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Feu de brousse à Québec.

DeletedUser16895

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Chapitre trente-neuvième
(1ère partie)

Cindy se coiffait, profondément intéressée par la situation. Sa brosse en citronnier allait et venait sur sa jolie frange, allait et venait, et faisait bouffer les mèches blondes. La tresse superbement réalisée se lovait délicatement dans le creux du cou de la jeune femme.
Connie s'était dressée, impérieuse, telle une amazone triomphante, ses yeux lançaient muettement des éclairs de rage sourde.

Amadou devina en un éclair l'origine du désarroi de Connie, et pressentant l'imminence d'un drame, avança d'un pas. Il fit écran de son corps entre l'intrus et les jeunes femmes. A présent, les deux hommes se faisant face, sans un mot, sans un geste, se défiant mutuellement du regard, leurs torses puissants se soulevant doucement au rythme de leurs respirations.
Amadou toisa Harald de son brûlant regard de lion. L'autre lui rendit son œillade d'un bleu acier perçant.

Ils se jaugeaient, comme deux mâles dominants prêts à se sauter dessus, évaluaient leurs forces, la puissance de l'ours blanc contre l'agilité de la girafe, la sveltesse du phacochère contre la ténacité du loup polaire. Deux mondes s'affrontaient avec eux, le feu contre la glace, l'onyx contre l'albâtre, la sagaie contre la crosse, la lutte contre le hockey, le grand koudou contre le renne.

Ah ! Quelle tempête de sable, quelle tornade de glace faisaient rage sous le crâne chocolat et sous la tignasse de feu ? Nul ne saurait le dire. Aucun tressaillement d'épaule, aucune crispation de la mâchoire ne trahissait leurs secrètes pensées.
Ses poings d'ébène se serrant et se relâchant convulsivement, Amadou semblait mettre Harald au défi, sa prunelle assassine paraissait dire "Viens ! un duel féroce, un fiévreux corps-à-corps, je saurai te corriger pour avoir blessé mon amie !"
Harald avait l'air moins tendu, il avait l'avantage du terrain, et était frais et dispos. Un léger sourire narquois retroussait la commissure de ses lèvres.

Tous deux dégageaient une identique force vibrante, un sous-jacent désir d'ôter leur chemise et de s'empoigner, là, tout de suite, sous le regard effaré de Nancy et celui, enfiévré, de Steeve.
Derrière Amadou, Connie, Cindy et Heidi ne pipaient mot, alignées en rang d'oignons, dégradé de blondes et de rousse, telles trois ales alignées sur un zinc, la condensation perlant délicatement le long de leurs courbes.
L'air était électrique, la tension était à son paroxysme.

Puis Harald décroisa les bras et désigna, d'un ample geste de la main, les deux crosses accrochées au-dessus de la cheminée éteinte. Amadou n'hésita qu'une fraction de seconde, puis acquiesça silencieusement : ainsi, ce serait un duel à la crosse. Il alla décrocher les objets et se dirigea vers la porte, suivi par le reste du groupe.
Sur la terrasse de la pension, les deux hommes, l'air farouche et déterminé, empoignèrent leurs engins. Ils bandèrent leurs muscles, penchés en avant, tendus, prêts à l'offensive.

Comme la situation était délicieusement troublante ! Cindy attendait la suite, la gorge très serrée et les lèvres très moites. Elle se sentit frissonner d'émoi.

Et soudain...
 

DeletedUser16895

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Chapitre trente-neuvième
(2ème partie)

... soudain Harald poussa un hurlement digne de toute une tribu de vikings, et se jeta sur Amadou. Celui-ci retrouva les réflexes acquis durant son entrainement militaire, para vaillamment et riposta. Harald, surpris, tenta une autre approche qui déstabilisa son adversaire.
Amadou se rétablit, et enchaina trois coups habiles qui mirent le hockeyeur au tapis. L'autre roula dans la poussière.

Les filles s'esclaffèrent d'une voix triomphante. Amadou, encouragé, toisa Harald qui se relevait, et pivota. Il enchaina plusieurs passes et bottes auxquelles le Suédois répondit avec fougue.

Le duel se poursuivit durant de longues minutes, devant une assemblée médusée. Heidi ouvrait des yeux ronds comme des cadrans de coucous suisses, Connie applaudissait sous cape et Cindy, sa brosse en citronnier levée mais immobile, en oubliait même de se coiffer.
Seul Steeve affichait une mine désemparée et se tordait les mains en gémissant.

Amadou paraissait retenir ses coups. Son visage impassible, ses gestes mesurés, son jeu de jambes plein d'assurance contrastaient avec la fougue d'Harald, ses mines provocantes et ses bâillements d'ennui.

Soudain, trois individus semblèrent tomber du ciel et atterrirent sur Amadou. Celui-ci, surpris, lâcha sa crosse et tenta de se dégager. Il distribua coups de pieds, de poings, écrasa le nez d'un assaillant et tordit l'oreille d'un deuxième. Mais les fourbes tenaient bons et resserraient leur étreinte.
Paralysées de stupeur, Cindy et Connie ne bougèrent un cil. Mais Heidi se jeta à corps perdu sur les oppresseurs, vite imitée par Harald. S'ensuit un pugilat désordonné dont nos amis ne purent sortir vainqueurs, car deux kidnappeurs supplémentaires étaient arrivés en renfort. Steeve se demandait d'où ils sortaient, tous. Il leva enfin le nez et aperçut une montgolfière flottant à quelques dizaines de mètres au-dessus d'eux. Les intrus en descendaient grâce à un ingénieux système de filins.
Le ballon était couleur de sable et faisait curieusement penser à une cacahuète. D'ailleurs, les uniformes des cinq hommes aux visages masqués étaient également beige et la forme de leurs casques évoquait une coque d'arachide.

Enfin, les assaillants parvinrent à se débarrasser d'Heidi et Harald en nouant ensemble une des tresses de la Suissesse et la queue-de-cheval du Suédois. Ah ! Voilà une union dont ces deux nations ne se remettraient pas de sitôt !

En deux temps trois mouvements, ils immobilisèrent Amadou, lui lièrent les pieds et l'accrochèrent à un grappin. Quelques secondes plus tard, ils disparaissaient dans les airs, sous l'œil effaré du petit groupe.

Harald, furieux et vexé, hurla vers le ciel : "Revenez ! j'avais pas fini mon combat !!! Oh les chameaux!" ajouta-t-il in petto.

Cindy fondit en larmes, écroulée de chagrin et de désespoir. Heidi, walkyrie vengeresse, la releva d'une main ferme, secoua tout le monde et s'exclama :
"Kourage, Tzindy ! Ils se dirigent vers le nord ! Montez dans ma voiture ! Schnell ! On peut les suivre ! Allez Hop ! Touz dans le piqueupe !"
Elle se précipita au volant, suivie de près par Harald puisqu'il était encore accroché à elle. Encore quelques secondes de confusion, car Heidi dût entrer par la portière passager et enjamber le levier de vitesse, puis tout le groupe prit enfin place dans le Ford Ranger. L'estomac de Steeve gargouillait dangereusement.

Nancy, dépassée par les événements, se tenait encore sur le seuil de son auberge, contemplait les deux crosses abandonnées sur la terrasse, et agitait distraitement la main, alors même que le Ford avait disparu dans la brume matinale.

On ne s'ennuyait jamais dans ce pays !

Elle soupira, et se demanda ce qu'elle allait faire de ce groupe d'apprentis hockeyeurs privés de leur entraineur ?
Curieusement, lui revint à l'esprit une maxime de Jean-Roche Foucault (en français dans le texte) "Je te tiens, tu me tiens, par les rouflaquet-tes, je te tiens, nom d'un chien, c'est vraiment trop bê-te !"
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre quarantième (rugissant)


Cindy se coiffait désespérément sans plus faire attention à ses cheveux emmêlés, sans plus faire attention à ceux, qui sous les assauts en règle, restaient entre ses doigts, déracinés, cassés, arrachés, comme elle l'était au même moment. On venait de lui enlever Amadou, on l'avait extirpée de son monde en construction, douillet, rose et noir, prometteur. Elle ne voyait plus que du rouge dans ce soleil levant, elle ne quittait plus des yeux le "ballon" qui s'en détachait.
Connie ne disait rien, perdue dans ses pensées, les yeux non dans l'eau mais dans le vague. Harald... Harald revenait sans cesse à son esprit. Il avait pris la crosse alors qu'il aurait pu laisser tomber. Il avait voulu se défendre, défendre son honneur, défendre LEUR honneur?!? Et maintenant il était là, avec eux, avec elle, dans le véhicule en chasse. Etait-ce par excès de fierté ou par le regain d'un sentiment qui ne l'avait jamais quitté lui, comme il était resté planté dans son ventre à elle? Les lèvres pincées, le visage grave, elle ne savait plus. Trop de questions l'assaillaient. Pourrait il lui apporter les réponses? Le moteur vrombissant du pick-up, péremptoire, lui répliqua:

-"Pas maintenant !"

Heidi trépignait sur le siège conducteur comme si ses coups de reins pouvaient faire aller plus vite le 4x4, elle l'encourageait même par son petit nom tout en grommelant qu'ils y arriveraient, qu'ils rattraperaient ce ballon. A chaque mouvement, Harald grimaçait, toujours attaché par les cheveux. Il accompagnait chaque émotion de Heidi dans leur alliance capillaire par un petit soupir presque imperceptible dans l'atmosphère tendue, comme un quatuor à cordes, qui remplissait l'habitacle. C'était pourtant sans compter Steve qui n'avait d'yeux que pour son ami retrouvé, son compagnon de vestiaires et de glace et puis, les cheveux n'étaient ils pas sa spécialité? Il entreprit alors de dénouer le problème le plus urgent, libérer les deux piliers de cette équipe improvisée.
Ses doigts oeuvraient méticuleusement, fouillant dans les toisons. Ô, il ne se perdait pas, il savait, il reconnaissait chaque cheveu, le parfum, la couleur, la texture. Etait-ce le froid, la pratique du sport, qui avaient rendu la chevelure de Harald si soyeuse, qui en avaient fait ce camaïeu de blond? Continuait il à se baigner dans les eaux glacées des lacs environnants. Ils en avaient coutume autrefois pour vivifier leur corps, dessiner leurs muscles. Steve sourit à la réminiscence de l'évocation récurrente et ce, bien avant son invention, de blue raie, chaque fois qu' il observait le sif de Harald, bleui par le froid.

Le Ford Ranger XLT double cab Wildtrak métallisé titane fendait la bise et la forêt, vibrant furieusement. Il tentait de suivre les kidnappeurs au travers les cimes. Mais capable de tous les exploits sur l'asphalte et la terre, il était impuissant dans les airs. Et justement pendant ce temps, dans la nacelle, Amadou tremblait. Aucun de ses agresseurs n'y prenait garde d'ailleurs, tant ils se sentaient victorieux et soulagés. Enfin, ils avaient eu le dernier mot. Le fugitif était là, à leurs pieds, les siens bien liés. Aucune autre échappatoire que se jeter dans le vide, plus d'autre dérobade à part une mort certaine. L'homme à la cacahuète jubilait, il lui tardait de revoir son pays, sentir l'air chaud caresser son visage pendant qu'il prendrait un repos bien mérité à l'ombre des médailles qui l'attendaient là bas. Pourtant Amadou tremblait et imperceptiblement ses lèvres commençaient à s'agiter aussi. Un trait de sueur, fugace, traversa son front, froissé par les frissons. Les tremblements s'accentuaient à mesure que les rires des hommes autour de lui retentissaient. Amadou, comme pris de convulsions d'abord légères, était maintenant secoué d'une agitation inquiétante. S'échappait de sa bouche comme une incantation qui allait crescendo, ses yeux révulsés ne laissaient plus de doute. L'homme à la cacahuète se pencha, approchant son visage du supplicié, il n'arrivait pas à comprendre ce qu'ânonnait Amadou. Un dialecte inconnu éruptait de sa bouche enfiévrée, un amphigouri mystérieux rappelant les prières autochtones coulait désormais entre ses lèvres turbides. Un rugissement déchira alors l'air glacial, grondement familier, lui, à l'oreille du limier militaire. L'homme à la cacahuète se redressait pour inspecter la forêt en dessous d'où provenait le hurlement terrible, quand soudain, semblant crever le ciel et venant de nulle part, surgit un aigle noir. Lentement, les ailes déployées, lentement, il le vit tournoyer, près de lui dans un bruissement d'ailes, comme tombé du ciel, l'oiseau vint enlever, au nez et à sa barbe à ras, un des coéquipiers tombant déjà dans le vide. Puis un second passa par dessus bord, un troisième... Le dernier des sous-fifres tentait d'agripper son chef quand l'aigle le souleva. Avoir un aigle dans le dos se prêtait, décidément, mieux à la pratique de la moto qu'à un voyage en ballon remarqua l'homme à la cacahuète en voyant s'éloigner dans les airs son subalterne. Le cri du désespéré, en route vers le sol comme un boulet de canon, eut en écho un second rugissement, encore plus fort, plus effrayant. L'air vibrait tout autour quand l'oiseau funeste revint à la charge laissant apercevoir dans ses yeux couleur rubis la terreur qu'il inspirait maintenant. Que faire face à ce prédateur ultime et majestueux? Lui échapper était dès lors impossible, grimpé dans cet aérostat en proie aux vents et à la fureur de l'aigle noir, qui dans un bruissement d'ailes, regagna le ciel avant de s'abattre sur l'enveloppe du moyen de transport aérien. De son bec, déchirant l'air, l'espace, le ballon et un nuage blanc, le rapace annihila tous les espoirs du kidnappeur en chef de retourner en son pays d'autrefois.

Le ballon perdait rapidement de l'altitude, l'homme à la cacahuète pouvait déjà sentir le sapin et le choc imminent de la nacelle contre le tronc du plus grand d'entre eux. Il savait que si il se sortait de cette chute, il serait confronté à celui qui avait poussé ces cris sauvages, revenu du passé . Amadou était toujours agité, son agresseur ferma les yeux comme pour en éteindre les flammes et, comme il était venu, disparut l'aigle noir.

L'air quittant l'aéronef sifflait comme un avertissement dans une langue étrange «Shawanda flaf'eushii adipfeu shish hou flap» (traduction approximative de cette langue chamanique: Le scorpion est malade de la graisse des faucons.)
 

DeletedUser16895

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Chapitre quarante-et-unième

Cindy se coiffait adroitement malgré les cahots.
En effet, la route goudronnée avait laissé place à un mauvais chemin de terre et de cailloux, sans doute une piste empruntée par les randonneurs et les skieurs de fond, que le Ford Ranger, décidément increvable, avalait sans vergogne.

Heidi scrutait le ciel et grommelait toujours, dans un étonnant mélange d'allemand et d'algonquin. Nul doute que sous le coup de l'émotion, sa langue maternelle se mêlait au vocabulaire appris lors des séances dispensées par son très mystérieux et TRÈS particulier professeur montréalais, dont elle gardait jalousement les coordonnées.
Harald, lui, ne pipait mot, et jaugeait d'un œil approbateur la conduite de cette grande et énergique femme rousse. Il se demandait si elle était célibataire...?

Steeve, après avoir maté son exercice capillaire, se souvint qu'il n'avait encore pas déjeuné. A cette pensée, son estomac exprima bruyamment son mécontentement.
Pour tuer le temps, il tenta de se distraire en pensant à son institut de beauté-manucure-épilation-coiffure, "le Castor épilé". La saison d'hiver allant bientôt commencer, il lui faudrait s'atteler sérieusement à renouveler sa devanture et modifier la décoration.
Penser également aux soins "spécial hiver" qu'il pourrait proposer. Un enveloppement aux algues ? Un bain d'argile aux huiles essentielles ? Une épilation à la résine d'épicéa ?
Ses pensées vagabondaient, son esprit s'évadait. Et pourquoi pas une nouvelle teinture capillaire ? Il avait lu dans un magazine de mode (il se tenait très au fait des dernières tendances) que le bleu cobalt serait LA couleur de cet hiver. Il échafaudait déjà un projet audacieux : il proposerait à ses clientes une extraordinaire nouveauté : ongles, paupières et cheveux assortis en un camaïeu de bleus des plus chics. Il ricana sous cape, en songeant que cela irait à merveille à cette odieuse Madame Pinson, qui ne cessait de se lamenter sur les crises d'épilepsie de son caniche grabataire et sur les déboires de son vaurien de neveu, expert-comptable de son triste état.
Il ricana encore (tout haut, cette fois-ci) en imaginant le surnom dont il affublerait désormais cette vieille toquée : Blue Touffe. En voilà une riche idée !

Cela lui rappela soudain quelque chose, une vague impression, comme une bulle de savon, comme un écho de souvenir, une réminiscence venue du fond des âges. Comment s'appelait-il, déjà, l'inventeur de cet ingénieux système de communication sans fil ? N'était-ce pas "Harald quelque-chose", justement ? Oui oui, c'est cela, un homme qui aimait les myrtilles !! Mais impossible de se remémorer son nom !
Son Harald devait forcément savoir, lui, le nom de cet homme illustre. Steeve ouvrit la bouche, et son estomac émit un borborygme à faire se réveiller un loir dans son terrier.

Heidi dressa l'oreille. "Ach, che crois qu'il y a un bruit dans le motor"
- Euh non, c'est mon ventre..." gémit misérablement Steeve.
En entendant cela, Connie fut tirée de ses pensées, et fouilla son sac à dos. Elle en extirpa la Thermos® qui contenait un fond de thé tiède, et un sachet de queues de castor industrielles. ("Pouah ! pensa Cindy, mais d'où sort cette nourriture indigne ??") Steeve s'empressa d'engloutir l'un et l'autre.
" Nein nein, continuait Heidi , Che zuis zûre que c'est le motorr ! Ach ! s'exclama-t-elle derechef. Himmelgott ! Nous n'afons plus de benzinn !"

Pour Cindy, ce fut la douche froide. Quoi ! La panne sèche !! Mais ils allaient perdre la trace du ballon au prisonnier !
Ciel !! Cher Amadou ! Qu'allait-il devenir, lui, l'homme sauvage adoré, l'éphèbe d'ébène, le tendre ami ?

Heidi stoppa le pick-up dans un virage et dans une série de secousses. Il fallut se rendre à l'évidence, la voiture n'avancerait plus. La situation devenait désespérée.

A quelques lieues de là, au milieu des débris du ballon, Amadou reprit ses esprits et ouvrit lentement les yeux....

Il songea que la vie était bien fragile, et curieusement, lui revint à l'esprit un dicton populaire des souks perses : شص َخجؒ٦٨ ط صؾٌَٓ ق ب ױؠ

(traduction approximative de cet argot sibyllin : "Quand le shah n'est pas là, les houris dansent")
 
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Florn

Force de frappe
Cindy se coiffait tristement laissant ses cheveux s'abandonner au vent du désespoir. Tout s'effondrait autour d'elle dans ce soleil levant, tout retombait des nues, tous ses rêves et projets, tout s'écroulait pendant qu'Amadou se levait, quelque part loin des yeux éplorés de Cindy. Au beau milieu d'une clairière ouverte par le crash, le beau militaire s'extirpait des décombres, ses liens sous le choc avaient libéré ses mains, il s'était facilement affranchi de ceux à ses pieds. Il leva les yeux au ciel, ce ciel que regardait Cindy au travers de ses larmes. Il aperçut au loin voler des hirondelles, il cherchait le nord, ce nord qu'avait perdu Cindy dans son coeur tout fucké. Plus rien autour de lui ne vibrait, ne bougeait, plus rien à l'intérieur d'elle n'illuminait encore. Elle se voyait déjà en noir surplombant des fleurs qu'Amadou ne pourrait plus voir, plus voir que d'en dessous. A condition... à condition que son corps ne soit pas dévoré par les ours et les corbeaux et que seul un souvenir puisse être enterré, enseveli plutôt sous des sanglots perdus, sous la mémoire en cendre et l'amour abattu.

Les jurons en suisse-allemand de Heidi s'envolèrent par les cimes pendant qu'elle se plantait devant le capot ouvert du véhicule. Elle invoquait ses aïeux, encensait la qualité allemande et pestait sur ces frimeurs d'américains. Elle savait bien que ce ne pouvait être une panne d'essence, non, c'était une conduite de carburant qui avait lâché, sans doute à force de secousses. Comment réparer? Comment retourner en ville?

Non loin, des hirondelles se posaient dans les branchages, Connie qui avait suivi Harald à l'écart, les remarqua. Steve, lui, récupérait les miettes sur sa poitrine. Encore assis dans le Ford, il avait peur, il avait faim et quand viendrait la nuit et quand viendraient les loups et qui viendrait ici comment et quand et où?!? Tout s'embrouillait dans son esprit paniqué.

Amadou, commença à marcher, à s'éloigner des débris de montgolfière. L'homme à la cacahuète avait été projeté plus loin et était sacrément amoché. Inconscient, il était à la merci de sa victime. Amadou se pencha au dessus du visage assommé de son tortionnaire, posa ses mains puissantes sur le cou offert. Il ne pouvait pas lui en vouloir finalement, il faisait son boulot, peut être y mettait il un peu trop de zèle voilà tout. Pourtant il fallait que tout cela cesse. Ses amis étaient en danger à cause de lui, embarqués dans des aventures qui ne les concernaient pas. Devait il revenir vers eux? Devait il se débarrasser une fois pour toutes de ce limier au parfum d'arachide? Devait il lui laisser la vie sauve et la nature sauvage décider de son destin? Oui, il devait revenir auprès de ses amis, ils devaient le chercher, foncer dans la forêt à sa rescousse, étaient ils blessés d'ailleurs.

Une pensée traversa son esprit comme un encouragement: "Aux armes mon coeur, va, il faut les retrouver. Aux larmes de la peur, il ne faut pas céder."
 
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DeletedUser16895

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Chapitre quarante-troisième

Cindy se coiffait en marchant, et se souvenant des conseils prodigués par ses parents lorsqu'elle était enfant, elle avait enroulé le cordon de sa brosse en soies de sanglier autour de son poignet, pour ne pas la perdre.

Après avoir poussé le Ford Ranger sur le bas-côté, Heidi, Cindy, Steeve, Connie et Harald s'étaient enfoncés entre les arbres, sac au dos et cœur à l'ouvrage, bien décidés à retrouver Amadou.

Harald comptait sur sa légendaire chance. (les hommes du Nord sont d'un naturel chanceux, c'est bien connu)
Connie comptait sur sa fidèle boussole.
Cindy comptait sur le sens de l'orientation d'Heidi.
Quant à Steeve, il comptait bien rentrer à la maison très bientôt. La forêt lui déplaisait, ainsi que tout ce qu'elle promettait : le froid, la faim, l'obscurité et une mort certaine à l'issue d'une longue et lente agonie.
Il était frigorifié et fatigué, il avait très mal aux pieds et les branches lui cinglaient le visage. Par-dessus tout, il avait encore faim ! Mais où trouver à manger dans cet environnement inhospitalier ?

Heidi ouvrait la marche. Au début, elle avait suivi la fumée dégagée par l'atterrissage forcé du ballon. Mais maintenant que les arbres ne formaient plus qu'un gigantesque et bruissant écran noir, elle progressait à tâtons, au gré de son instinct.

Cindy imaginait déjà son précieux Amadou, jeté à terre, blessé, voire pire ! Son beau corps démantelé, son torse musclé inanimé, son adorable crâne broyé, ô indicible vision d'horreur !! Car qui pourrait survivre à une telle chute ??

Le chagrin et le désespoir lui donnaient des ailes, elle suivait Heidi avec entrain, courage et persévérance. Les deux jeunes femmes menaient énergiquement le groupe, ce qui était très étonnant, vu que personne n'avait dormi de la nuit.

Les épines craquaient sous leur pas, les fougères chatouillaient leurs mollets, et les arbres défilaient, sombres témoins d'un passé plus sombre encore, protecteurs des sous-bois, gardiens majestueux des montagnes.
Personne ne pipait mot, tout concentrés qu'ils étaient sur leur périple, à l'affût du moindre son, de la moindre odeur, de la moindre plainte qui pourrait leur indiquer le chemin du lieu du crash.

Bon dernier du groupe, Steeve trainait la grolle. L'esprit en proie à une grande confusion et l'estomac creux, il repensa au village de son enfance, à l'épicier itinérant, et à la chansonnette que celui-ci entonnait en parcourant la campagne. Et à cette pensée, son estomac gargouilla de plus belle :

Chaud, chaud, chaud, cacao ! Chouette, chouette, chouette, cacahuète !! Si tu m'donnes des abricots, j'te donnerai des côtelettes !" (traduction inutile)

C'est alors qu'ils débouchèrent sur une clairière...
 

BlackKwolph

Biologiste
Chapitre quarante-quatrième

Cindy se coiffait, distraite un instant par les émanations stomacales sonorement sépulcrades, en totale harmonie avec la forêt de son enfance.

Dans la clairière timidement embrumée, sous le bruissement léger et caressant des bouleaux blancs betula clark, qui tanguent, qui tanguent comme un chariot de bois et de toile, cédant langoureusement à l'Aquilon fraîchissant des landes frissonnantes, une douce lumière de fin de journée baignait délicatement la vision hamiltonienne d'une famille de rangifers tarandus caribous (espèce hautement protégée) qui se désaltérait innocemment dans le courant d'une onde pure, leur toison dorée par les rayons doux du soleil déclinant, pourtant parcourue de frémissements inquiets à l'approche d'étrangers, évoquait irrépressiblement la houle d'un océan de graminées triticum aestivum dans les immensités ukrainiennes ; le galop mélodieux du ru fin traversant ce pays que tu ne connais pas, syncopé par les trilles, fugues et vocalises des geais de Steller, traits bleus sous les frondaisons accueillantes, pinsons à huppette, parulines Renaud, bruants à ristide, et tant d'autres grues et linottes que Cindy avait connues et oubliées ; les fougères charnues et les grands mélèzes élancés, virilement dressés, joignaient leurs fragrances épicées, parfums pénétrants, jouissance primitive, nirvana épithélial, orgasme du bulbe olfactif, qui émoustillaient tous les sens en éveil.

-« Une madeleine, mon royaume pour une madeleine ... Steeve délirait, affamé, affaibli, affligé.
Heidi, d'un geste noble et autoritaire, fixa le groupe, le réduisat au silence, et dans un souffle lâcha :
- Ach ! Amora a guidé nos pas vers nos repas. Courache, Steeve.
Hardiment, elle se saisit de son arbalète pliante, son couteau de chasse à cran d'arrêt entre les dents, et rampa aussi silencieuse que le lynx et l'anguille argentée réunis vers le paisible troupeau de ruminants insouciants.
Alors qu'elle bandait, cambrée, ses muscles puissants, un corbeau se mit à crier, et une feuille argentée bétuléenne flotta, éthérée, Harald eut la vision d'une indomptable Walkyrie wagnérienne que rien ne pouvait soumettre. Il crut défaillir... Va, là là... une envie de chevauchée fantastique l'étreignat.

Alertés par l'explosion de phéromones, les ruminants se dispersèrent dans un désordre bondissant.
Une Heidi fulminante et déconfite se redressa. « Kopfertami nonemooool ! » (trad. : -censuré- ) Le carreau vengeur de l'arbalète exécuta l'ordalie et atteignit le corbeau en plein vol, tir d'une incroyable précision suisse.
Une lamentation hululante, déchirante, désespérée, emplit la clairière. L'air se figea, l'angoisse enveloppa le groupe.
– «Ahhhhhhhhhh.... Ahhhhhhhh....... Hélaaaaassss.......Monstre ! Tu l'as tué ! » gémissait Steeve, en larmes, éploré, faisant de ses mains tremblotantes une urne pour le pauvre cadavre encore chaud.
Heidi arrêta net ses récriminations en lui faisant remarquer qu'ils venaient de perdre leur repas. L'effet fut immédiat. Bien que vegan, Steeve était taraudé par la faim et prit soudain conscience de l'urgence de la situation.

C'est alors que, Cindy souriante, virevoltante, parfaite incarnation d'une sylphe, prit la parole avec autorité, rejetant sa somptueuse chevelure parsemée de fleurs de chèvrefeuille odorant :
« Mes amis, il y a de quoi satisfaire chacun d'entre nous : j'aperçois des myrtilles, des framboises, des champignons... ces érables centenaires nous pourvoiront en résine sucrée, ce ruisseau regorge certainement de truites et touladis, la nature nous offre ses bienfaits, sachons les cueillir ! Mes amis, je vous guiderai vers cette corne d'abondance ! Mais si ! ».

Car n'est-il pas écrit « Les pruniers sauveront l'eider niais. »

 
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Force de frappe
Chapitre quarante-cinquième



Cindy se coiffait, hiératique.

Sans exception, tout se tut. Le bupreste pyromètre, le maringuoin et le longicorne noir, le geai, le mésangeai, le roitelet, la grive et la moucherolle, le canard, le plongeon, la grèbe et la grue, le roselin et la sitelle, le tétra, la grenouille, la carpe et le campagnol, l'écureuil, le lièvre, le castor et le lynx, le loup, la lotte, le caribou, la gélinotte. Tout se figea, l'aiguille du sapin baumier, la sève du bouleau blanc, la cime du tremble, le rameau de l'épinette, la baie du sorbier jusqu'au tendre brin d'herbe, à l'eau du ruisseau. Silence dans le ciel, silence sur la terre.

-" Hostie toastée !!!" Empêtré dans les branchages d'un buisson ardent (pyrancantha cretinulata), Steeve vociférait. Une bave noirâtre dégoulinait sur son T-shirt déchiré. Sous ses cheveux hirsutes, un regard de damné scrutait fiévreusement ses paumes maculées.
Libéré, délivré de la tentation arbustive, il s'effondra en sanglots longs et violents... "J'ai faim".

Emue par la détresse de son ami, Connie s'agenouilla et le prit dans ses bras. Surmontant sa propre faiblesse, elle s'adressa à Cindy, déterminée.
-" Dis moi et je t'obéirai." Heidi et Harald, se rapprochant comme un seul homme, renchérirent d'un Me Too solidaire.

Alors Cindy désignant le cours d'eau indiqua à Heidi où pêcher. Montrant des fougères aigle, elle envoya Connie déterrer les rhizomes. Harald fut chargé de récupérer des oeufs de cane. Steeve n'était plus en mesure que de ramasser du bois sec pour le feu. Cindy, emprunta le couteau et le mug isotherme de Heidi afin de récolter la sève des érables environnants. Par chance elle put aussi cueillir des chanterelles et une dermatose des russules. Rapidement, Connie rapporta les rhizomes et repartit en quête de camarines et autres baies.
Rapidement, les flammes dansantes d'un feu crépitant réconfortaient les compagnons. Grâce aux conseils de Cindy, tous s'affairaient. Après les avoir lavés, Connie broyait les racines pour en extraire l'amidon, Harald battait une douzaine d'oeufs dans la gamelle de Heidi, pendant que les champignons rissolaient dans l'huile d'amande douce et que la sève d'érable réduisait sur le feu. Le sac à dos de Heidi réservait bien des surprises. Les touladis évidés attendaient patiemment de griller sur un matelas d'épines de sapin. A la grande surprise du groupe, Cindy ôta son chemisier. Le souffle coupé, Harald faillit en perdre ses oeufs. Alors que le fin tissu filtrait la pâte de fougères mêlée d'eau, Cindy dévoila le menu. Omelette aux champignons (oronges sautées pour les vegans), touladis braisés sur lit de cresson et point d'orgue gourmand... pancakes de fougères au sirop d'érable et fruits des bois. A ces derniers mots, Steeve émit un cri de plaisir !

Des parfums riches et alléchants envahirent bientôt la clairière pour se répandre dans la forêt boréale. Repus, ils savouraient enfin la paix retrouvée de cette journée forte en émotions. Un craquement... un grognement... une masse sombre en mouvement les alertèrent. Rassemblés autour du feu, avec effroi, ils virent se dresser un grizzli aux crocs ensanglantés. Après avoir dévoré toute une famille de rangifers tarandus, le plantigrade venait chercher son dessert. Les dés semblaient jetés, la tombe ouverte, le sort scellé. Ils s'embrassèrent une dernière fois.

Soudain un hurlement sauvage venu du fond des âges accompagna l'irruption bestiale et pestilentielle d'un monstre légendaire. Le combat entre le sasquatch et l'ours fut bref. La terreur de ce nouveau danger les terrassa. Une silhouette connue se dessina alors dans l'ombre du géant.


Le vent porta ses paroles: " Me talo' Itioq ta' n teljugu' en " que Cindy traduisit en souriant: " La vie est trop courte pour farcir des champignons ".
 

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Guest
Chapitre quarante-sixième

Cindy se coiffait toujours, atterrée, illuminée, subjuguée par ce qu'elle voyait.

Celui que vit Cindy était son ami de toujours, surgi de l'ombre, auréolé de la plus pure des lumières, silhouette sans âge, gardien immuable des forêts. Son visage bienveillant et calme était baigné d'une clarté quasi divine, ses cheveux ondulaient et cascadaient sur ses épaules, comme le ruisseau secret qui glougloute sous la mousse. Echo au plus profond de son cœur, la présence de cet ami infaillible résonnait au creux de son corps, de son âme, des oreilles aux clavicules et des orteils aux cuticules.

Celui que vit Connie était un homme, non ! L'Homme, précédé de l’envolée lyrique d'une myriade de colombes blanches, qui s'ébaudissaient comme dans un ralenti cinégénique. Le front rayonnant, ceint de droiture et de perles colorées, un Homme franc, loyal, fidèle, ordonnant aux lynx, aux polatouches et aux loups, chuchotant à l'oreille des chevreaux, réceptacle éternel des langages les plus anciens et les plus enfouis. Quelle idiome divinatoire cachait-il au plus profond de sa gorge ?

Celui que vit Steeve était un éphèbe, à la pommette haute et aux épaules solides, à la structure osseuse d'une perfection sans nom, drapé dans une cape en fourrure de loup qui cachait mal le torse musclé, contre lequel on rêverait de poser la joue. Cet enchanteur immémoriel commandait sans nul doute aux tempêtes et aux aurores boréales, chantait avec le vent et chevauchait les arc-en-ciel. Même le grand sasquatch semblait occulté par la puissance irradiant de beauté de cet Être aimé.

Celui que vit Heidi était un personnage mystérieux, à la barbe fleurie, dont la peau dorée embaumait la mousse, l'armoise et l'épicéa ; les cheveux d'ébène de l'Être étaient parsemés de plumes d'une beauté et d'une douceur à couper le souffle, de perles, et de combien d'autres objets sacrés et secrets ? Oh ! Que n'aurait-elle donné pour passer ses doigts dans cette chevelure luxuriante, écouter les tambours des peuples anciens battre dans les pulsations de ce cœur débordant ?

Celui que vit Harald était un guide millénaire, sage et instruit, dompteur des sauvages caribous, qui surgit des ténèbres accompagné de l'esprit de ses compagnons, le grizzli rugissant, l'aigle majestueux, l'orignal au pied agile, le cougar du nord en train de boire... Quatre figures animales encadrant l'homme, gardiens protecteurs ou serviteurs obéissants ? Nul ne saurait le dire, comme si le mystère entourant cet Être suprême était infini, comme si les mortels ne sauraient assister au crépuscule de ce dieu.

Le nouveau venu ne pipait mot, observait le petit groupe d’un œil où luisaient fierté et bénédiction. Il semblait regarder au-delà, dans les temps immémoriaux, les époques révolues, semblait chercher à replacer le petit groupe dans une ère nouvelle, pleine de promesses, de possibilités, d'avènements.

Le souffle coupé, le visage baigné de larmes de joie, les oreilles résonnant encore du chant des trompettes célestes, les cinq amis se tenaient là, courbés et patients, attendant que d'un geste ou d'une parole, l'Être les relève, les accompagne, les absoude.

Et lorsque enfin il parla, d'une voix claire et pure, carillon angélique vibrant dans l'obscurité, ce fut pour dire : "Vous, ENFIN !"

Trad. : "Ô vaï ! Les amis ! Vous en avez mis du temps ! Vous devez avoir l'estôme vide et le dos rompu !"
 
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Florn

Force de frappe
Chapitre quarante-septième


Cindy coiffait sa chevelure dans la lumière vacillante d'un feu de cheminée. Les reflets dans ses boucles ondoyantes répondaient, coruscants, aux étincellements chaleureux des flammes excitées. Joe avait recueilli les naufragés sylvestres et se détournant des infusions bienfaitrices qu'il venait de préparer à partir d'herbes et de fleurs du clos de sa pauvre maison, s'approcha de la belle hôtesse de l'air.

- "Mon enfant, ma chérie, magnifique et perdue,
Je sais, la noire abeille, jusqu'à moi est venue
Ton histoire conter, que tu as affronté
Tant d'écueils pour me voir, malgré l'adversité
".

Joe l'Indien, n'étant pourtant pas d'Alexandrie, aimait s'exprimer parfois dans ces vers héroïques. La prosodie de cette phrase apaisa instantanément Cindy, qui déposa sa brosse dans la main burinée par un temps incommensurable de l'homme sans âge. Il enfouit alors son visage dans la chevelure immense et, comme un enfant dans les vagues d'un océan où se mirerait Phoebus, agita ses doigts noueux en psalmodiant une incantation du beau Charles dans l'air:

- "Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
"

Connie et Heidi sirotaient tranquillement leur tisane respective, devant le spectacle des cheveux de Cindy qui, électrisés, s'égayaient aux entours de sa tête tels le quadrige solaire au zénith de sa course. Aucune n'était surprise tant elles avaient entendu parler de Joe. Cindy leur avait narré cent fois son enfance, cent fois cet homme bon et sauvage, mystérieux et bienveillant.

En revanche, Harald n'en croyait pas ses yeux éblouis. Sa mâchoire commençait à frôler dangereusement sa ceinture, ses bras ballants appelaient désormais tout le sang de son corps, tout ce sang qui aurait pu lui permettre d'analyser, de comprendre, si tant est qu'il y eut quelque chose à expliquer. Il ne tourna même pas la tête quand Steve fit irruption dans le chalet typique et non le tipi chalèque (ce qui ne voudrait rien dire).
Enfin propre, Steve revenait de prendre une douche. Parfumé, il retrouvait ses marques précieuses. S'installant près de Harald, il essuya le menton de ce dernier et lui referma la bouche.

- "Il eût fallu que tu le susses, Joe est un chaman brillant, éclairé et éclairant. Prends donc un peu de ces herbes que Joe fit qu'elles infusassent et bouillassent..."

Harald, dans un mouvement si lent qu'il était imperceptible, essayait de faire face à Steve... Que se passait il, pourquoi ne comprenait il plus rien, quelles essences de bois brûlaient dans cette cheminée des enfers? Qui avait pris possession de la bouche de son compagnon de vestiaires et d'études ? Il se sentait moite, se liquéfier même au gré du flux de sa transpiration qui descendait maintenant sur ses yeux. Les silhouettes de Connie et de Heidi se perdaient dans les flammes, le sourire de Steve concurrençait le croissant de lune gigantesque traversant la fenêtre. Cindy ne bougeait plus, Joe, concentré, sonda le regard autant que l'âme de Harald, qui, pris d'engourdissements, perdit connaissance.


Par les cimes, au dehors, comme un appel aux absents, le vent se mit à chanter:

"Fo' bevet fistofouett Potomack labeurouet" (trad: Quand le Potomack rugit, la loutre s'abandonne).
 
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gaarance

Conquistador
Chapitre Quarante-huitième

Cindy se coiffait frénétiquement, mais sa chevelure vaporeuse ne lui obéissait plus. Ses cheveux, légers comme des plumes, flottaient, comme en apesanteur, autour de sa tête, virevoltant à chaque coup de brosse.
Qu'importe ! Elle s'était agenouillée auprès de Harald, qui avait chu au sol. A la vue de son ami inanimé, Steeve se lamentait bruyamment ; Connie suggérait de le réanimer à grands coups de gifles et Heidi marmonnait des reproches envers ce grand gaillard "si peu rézistantt".

Puis Harald se réveilla et reprit doucement ses esprits. Son évanouissement lui avait sembler durer des mois ! Il bégaya, confus, des inepties à propos d'écho vide, de carvi russe... Depuis quand Harald s'intéressait-il à la botanique ? Ce garçon a eu une indigestion, sans nul doute ! Peut-être les racines de fougères étaient-elles un peu rances ?

Il s'assit, sursauta à la vue des cheveux de Cindy, et sourit d'un air contrit à Steeve. Il présenta ses excuses à ses amis pour les avoir effrayés ainsi. La fatigue et l'émotion des dernières heures, sans doute...

Joe apparut, apportant un plateau chargé de boissons chaudes : une autre infusion de sauge et de verveine au gingembre serait du plus grand réconfort après toutes ces péripéties.

Quelques heures plus tard, après avoir déballé leurs maigres bagages, (les valises étant restées dans le pick-up) le petit groupe avait narré à Joe toute l'histoire : le sasquatch, la montgolfière, le rapt d'Amadou, la marche en forêt, le village hanté...

Assis sur le canapé, Steeve se plaignait maintenant à qui voulait l'entendre de ces mésaventures qui se suivaient et se ressemblaient toutes. Il en avait assez, voulait retrouver son appartement douillet, son édredon et ses conversations insouciantes avec ses clientes.

Connie et Cindy bavardaient à mi-voix avec Joe, s’enquérant de la marche à suivre pour retrouver Amadou. Joe les rassura :
"Dormez tranquilles cette nuit, je vais interroger les esprits de la forêt. (entendant cela, Harald partit d'un grand rire moqueur, qu'une œillade courroucée de Heidi éteignit bien vite) Demain matin, nous en saurons plus sur ce qu'il est sage de faire. La situation est peut-être moins dramatique que vous ne le pensez..."
Et, de sa voix grave, de déclamer aux oreilles ébahies des jeunes femmes ces vers sibyllins :

"Quand le peuplier tremble,
Quand le charme est rompu,
Quand l'orignal marche l'amble,
Quand le temps est suspendu,
Crois en ce qui nous rassemble,
Ne crains pas l’ambigu,
Regarde comme tu me ressembles,

Et touche enfin mon âme à nu."

(Traduction inutile)
 
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BlackKwolph

Biologiste
Chapitre Quarante-neuvième

Cindy coiffait sa chevelure baudelai-aérienne tout autant que son casque d'or à point/e/s fourchu/e/s dans la lumière d'un petit matin mutin et le rayon d'une aube badine.
Chacun et chacune s'éveillait au jour nouveau et à la journée débutante, les unes et les autres rêvassaient tranquillement.
Soudain, l'entré.e d'un Joe morose traînant le pas et la patte attira les regards et attentions :
"Bonjour à toutes et à tous, mes ami/e/s ! Les esprits de la nuit et de l'obscur m'ont porté conseil. Je dois me libérer de siècles d'asservissement qui empêchent mes semblables d'avancer : aujourd'hui commencent ma lutte et mon combat contre la stigmatisation et l'anathème. Le peuple et la race algonquin/e/s doivent se confronter au XXIème siècle, à la CCXème décennie !!!!!!!!!!! Désormais, je serai JOE l'AUTOCHTONE, comme mes pair/e/s. Nous serons non genré/e/s, non racé/e/s, non classé/e/s donc non stigmatisé/e/s. Je vais de ce pas et cette allure enfumer ce mot et cette parole."
....
Bras/se/s ballant/e/s et bouche/e/s bé/e/s, les com/père/mère/s en bavaient des rond/e/s de fla/n/mmiche.
....
Des volutes de fumé/e/t/te/s odorant/e/s et blanc/he/s glissèrent dans la pièce alors que leur/e hôt/e toussotant/e et gêné/e s'encadrait dans l'entré/e.
"hum.... auriez-vous quelques notion/e/s d'enfumage ?..... Je n'arrive pas à envoyer mon appel/le inclusi/f/ve de la forêt et du bois... La méthode Jack London ne précise pas comment former un tiret ou un slash !"
Chacun et chacune échangèrent des regards interrogatifs, circonspects, dubitatifs, peut-être même des oeillades interrogatives, circonspectes, dubitatives.
Cindy, toujours pratique/e et à la pointe, lui conseilla d'utiliser des points.
Stev/e, ben non, Steve est déjà non genré, Steve donc trouva l'idé/e géniaaaaaal/e.
Heidi aurait préféré des poings, iel sourit cependant et encouragea l'autochtone en iodlant bruyamment et en bourrant Harald de coups de coudes répétés. Le pauvre diable, totalement dépassé, se demandait comment échapper à ces fous. Ses yeux suppliants ne rencontrèrent pas ceux de Connie. Elle semblait absorbée, magnétisée. Et Harald suivit son regard.
Spectacle unique, vision céleste : derrière Joe se levait un/e arc/he-en-ciel, chemin vers l'avenir et l'inclusion, main dans la main, pied à pied, pas à pas, tête à tête, les yeux dans les yeux, corps à corps, coeur contre coeur, Kramer contre Kramer, et la tête dans le/s nuage/s. Arc/he-en-ciel de l'espoir/e pleurait Steve. Arc/he d'Allianz assurait Heidi.
Tout/e à son enfumage, Joe relança son braisiel (trad. : courrier expédié d'un foyer communiquant).

Connie s'ébroua : "j'ai faim. Je me ferais bien un wok."

Non loin, des iris sombres avaient décrypté le fumeux message. Son coeur bondit et Amadou/e s'élança tel/le le/a félin/e déraciné/e en terr/itoir/e inconnu/e et hostil/e, le/a chasseu/r/se humant la proche proie, l'altérité s'offrant à l'humanité.

Car il est dit qu'"au pied de l'arc/he-en-ciel, la liberté, l'égalité et l'adelphité sourdront."
 
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