Chapitre quarantième (rugissant)
Cindy se coiffait désespérément sans plus faire attention à ses cheveux emmêlés, sans plus faire attention à ceux, qui sous les assauts en règle, restaient entre ses doigts, déracinés, cassés, arrachés, comme elle l'était au même moment. On venait de lui enlever Amadou, on l'avait extirpée de son monde en construction, douillet, rose et noir, prometteur. Elle ne voyait plus que du rouge dans ce soleil levant, elle ne quittait plus des yeux le "ballon" qui s'en détachait.
Connie ne disait rien, perdue dans ses pensées, les yeux non dans l'eau mais dans le vague. Harald... Harald revenait sans cesse à son esprit. Il avait pris la crosse alors qu'il aurait pu laisser tomber. Il avait voulu se défendre, défendre son honneur, défendre LEUR honneur?!? Et maintenant il était là, avec eux, avec elle, dans le véhicule en chasse. Etait-ce par excès de fierté ou par le regain d'un sentiment qui ne l'avait jamais quitté lui, comme il était resté planté dans son ventre à elle? Les lèvres pincées, le visage grave, elle ne savait plus. Trop de questions l'assaillaient. Pourrait il lui apporter les réponses? Le moteur vrombissant du pick-up, péremptoire, lui répliqua:
-"Pas maintenant !"
Heidi trépignait sur le siège conducteur comme si ses coups de reins pouvaient faire aller plus vite le 4x4, elle l'encourageait même par son petit nom tout en grommelant qu'ils y arriveraient, qu'ils rattraperaient ce ballon. A chaque mouvement, Harald grimaçait, toujours attaché par les cheveux. Il accompagnait chaque émotion de Heidi dans leur alliance capillaire par un petit soupir presque imperceptible dans l'atmosphère tendue, comme un quatuor à cordes, qui remplissait l'habitacle. C'était pourtant sans compter Steve qui n'avait d'yeux que pour son ami retrouvé, son compagnon de vestiaires et de glace et puis, les cheveux n'étaient ils pas sa spécialité? Il entreprit alors de dénouer le problème le plus urgent, libérer les deux piliers de cette équipe improvisée.
Ses doigts oeuvraient méticuleusement, fouillant dans les toisons. Ô, il ne se perdait pas, il savait, il reconnaissait chaque cheveu, le parfum, la couleur, la texture. Etait-ce le froid, la pratique du sport, qui avaient rendu la chevelure de Harald si soyeuse, qui en avaient fait ce camaïeu de blond? Continuait il à se baigner dans les eaux glacées des lacs environnants. Ils en avaient coutume autrefois pour vivifier leur corps, dessiner leurs muscles. Steve sourit à la réminiscence de l'évocation récurrente et ce, bien avant son invention, de blue raie, chaque fois qu' il observait le sif de Harald, bleui par le froid.
Le Ford Ranger XLT double cab Wildtrak métallisé titane fendait la bise et la forêt, vibrant furieusement. Il tentait de suivre les kidnappeurs au travers les cimes. Mais capable de tous les exploits sur l'asphalte et la terre, il était impuissant dans les airs. Et justement pendant ce temps, dans la nacelle, Amadou tremblait. Aucun de ses agresseurs n'y prenait garde d'ailleurs, tant ils se sentaient victorieux et soulagés. Enfin, ils avaient eu le dernier mot. Le fugitif était là, à leurs pieds, les siens bien liés. Aucune autre échappatoire que se jeter dans le vide, plus d'autre dérobade à part une mort certaine. L'homme à la cacahuète jubilait, il lui tardait de revoir son pays, sentir l'air chaud caresser son visage pendant qu'il prendrait un repos bien mérité à l'ombre des médailles qui l'attendaient là bas. Pourtant Amadou tremblait et imperceptiblement ses lèvres commençaient à s'agiter aussi. Un trait de sueur, fugace, traversa son front, froissé par les frissons. Les tremblements s'accentuaient à mesure que les rires des hommes autour de lui retentissaient. Amadou, comme pris de convulsions d'abord légères, était maintenant secoué d'une agitation inquiétante. S'échappait de sa bouche comme une incantation qui allait crescendo, ses yeux révulsés ne laissaient plus de doute. L'homme à la cacahuète se pencha, approchant son visage du supplicié, il n'arrivait pas à comprendre ce qu'ânonnait Amadou. Un dialecte inconnu éruptait de sa bouche enfiévrée, un amphigouri mystérieux rappelant les prières autochtones coulait désormais entre ses lèvres turbides. Un rugissement déchira alors l'air glacial, grondement familier, lui, à l'oreille du limier militaire. L'homme à la cacahuète se redressait pour inspecter la forêt en dessous d'où provenait le hurlement terrible, quand
soudain, semblant crever le ciel et venant de nulle part, surgit un aigle noir. Lentement, les ailes déployées, lentement, il le vit tournoyer, près de lui dans un bruissement d'ailes, comme tombé du ciel, l'oiseau vint enlever, au nez et à sa barbe à ras, un des coéquipiers tombant déjà dans le vide. Puis un second passa par dessus bord, un troisième... Le dernier des sous-fifres tentait d'agripper son chef quand l'aigle le souleva. Avoir un aigle dans le dos se prêtait, décidément, mieux à la pratique de la moto qu'à un voyage en ballon remarqua l'homme à la cacahuète en voyant s'éloigner dans les airs son subalterne. Le cri du désespéré, en route vers le sol comme un boulet de canon, eut en écho un second rugissement, encore plus fort, plus effrayant. L'air vibrait tout autour quand l'oiseau funeste revint à la charge laissant apercevoir dans ses yeux couleur rubis la terreur qu'il inspirait maintenant. Que faire face à ce prédateur ultime et majestueux? Lui échapper était dès lors impossible, grimpé dans cet aérostat en proie aux vents et à la fureur de l'aigle noir, qui dans un bruissement d'ailes, regagna le ciel avant de s'abattre sur l'enveloppe du moyen de transport aérien. De son bec, déchirant l'air, l'espace, le ballon et un nuage blanc, le rapace annihila tous les espoirs du kidnappeur en chef de retourner en son pays d'autrefois.
Le ballon perdait rapidement de l'altitude, l'homme à la cacahuète pouvait déjà sentir le sapin et le choc imminent de la nacelle contre le tronc du plus grand d'entre eux. Il savait que si il se sortait de cette chute, il serait confronté à celui qui avait poussé ces cris sauvages, revenu du passé . Amadou était toujours agité, son agresseur ferma les yeux comme pour en éteindre les flammes et, comme il était venu, disparut l'aigle noir.
L'air quittant l'aéronef sifflait comme un avertissement dans une langue étrange
«Shawanda flaf'eushii adipfeu shish hou flap» (traduction approximative de cette langue chamanique: Le scorpion est malade de la graisse des faucons.)