprendre à voler sous les effets d'une main gigantesque et d'une peur encore plus grande, déguerpit sur le sol retrouvé et dans l'obscurité, en hurlant comme une jouvencelle devant une salle de garde en rut. Amadou se releva et se trouva en face de l'intrus surpris dans le buisson quelques minutes auparavant. Tout se mit en place alors dans son esprit. Les empreintes de pieds nus, la profondeur de celles ci, le paquet de cacahuètes clairement dérobées dans l'imper déchiqueté au pied de l'arbre abritant le limier... Mais cela se pouvait il vraiment? Ses yeux arpentèrent la silhouette de son sauveur. Des pieds gigantesques, des jambes solides que dissimulait mal une longue toison hirsute, une poitrine énorme à hauteur d'homme, flanquée de deux bras musculeux. Amadou hésitait maintenant à lever les yeux pour jeter un regard sur la tête du gigantopithèque immobile. Il s'y aventura pourtant et son regard se fixa sur une mâchoire imposante, velue et arborant un sourire, certes carnassier, mais allié à deux grands yeux doux comme la mousse des bois, aussi bienveillants que le soleil se couchant sur une mer amoureuse. Il contemplait avec stupeur le sasquatch, car il ne pouvait s'agir que de lui. Il cligna des yeux et en les rouvrant se retrouva seul au milieu de la forêt. Hébété, il resta un instant à scruter les ombres alentours puis songea à revenir vers ses amis en toute hâte. Devait il leur dire ce qu'il s'était passé? Il imaginait déjà Steve défaillir et rendre son thé par tous les pores de sa peau et les orifices de son corps. Le croiraient ils d'ailleurs? Une vérité rabâchée par les "cénobites tranquilles" au Sénégal, lui revint alors en mémoire:


Dëgg kaani la, ku ñu ko xëpp nga toxoñu (trad: Plus la pénitente ment, plus elle souille...)






 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre trente-deuxième

Cindy se coiffait, pétrifiée par l'angoisse de perdre celui qui risquait de ne jamais être son amour, son ami. Elle se morigénait en silence, « Pourquoi suis-je indécise si souvent ? Ma valise reste ouverte mais incomplète ; ma vie est de travers ; si j'pars d'ici, j'sais pas où j'm'envole ; mais j'sais qu'c'est ça qu'y'me faut en ce moment.... Oui ! C'est ça ! Etre l'as de trèfle qui pique son coeur... Caroline...Et pourquoi pas la Savoie, ça ressemblait tellement à son Acadie natale ? Elle délirait dans sa peur.... » Alors, comme un automate, fragile et terrifiée, mais portée par l'urgence de sauver l'homme qui appelait en elle la femme originelle, elle posa délicatement la brosse plate avec picots en bois et coussin d'air, conseillée chez Zaz pour réduire son stress tout en stimulant le flux sanguin afin de fortifier ses racines. Elle abandonna pour toujours son ustensile fétiche, son porte bonheur. Elle quittait sa vie futile. D'un pas tout d'abord mal assuré mais qui s'affirmait alors qu'elle quittait le hâvre du Ford Ranger pour assumer sa fin, certainement horrible, auprès de celui que le destin avait choisi pour elle, elle s'avança vers la sombritude de la forêt. ….

Et éclata en sanglots convulsifs lorsqu'elle le vit sortir du sous-bois. Insensible à l'odeur sauvage qu'il dégageait, soulagée de retrouver son contact, elle se colla au torse puissant. «Tu es là devant moi et tu me regardes , le cœur en croix » C'line avait déjà tout dit, tout compris. Et elle allait à nouveau pouvoir se blottir contre lui, dans l'habitacle étroit mais douillet, dans le tremblotement du lumignon, cette led au bas du plafond, ce n'était pas une lumière, non, elle n'irradiait pas, mais c'était un pis-aller assez acceptable dans tout ce chaos, elle avait fini par trouver la led romantique.Toute à son émerveillement, elle ne nota pas la surprenante indifférence d'Amadou. Il ne la repoussa pas, mais avança rapidement vers la voiture, la tenant fortement serrée contre lui, jetant des regards attentifs et menaçants alentours.
Heidi s'avançait maintenant vers le couple. Scrutant Amadou, son visage se durcit et elle ouvrit tranquillement le coffre pour attraper une hâche, un piolet, puis une arbalète de chasse et des carreaux qu'elle tendit à l'homme. Un hochement de tête la remercia et elle répondit par un sourire crispé.

Chacun reprit sa place dans le 4x4, après que Cindy eut signalé à son héros qu'il allait s'asseoir sur son indispensable brosse à picots ; elle était exténuée et avait grand besoin d'une séance de coiffage intensif. Cela provoqua un étrange sourire, un peu narquois chez le porteur de carquois.

Steve, toujours assis sur son steak, proposa du thé, celui de Cindy était presque froid, écoeurant, trop sucré. Elle le jeta par la fenêtre. Amadou la bouscula pour activer la fermeture électrique de la vitre. La brutalité du geste surprit Connie. Elle observa Amadou longuement. Jamais il n'avait brusqué Cindy, jamais il n'avait arboré cet air critique. Et cette odeur, brutale, sauvage, venue du fond des âges.... Qu'avait-il combattu, là, dehors, dans la nuit ? Devait-elle le questionner ? Elle en avait son voyage, autant se jeter à l'eau. Elle inspira pour prendre la parole...

« Himmelgott !!!!! Zouperrrrr ! Ilss arrifent ! » La voix tonitruante de Heidi, alors que des phares de camion approchaient fit sursauter le petit groupe. Cindy faillit en lâcher sa brosse. Connie prit un ascenseur émotionnel. Steve imita parfaitement le gloussement de la poule découvrant un ver de terre. Et Amadou se tassa sur le siège, ce que Connie perçut fugacement sans vraiment l'analyser.

Le Freightliner freina brutalement et bruyamment. Deux hommes en chemises à carreaux grand ouvertes sur des marcels presque blancs en sautèrent énergiquement. Des bambocheurs, nul doute.
« Allo !!! ....Calin' dze bine' ! Ca s'peut pas comm' tzu l'as-tu arrangé tzon char, Heidi, pour un flat, c't'un full flat et même 2 ! …. » Un géant brun, grande gueule, la cinquantaine bedonnante, tapait dans le dos de Heidi qui éructa un « Ostie d'calisse d'maudit tabarnak, Latulippe, za fait un pail ! » qui fit rougir Cindy.
Dans son sillage arrivait un grand roux efflanqué, plus jeune, à l'air smatte, qui se mit à lorgner le décolleté de notre blondinette sans gêne aucune. Il se pencha vers son collègue et balança sans aucune discrétion « Gad'un peu l'méchant pétard à l'arrière, habillée comme une cartze de modze mais gad'z'y la craque ! Par contre, le fifi à côté.....». Il sentait l'alcool et la saucisse grillée.

Outrée et choquée par le malaise visible de son amie, Connie balança « Ostie d'mangeux d'marde ! » , perdant son self control un bref instant, révoltée par la muflerie de cet adolescent attardé. Son regard en disait long sur son opinion.... « Ostie qu'y m'énarve c'moron, qu'y retourne au lac aux castors, c'te face à fesser dedans ! » Elle en perdait toute son éducation et son expérience des relations humaines.

Balayant d'un ample geste d'un bras gros comme un jambon Lafleur (ce qui pour Latulippe ne manquait pas de sel) l'orage qui s'annonçait, le plus âgé enchaîna par un « C'est pas si tzant pire ! » et commença à changer les 2 pneus en partageant des nouvelles locales avec la Suissesse....il commentait les faits étranges des derniers jours, diverses disparitions de chèvres (à cette évocation, le rouquin rougit bizarrement, et Amadou, qui observait de loin, toujours aux aguêts, les nouveaux arrivants, se dit que certains autochtones devaient avoir d'étranges pratiques...) et surtout d'immenses traces mi-humaines mi-animales. Toutefois, aucun villageois n'avait vu, ou aperçu la bête. Certains pensaient même à un joke des gamins. Le mystère persistait. Heidi écoutait attentivement, mais ne commenta pas.

Se relevant lourdement, le grand brun annonça « l'affaire est ketchup ! Fin de l'intervention » et ajouta « le best c'est qu' le boss tze charge au retour. » Et il passa sans transition à la suite des nouvelles « avec les voisines, on faisait une sausage party pour fêter les 50 ans de C'line Dzion ! Et on s'est dit que, coincés ici, vous auriez certainement envie de vous taper une broue !!!! » Heidi sourit largement à l'idée pendant que le bras de Cindy perdait toute énergie pour continuer son coiffage. Elle avait raté les 50 ans de son idole.....

Un proverbe italien chantait pourtant « le persone lo chiamano l'idolo dei giovani ma non sanno nella vita quanto è sola ».... (traduction approximative : « c'est mort ! » )
 

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Chapitre trente-troisième

Cindy se coiffait, la main tremblante et le cœur palpitant d'un curieux émoi. Ses cheveux, tourmentés par le mouvement erratique de la brosse à picots, se crantaient et se tordaient en de charmantes anglaises.
Elle marchait dans Val Jalbert, à la seule lueur de la pleine lune, en compagnie de Connie. Heidi était loin devant, et mitraillait fébrilement, munie de son appareil photo multi-fonction, avec zoom ultra-puissant, vision infra-rouge, GPS, poignée chauffante et réveil-matin. Décidément, ces engins suisses étaient drôlement ingénieux !
Amadou fermait la marche, toujours armé de son arbalète qu'il pointait d'un air conquérant, et son œil affuté fouillait les ténèbres autour d'eux. Il arborait une mine concentrée, et il dégageait de sa personne une terrible assurance, une toute-puissance indicible, une force incroyable, qui irradiait tout autour de lui. L'air lui-même semblait vibrer au contact de sa peau d'ébène. Ses compagnons pouvaient se promener tranquilles : en sa compagnie, rien de fâcheux ne pourrait leur arriver ! Steve, qui le collait de près, en était tout chose.

Plus tôt dans la soirée, après que son pick-up fut équipé de pneus neufs, Heidi décida finalement qu'une orgie de charcuterie en compagnie des deux marcels ne saurait être une fin akzeptable pour une soirée déjà mouvementée. D'un sourire ironique accompagné d'une remarque cinglante, elle rembarra froidement les deux margoulins, toutes leurs saucisses et leurs boudins de voisines. Elle proposa ensuite à ses amis une nuit à la belle étoile, idée qui fut adoptée à l'unanimité. Tout le monde avait besoin de repos après ces péripéties.
Heidi engagea la voiture dans un chemin de traverse, à quelques mètres de la route, et on dressa le campement pour la nuit.

Les feux sauvages étant interdits en forêt, on installa les chaises pliantes autour de la glacière qui servait de table, sur laquelle on posa la lampe-tempête et la bouilloire de thé. Le ciel scintillait de mille étoiles, les insectes nocturnes stridulaient dans l'air vespéral, et l'air était doux et embaumait la mousse. Tout amenait à la détente et à la contemplation.
Dans l'auto-radio du pick-up, C'line chantait en sourdine. Le petit groupe discutait gastronomie, Connie commentait une recette de "Fleischschnacka" dénichée sur internet. Chacun y allait de son opinion, Heidi expliquant la signification du mot à Cindy, Amadou demandant si on pouvait l’accommoder avec des épices de chez lui, et Steve décrétant que ceux qui confondent les Fleischschnacka avec des saucisses sont, soit des dummkopf, soit des ignorants (voire les deux).

Au bout d'un moment, la conversation se tarit. Heidi, qui admirait le paysage, fut soudain prise d'une fulgurante bouffée d'inspiration ; elle bondit sur ses pieds, se précipita à l'arrière du Ford Ranger, et fouilla sa valise d'un geste fébrile. Elle en sortit son Panasuissnic et s'enfonça dans les rues sombres du village déserté.
Car Heidi, outre la peinture, se passionnait un peu pour la photographie. Elle ferait certainement de superbes clichés dans cet environnement torturé !
Le village désert dressait ses bâtisses aux portes condamnées, aux fenêtres aveugles, aux murs décrépis. L'atmosphère d'abandon qui régnait emplissait Connie d'un mélange de vague à l'âme et de détresse muette.

C'est alors que revint à la mémoire de Connie ce proverbe millénaire que son grand-père avait rapporté de ses lointains voyages :
普通話普通话 國語/国语 (Traduction approximative : Trop fêlé, le gong ne raisonne plus)
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre trente-quatrième.




Cindy se coiffait d'une main droite habile et armée de sa brosse de voyage pendant que la gauche fourrageait par derrière pour redonner du volume à sa chevelure aplatie par le voyage, affadie par la fatigue. L'humidité de la nuit et de l'endroit faisait frisoter ses pointes, dangereusement. Oui, dangereusement, voilà qui semblait bien résumer cette nuit, ce voyage incongru et la façon dont Connie avait de se rapprocher d'Amadou... Elle ralentissait le pas, que cherchait elle? Elle qui avait partagé ses joies et ses peines, qui s'était blottie dans les bras de Cindy, sur son coeur même, quand son hockeyeur était parti, parti pour qui pour quoi? Et encore elle, Connie, sa presque soeur qui avait su la réconforter quand Jonathan s'était mal conduit. Comment n'avait elle pas pu voir, ni comprendre l'amour naissant que Cindy éprouvait? Non, Cindy devait se faire des idées, la fatigue, l'angoisse, la déception lui faisaient imaginer les pires choses. Et pourtant... Connie était maintenant à la hauteur d'Amadou, Cindy la voyait bien du coin de l'oeil. Steve, le nez au vent, l'avait senti venir aussi, le vent. Et lui en quelques pas était arrivé à la hauteur de Cindy, comme pour faire diversion. Ah le traître et cette Messaline tournait maintenant son visage vers le bel éphèbe, le courage personnifié, le désir fait homme, vers l'homme à l'arbalète, celui pour qui, pour un baiser, pour un sourire de lui, pour un cheveu, elle aurait donné l'Espagne, et le Pérou...

- "Oh, le vent qui vient à travers la forêt me rendra fou!" maugréa Steve.

Cindy n'y prêta aucune attention, pas plus qu'à Heidi qui continuait de mitrailler tout et n'importe quoi. Elle sentait monter en elle un sentiment indescriptible, une jalousie monstrueuse, chacun de ses poils duveteux était devenu paratonnerre, prêt à engloutir des milliards de volts. L'air autour de Cindy semblait surchauffer, l'atmosphère se ioniser, une réaction en chaîne avait débuté, on pouvait deviner les électrons s'entrechoquer, un champ électrique excitait les ions tout autour de son corps. Elle aurait pu tuer quiconque la touchait, sur le coup, sans aucun doute.

- "Euh... ma chérie ? Oh oh, ma chérie ?!? Cindy ?!? Tu fais de la lumière là ! Non mais regarde toi, Cindy !!! Qu'est ce qu'il t'arrive ???" Balbutia Steve.

Connie, qui une fois de plus avait voulu prendre la parole afin de savoir ce qu'avait fait Amadou, ce qu'il avait vu dans la forêt, s'arrêta net dans son inspiration, contemplant Cindy. Amadou, figea son regard sur la belle blonde, dont les cheveux semblaient flotter dans la brume électrique. Les trois compagnons d'aventures de l'hôtesse de l'air restaient bouche bée devant le spectacle. Cindy regardaient ses amis, terrifiée, interloquée, malgré tout elle se mit à articuler quelques mots d'une voix d'outre-tombe:

- "ça sucks les hits en enfer!"
- "Quoi ?!?" reprirent en choeur Steve, Connie et Amadou, abasourdis.
- "Mirabile dictu... j'ai dit, ça sucks les hits en enfer!" répéta Cindy, se fendant d'un sourire.

Heidi, qui s'était arrêtée de photographier les lieux, s'approchait doucement des trois ronds de flan, l'objectif de son panasuissnic numérique pointé vers Cindy. Son regard fixé sur l'écran en disait aussi long que le contournement qu'elle opérait pour rejoindre ses amis. Désemparée, sans mot dire, elle tendit son appareil réglé en mode infrarouge, vers les trois paires d'yeux effarés. On voyait sur la dalle digitale comme un halo autour de Cindy, une aura qui dessinait une silhouette, difforme pour ainsi dire. En effet, une boule énorme, blanchâtre semblait accoucher du ventre de Cindy pendant que de sa chevelure majestueuse semblait sortir... un oeuf. La lumière baignait maintenant Cindy, couronnée par saint Elme, habillée de feux follets. La lumière s'expandait, la silhouette énigmatique se précisait. D'abord diaphane, elle devenait étincelante puis éblouissante.

Quand les quatre spectateurs rouvrirent les yeux, ils découvrirent Cindy à genoux, comme communiant, comme les apôtres un Dimanche de Pâques, comme Marie sur le Mont Calvaire, à genoux devant qui, devant quoi? Michel l'Archange terrassant le dragon? Impossible. Gabriel l'Ange rassurant Daniel, alors? Non, non, non plus. Cindy était prosternée devant ... René l'Angelil, le découvreur, le Pygmalion de l'irremplaçable C'line, revenu pour sauver cette dernière d'une menace menaçante qui menaçait l'oreille de la diva.


Comme une fulgurance, un dicton quasi-biblique s'imposa à l'assemblée défaite: "Olba' ma celfe donhoua nah bi" (trad: j'y crois pas!)
 

BlackKwolph

Biologiste
Chapitre trente-cinquième

Cindy se coiffait pieusement, tête courbée humblement, mains jointes sur la poignée de sa brosse à cheveux en bois de citronnier odorant, écologiquement responsable et garanti bio issu d'exploitations forestières durables. Une madonne de J.M.Strudwick, dans le halo doré de l'apparition Angélilque, qui captivait bien plus les regards du groupe que le spectre dionissien.
En cet instant miraculeux, dans cette communion avec la moitié de son idole, elle songeait à rapidement assurer un nettoyage complet de son ustensile capillaire anti sébum. Il fallait chercher d'urgence une chambre avec salle de bains, et retrouver sa pince à épiler pour extirper les moindres boucles d'or des picots masseurs. Cela la tourmentait, elle se coiffait depuis bien trop longtemps avec la même brosse. A l'horrible idée de particules pelliculaires, Steve assurait que c'était impensable, mais ce suborneur de réfugié musculeux n'était plus digne de sa confiance, se redéposant sur sa peau si fragile, elle tressaillit, frémit, frissonna et faillit défaillir. L'assemblée craignit un évanouissement devant tant de manifestations spirituelles et se prépara à bondir pour éviter la chute.
Non, Cindy se redressait déjà, souriante et détendue, elle avait simplement oublié que sa brosse à coussin d'air était auto-nettoyante. Et remerciant silencieusement Heidi pour ce cadeau suisse, elle leva son visage pur et lisse, invoquant R'né en une prière ardente et naïve : « O R'né, époux attentionné, pygmalion de notre très Sainte C'line, protecteur des pauvres auditeurs que nous sommes, gardien de nos dons à ses oeuvres, cher Père du merveilleux R'né Charles, premier et dernier espoir de notre passion, R'né, exauce ma prière. Fais que notre très Haute Diva aborde la ménopause dans la paix et la sérénité. Fais que la fonte musculaire ne la frappe pas. Fais que ses 50 ans l'élèvent toujours plus haut au firmament de la colonie de Vegas, au bout de la randonnée de l'étoile. Fais que son prochain CD.... »

Mais la vision s'estompait, alors que les amis entendaient distinctement une voix d'outre tombe annoncer... «Car c'est la fin, laissez le ciel s'effondrer, et dressez-vous ! Adèle l'accompagnera. Et elle brillera à nouveau ! Les temps de la Révélation approchent, mes colombes, mes pigeons. Ouvre ton coeur, à son amour, l'ombre propice est de retour, la nuit se changera en jour..... !» Sur ces paroles, les harpes, luths, psaltérions et buisines retentirent avec vacarme, à moins que ce ne fûssent les klaxons du village au loin célébrant le jubilée.
Puis, le silence et la nuit envahirent peu à peu l'espace et les choeurs. La stupéfaction de cette prophétie révélée appelait un recueillement total. Et ainsi fut fait en cette première nuit. Chacun plongeant en sa part d'ombre afin d'accueillir la lumière d'un jour naissant, porteur des promesses de l'aube. Le temps n'avait plus aucun sens, ils flottaient dans les limbes d'une dimension inexplorée. Et la vague lueur d'une aurore en devenir, n'osant rivaliser avec l'aura miraculeuse, tentait sans succès de dessiner les contours du village abandonné, du groupuscule en prière, de pénétrer le sous-bois environnant pour leur permettre de prendre conscience des yeux avides qui les observaient depuis des heures.

...le sifflotement caractéristique d'un Ange (de Rammstein)... étrange et très pertinent hasard, rompit la méditation des amis. Le portable de Connie la rappelait à une réalité plus exigeante. Elle se ressaisit immédiatement, toujours dans l'action et prit connaissance d'une information qui la fit hurler de dépit ! « NOOOOON ! Criss'de viarge ! .... Je l'ai raté.» des sanglots convulsifs secouaient sa silhouette fine et nerveuse, la crise de nerf menaçait. Elle commençait à suffoquer, son visage violissait à vue d'oeil.
Cindy ne revenait pas de sa torpeur extatique, Steve hésitait à agir et se tordait les mains en gémissant, Amadou était en train de scruter le sous-bois, conscient de l'Autre, étranger à tout. Ce fut Heidi qui prit la sage et énergique décision d'attraper Connie par les épaules et de la gifler en un aller-retour à la régularité toute suisse.
« Connie, Connie ! Ruhe ! Ruhe !
- mais ça suffit à la fin, répondit Connie, exaspérée, elle est réparée ta roue !
- pas « roue », Ruhe ! Tu dois te kalmer !
- Tu ne peux pas comprendre ! Tu ne PEUX pas comprendre ! J'ai raté l'appel d'offre pour l'organisation du mariage de Megan !!!! »
Et elle repartit à sangloter de plus belle. Steve avait émis un hululement lugubre à l'annonce de l'info.

Il ne put que murmurer « Momeala Doar apeluri atrage se avinta naivii !» (trad. littérale : l'appeau n'appelle que la pie poire)
 

DeletedUser16895

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Chapitre trente-sixième

Cindy se coiffait, désemparée, le cœur lourd face au chagrin de son amie.

Suite à l'apparition prophétique et angélilque, un silence de plomb s'était abattu sur le petit groupe. Chacun succombait au découragement, à la détresse, au doute et à la circonspection.
Connie sanglotait toujours, songeait maintenant à Elton John qui attend, à son chat qui lui manquait, et à sa petite corvette rouge, qui aurait bien besoin d'un passage entre les mains expertes du prince de la clé de douze : le ténébreux mécano du garage Aero, Smith, dit l'Amazing.
Amadou pensait à sa chambre douillette, à l'Orignal babouneur, et son papier peint au motif de tortues. Loin, bien loin des apparitions fantomesques et autres étrangetés poilues à grand pieds ! Étaient-ils si heureux ensemble, ses tortues et lui !
Curieusement, Steve pensait aussi à son chat, mort il y a fort longtemps "Ah, mon chat Rhona, qui aimait tant les knacks ! Petite boule de poils, où es-tu à présent ? "
Cindy songeait à sa routine, aux ivresses de l'altitude, et aux bras d'Amadou. (elle remarqua, avec un léger sentiment de victoire, qu'elle ne pensait guère plus à Jonathan, elle qui était si mordue il y a encore peu de temps !) Amadou, sa voix chaude, qui la bercerait, et ses bras puissants, qui lui chuchoteraient, (à moins que ce ne fut l'inverse...) Oh oui ! ce serait extraordinaire ! D'ailleurs, que faisait-elle là, au milieu de la forêt, en pleine nuit ? Mais quelle folie l'avait donc prise ? Se précipiter ainsi au-devant de sa destinée ! Feu follet emporté dans la tourmente, au gré des alizés, qui...
"Hey hey Freunden ! mais que vous arrife-t-il ?"un tonnerre teuton interrompit toutes ces tribulations.
C'est Heidi, qui avait remarqué l’extrême tourment qui s'emparait de ses amis. Steve la regarda d'un air haggard, les yeux dans le vague, cherchant sans doute un signe caché dans les frondaisons bruissonnantes.
Connie avait une furieuse envie de rentrer chez elle, elle ne cessait de marmonner "Dois-je rester ou dois-je partir ?"
Heidi sentit venir le clash. Toujours positive, elle voulut remonter le moral de la petite compagnie.
"Allons allons, ne fous laissez pas abattre, himmelgott ! Restons... euh comment dites-fous, déchà ? Groupiert !!!
- Soudés ? suggéra Cindy
- Veuxrentreràlamaison ? grinça Connie
- Unis ? avança Steve, décidément sans pudeur
Mais c'est Amadou qui trouva le mot :
"Fédérés ?
- Jawohl ! Fédérés !! Restons fédérés, d'accord ?
- Roger* ! Fédérés ! hurla Steve, extatique mais encore frissonnant d'une terreur sans nom.

Connie ne pippa mot, l'air bougon. Cindy passa son bras autour des épaules de son amie en un geste de réconfort. Puis, alors que l'aube commençait à poindre derrière les cimes, le petit groupe décida de quitter le village fantôme. Tout le monde rassembla ses affaires, chargea le Ford Ranger, et youp la boum, repartit sur les routes. Destination : l'auberge de Nancy !

L'incorrigible Steve se souvint soudain du dicton du jour, qu'il avait lu à la page 221 du programme Tv : "L'union met en forme" (Trad : Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière !)

* Trad. : Chef oui chef !
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre trente-septième



Cindy se coiffait voluptueusement, avec une sensation étrange lui serrant la poitrine. Ses longs cheveux recouvraient ses seins dénudés et la brise, doucement, caressait son corps nu. Voilà pourquoi elle se sentait ainsi, à la fois terriblement gênée et incroyablement bien, elle était aussi nue qu'une main en l'air, aussi innocente que celle au creux d'une aile blanche et protectrice. Et le vent vivifiant passait entre les doigts de cette main, se glissait dans le moindre repli, conjuguait à la peau délicate sa senteur sauvage. La lumière baignait la silhouette de la jeune hôtesse et des créatures à quatre ou à six ailes, reprenaient la discographie complète de C'line, suspendant ainsi aux échelles du ciel, la voix sacrée de son idole. Séraphins, chérubins rejouaient les gammes des Trônes. Cindy releva alors son visage vers le feu céleste, porté comme sur un autel ardent et découvrit dans la lumière virginale un paysage majestueux, un Eden presque, bordé d'une eau riante et musicale, surmonté de collines rappelant l'anatomie musclée d'un Amadou au plus fort de ses formes, hérissé de ci de là d'arbres promettant tant de tentations et de sensations qu'on se ferait bannir de ces lieux avec plaisir et sans regret, juste pour avoir goûté un de leurs fruits. Tout semblait si doux, si extraordinaire par ici et pourtant, Cindy n'était pas encore au bout du bout, de ses surprises. Plus le ciel s'embrasait, plus elle sentait monter en elle une chaleur rassurante. D'abord dans ses reins puis le long de son dos, jusqu'à ses omoplates, sa nuque et enfin le creux de son oreille. Bizarrement, cette sensation avait une voix, murmurante, brûlante comme l'Afrique qui est si bonne hôtesse. Cindy ouvrit les yeux, tourna suffisamment la tête pour découvrir du coin de l'oeil le porteur de lumière, le messager de chaleur, le bel Amadou qui posait déjà ses mains sur le ventre découvert et offert de la belle innocente. Lui aussi était nu et sa peau irradiait, exhalant les parfums des contrées lointaines et mystérieuses, exotiques et refuges des oiseaux inséparables. Il en avait d'ailleurs la langue, cette langue divine, épicée, pimentée même, cette langue siryanîte connue de rares élus qui articula ce que Cindy avait toujours voulu entendre et encore plus sincèrement depuis qu'elle avait croisé la route du beau tirailleur.

- "Oui mon amour, tu es désormais le lit de notre monde futur, le terreau d'un nouvel univers, nous serons le cortège de la vie renaissante."

Cindy crût défaillir, exploser, s'élever même dans l'air surchauffé et moite. Le contact de la peau, le souffle incendiaire répondant au sien de plus en plus court, ce qui n'était pas le cas de tout autour d'elle... Le temps notamment semblait s'allonger, s'arrêter. Les ombres s'étiraient comme des membres musculeux au matin des grands soirs. Etait elle arrivée? Etait ce cela la mort? Le Ford Ranger avait il fini son voyage au bas d'une falaise, avait elle succombé à la fièvre forestière? Un animal, la folie, qu'est ce qui était entré en elle ainsi pour la chambouler, la dévorer de la sorte? Elle transpirait, s'essoufflait, haletait à mesure que les doigts d'ébène jouaient sur la nacre de sa peau, elle n'était plus qu'anche vibrante, mouillée d'une salive désirée, instrument dévolu à la passion créatrice d'un artiste qu'elle voulait par coeur, objet de culte d'un Octave confessant ; embouchure d'un fleuve dont la source était la lèvre aimée, embouchée ; confessée à la merci du confesseur, d'un professeur de belle constitution.
Ebranlée dans ses fondements, Cindy ne voulait plus rebrousser chemin, elle voulait profiter de ce riche lieu, d'apparences si brillantes, chaudes et sereines et pourtant désertique. Elle voulait rester Eve près de ce saint en moine d'une religion à inventer, Saint Antoine au féminin, jusqu'alors, qui pourtant désirait maintenant, plus que tout, succomber à la pomme juteuse de cet Adam, canon esthétique et si peu canonique. Goulue, affamée, elle se retourna et écrasa son buste contre la poitrine solide d'Amadou, elle s'abandonnait à la gourmandise sucrée quand une ombre, un doigt, un mot vinrent troubler cet instant, SON instant.

- "... PRENDRE..."

- "Oh oui, donne moi!" susurra Cindy du bout des lèvres en ouvrant un oeil.

Tout le monde dormait dans le véhicule, tous sauf Heïdi qui voulait bien qu'on la remplace au volant.

- "Wunderbar, je me stoppe et te laisse la plaaAAaaaatz." Lança Heïdi dans un bâillement.

Les mouvements qui suivirent dans la voiture à l'arrêt, réveillèrent Amadou et Connie qui passa à côté d'un Steeve profondément endormi, bouche ouverte, tête rejetée en arrière. Heïdi prit place à l'avant, Amadou près de la fenêtre entrouverte sur l'été indien, saison qu'il découvrait, pendant que Cindy, groggy, réglait siège et rétroviseurs, jetant un regard déçu en arrière, vers ce rêve qui semblait si réel.

- "Nous serons bientôt à Chibougamau, Nancy doit être inquiète de ne pas nous avoir vus. Nous nous y arrêterons tout de même histoire de faire une petite toilette et nous sustenter. Je l'appelle avant de redémarrer." Indiqua Cindy à une assemblée déjà rendormie.

Heïdi acquiesça tout de même d'un sourire puis ferma les yeux. Cindy s'engagea alors sur une route ourlée de vieux tilleuls.


Il lui revint en mémoire comme les senteurs d'antan, une comptine que lui chantait souvent Joe: "Wiigob waanakiwide'ewin, ikwe gwiiwizens, bakite' maazhi mitigomin" (trad: Le tilleul berce les amoureux et fait éternuer les envieux.)
 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre trente-huitième (1ère partie)


Cindy se coiffait pour rester éveillée. L'idée lui était venue, afin de mobiliser au maximum ses muscles, de réaliser une tresse indienne. Cela n'allait pas sans compliquer la tenue de route : elle était bien obligée de lâcher le volant. Heureusement, il y avait peu de virages sur ce trajet.... et surtout pas de policier. Elle avait déjà perdu son permis, autant ne pas attirer l'attention avec un véhicule tanguant de droite et de gauche. La longueur de ses jambes lui permettait de stabiliser le volant, et comme ses compagnons dormaient profondément, elle n'avait pas à faire de conversation et pouvait retenir entre ses lèvres les pinces, épingles et élastiques nécessaires. Heidi n'aurait pas manqué de faire une réflexion critique et justifiée, le regard d'Amadou aurait clairement montré sa désapprobation, mieux valait assurer une conduite souple et soporifique.

Peu à peu, la lumière douce d'un matin serein perçait les frondaisons, venant lécher le bitume fumant et humide. Cindy secoua les épaules alors qu'un vieux souvenir désagréable, vécu quelques mois auparavant, sur une route identique, à une heure identique, avec un Jonathan péremptoire et somme toute imbuvable, lui revenait à l'esprit : « pour ne pas s'endormir, il faut de l'exercice physique! ». Combien de fois avait-elle entendu cette phrase, alors que le pilote fouillait, farfouillait, ébourriffait ses cheveux, d'une main pressante. Afin d'éloigner le goût amer de ce souvenir, Cindy, tenant fermement sa tresse de la main droite, et sa brosse de la main gauche, enfonça le manche en citronnier odorant entre ses cuisses, sa main libérée voleta vers le bouton de commande de la vitre conducteur.
L'air frais, enflé des parfums infinis de la forêt feuillue et boréale, chassa ces fâcheuses sensations. Lumineuse dans la pâleur délicate de l'aube naissante, l'étoile du matin fit éclore en Cindy un bien-être voluptueux. Elle annonçait tant de délices dans l'union suspendue entre yin et yang, nuit et jour, lune et soleil. C'est en chantonnant légèrement l'éléphant de Saint Saëns que Cindy passa le panneau de la bourgade de Chibougamau, 7.500 âmes, entièrement dévouées au culte de la cuillère et de la rondelle.

Le Ford Ranger XLT double cab Wildtrak métallisé titane fila vers le motel. Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, il s'enfoncerait vers la montagne magique dont le sommet s'élevait au-dessus d'un empilement de couches nuageuses, vaporeuses, duveteuses et ouatinées.
Pour l'instant, toute l'attention de Cindy était dédiée à la manoeuvre du 4x4. Elle le gara d'une main sûre (à peine aidée par la caméra de recul) tout en terminant de nouer un chouchou rose au bout d'une tresse parfaitement exécutée. L'exaspérant et strident signal sonore de recul éveilla chacun des membres du petit groupe. Heidi s'étira, obligeant Cindy à plonger vers le pare-brise pour éviter un uppercut, et entreprit en bâillant bruyamment d'assouplir son cou de taureau. Amadou semblait frais et dispos, et complimentait Cindy sur sa coiffure, en souriant. Connie attrapait déjà son nécessaire de jour afin de remettre de l'ordre dans son maquillage. Ses gestes étaient rapides, vifs et précis, tels l'union du papillon et de l'oiseau. Quant à Steve, engourdi et perclus de douleurs au bas du dos, il se plaignait déjà, et pour la première fois, du barattage subi.

Nancy s'avançait déjà vers le véhicule, l'air inquiet. Dans l'air frais du petit matin, les embrassades réchauffèrent les coeurs. Ce n'était pas l'étreinte du jaghana, mais ils apprécièrent de retrouver la civilisation. Même si, d'après les études du gouvernement, la province de Chibougamau restait sauvage, hors la loi, et victime d'une alcoolisation récurrente et sans mesure de ses habitants.
Heidi, toujours pragmatique, leur proposa de prendre un solide breakfast avant de monter leurs bagages. Cindy et Connie firent un peu la grimace à l'idée de se présenter dans la salle de restaurant sans s'être rafraîchies au préalable. Mais l'odeur alléchante du café et des pancakes chauds eut raison de leur hésitation. Elles suivirent le groupe avec enthousiasme.
Un brouhaha inhabituel les accueillit. Effarées, elles découvrirent que la salle était déjà bondée. Une horde de jeunes gens athlétiques occupait les tables. Le petit groupe hésitait à s'avancer quand un hoquet étranglé de Connie détourna leur attention....
« des équipes de hockey, ce sont des équipes de hockey ! Je hais le hockey !» psalmodiait-elle adoptant le mouvement hypnotique de la balançoire.
C'est alors qu'un homme très grand, très blond, très carré, se leva, et d'une voix de stentor, puissante et grave, intima aux jeunes de se calmer et de monter se préparer pour l'entraînement. Inexplicablement, ils obéirent immédiatement, débarrassèrent les tables rapidement, et sortirent en rang par 2 !
Il se tourna alors vers notre petit groupe et sous son regard d'acier.... Connie défailla, sa poitrine écrasée comme par l'étreinte de la pieuvre.
 

Florn

Force de frappe
Chapitre trente-huitième (2ème partie)


Les yeux écarquillés, bouche bée, mimant inconsciemment le cheval à bascule, Steve, d'une voix sourde articula:

- " Pinabel !!! ... Harald Pinabel ?"

Lâchant sans plus d'attention la main de Connie, qu'il tapotait mollement, ses lèvres s'épanouissant en bouton de rose, Steve effectua un bond de tigre. Enjambant, sans plus de manière, le corps inanimé, il se précipita, bras tendu, vers le grand blond. Amadou ayant freiné la chute irrésistible de Connie, s'était assis et lui maintenait la tête sur son torse. Formée aux gestes de premiers secours, Heidi tenant fermant les chevilles, relevait ses jambes. Le sang refluait lentement vers le visage livide de leur amie, alors que Cindy fouillait frénétiquement dans son sac à la recherche de sels. Dans cette vaste salle à manger, lambrissée de bois sombre, la scène évoquait une oeuvre d' El Greco. Elle répondait aux canons classiques du nombre d'or, le triangle était parfait, lumineux. Témoin de ce tableau Nancy fut parcourue d'un frisson d'extase.

- " Harald !!!" L'excitation de Steve était palpable. Il embrassa fermement l'imposant sportif. Ce dernier, sourit en retour et rendit une accolade des plus viriles. Ce n'était pas l'embrassement de l'eau et du lait; une vigueur toute masculine animait à présent Steve qui bandait ostensiblement ses pectoraux, il entraînait énergiquement son ami vers le groupe.

- " Mes amis, il me faut vous présenter... "

Le râle d'une Connie agonisante lui répondit. Elle venait d'ouvrir un oeil et fixait le géant blond , totalement tétanisée. Steve indifférent, rajeuni et enthousiaste entama les présentations.

- " ... Harald ! Harald Pinabel ! Mon roomate, lors de ma première année d'université nous étions tous deux rookies dans l'équipe de hockey. Ahhhhh, tous ces souvenirs de douches d'après matches, la franche camaraderie des troisièmes mi-temps. Alors, les cadenas sautaient et ils n'étaient pas les seuls... Côté sport, je vous l'assure, ce garçon était très ferme, nul besoin de le marquer à la culotte pour enfiler les patins. Certainement l'héritage du sang suédois de sa mère. Je vois avec plaisir que tu es resté dans la partie en devenant entraîneur. Cependant me croirez vous, il était maladivement timide (Harald eut l'air gêné). Ce voyou, las de ne jamais tirer un coeur, j'ai dû manoeuvrer lors d'une soirée de fraternité sur le campus pour lui présenter Connie." Tous les visages étaient tournés vers Harald. C'est alors que sa mâchoire se crispa et que l'étreinte de sa main puissante sur le cou frêle de Steve se referma. Connie venait d'ouvrir le deuxième oeil et murmurait:

- "Bastard !" (trad: espèce de fils de chacal à foie jaune) Manifestement, elle n'avait pas digéré l'élixir du suédois.

Les vikings, adeptes du sage Vâtsyâyana, ont pourtant coutume de dire: "Förnya med spelet, känner tränaren staven" (trad: Renouant avec le jeu, l'entraîneur tâte la crosse.)





 
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