BlackKwolph
Biologiste
Chapitre vingtième
Cindy se coiffait en souriant au reflet, si lumineux, fin et élancé, que lui renvoyaient les baies vitrées de la salle des pas perdus. Comment ne pas être fière d'une telle silhouette ? Comment ne pas adorer un visage à l'ovale aussi parfait ? Comment ne pas désirer une chevelure digne de Bérénice ? Elle l'aurait volontiers offerte à Aphrodite pour gagner le coeur de son protégé.
Et elle cherchait sur la dalle, dans la salle des pas perdus, les traces de quand elle l'avait attendu... tous ces petits pas accomplis ensemble... Souriant au marchand de journal , dans la salle des pas perdus, elle se souvenait des villes qu'elle avait vues, rien qu'en prenant le large, au coin, du long en large... Elle avait vu Malé, Rome, Angkhor (et encore, d'accord, d'accord) et Amsterdam... et son homme l'attendait, elle, femme....
Tiens, cela sonnait comme un air connu. Ses adorables petites cellules grises, qu'un charmant passager à la moustache impressionnante, et à l'embonpoint tout autant, avait vantées, avec un accent français si exotique, pendant le vol Londres/Le Caire, se mirent à s'agiter. Un homme attend une femme.... dans la salle des pas perdus....Mais oui, Maxime le Forestier ! Elle l'adorait depuis son adolescence. Un français, certes, mais avec un nom pareil, il avait obligatoirement des ancêtres québécois ! Ce qui le rendait encore plus précieux.
Chantonnant l'air avec une légèreté de rossignol milanais, elle reprit sa traversée du hall, souriante, séduisante, sous le regard admiratif des uns et critique des autres.« Tout mes cents pas mis bout à bout, J'aurais changé cent fois de décor, De montagne en désert, de désert en port,.... » les paroles lui échappaient parfois, mais elle se sentait transportée, heureuse.
« Tzindyyyyyyyyyy ! Tzindyyyyyyyyyy ! Hallooooooooo ! » Une tornade rousse à longues nattes, format camionneur international fondait sur elle tel le pygargue à tête blanche sur le malheureux mulet innocent.
« Heidi ? »...... stupeur et tremblements.....
Heidi ? La colocataire de Steve ? Etudiante en Beaux-Arts (elle étudiait beaucoup les divers modèles, sa maîtrise du nu était reconnue dans tout les milieux interlopes de Québec), elle était d'origine Suisse Alémanique. Sportive aguerrie, maîtrisant divers arts martiaux, championne de curling, elle finançait ses études en assumant pendant les week ends un poste de bûcheronne près de Rivière Rouge. Elle maîtrisait parfaitement la scie de tronçonnage, possédait un permis pour les débusqueuses, et dirigeait une équipe de dix solides gaillards, qui avaient souvent posé en tant que modèles. Cindy et Connie étaient fans de ses photos et tableaux. Mais son plus grand admirateur était Steve. Il ne tarissait pas d'éloges sur la beauté exprimée aussi artistiquement. Certaines photos étaient d'ailleurs en bonne place dans sa chambre.
Heidi, donc, la serrait à l'étouffer, ne prenant nullement garde à préserver sa coiffure... Un peu brutale, peut-être, mais tellement … nature ! Et pour être nature, elle l'était, refusant l'usage de tout déodorant pour rester plus en contact avec le monde de la forêt. Une rebelle flamboyante. Mais que Tzindyyyyy préférait garder à distance. Son odorat était trop fragile pour résister à un tel vent de sauvageonnerie.
Elle se faisait toujours, in petto (expression qui la faisait rire discrètement), la remarque que Heidi et Steve, qui s'entendaient comme lardons en foire (expression incompréhensible....), étaient étonnamment mal assortis. Et pourtant, leur colocation avait évolué en une véritable amitié. Ils se confiaient tout. Ce qui la rendait parfois un peu jalouse, un peu.
« Tzindyyyyyy ! Che suis zoooooo surprise ! (malgré 5 ans passés en pays Québécois, et les cours de diction dispensés par Steve, Cindy et Connie, son accent ne faiblissait pas) Das ist ein groooosssss plaisir ! Ch'arrive de Berne où le drapeau ne l'était pas ! AH AH AH AHHHH! (et boum, un grand coup de coude dans les cotes tendres de Cindy qui devinrent encore plus flottantes...souffle coupé.... hhhhhhh.....). Bien contente de quitter meine Familie. Ils sont zoooooo rustiques. Fous m'afez manqué, tous. Ach, et ch'ai rapporté un petittt cadeau pour l'appartement de Stevy : un coucou de chez moi! Il zonne tous les quarts d'heure un petittttt bout de l'hymne natzional. Wunderschön ! »
Cindy, le souffle toujours court, s'efforçait de suivre le débit rapide de Heidi, décryptant les mots inconnus.
Evidemment Heidi proposa de fêter leur rencontre par une bière amicalement partagée. Cindy n'aimait pas la bière (ça ballonne ....) mais accepta, conquise par le sourire chaleureux de son amie. Assise confortablement au bar de l'aéroport, elle commanda un jus de carotte bio et un en-cas de bâtonnets de fenouil et radis noir. Le flot ininterrompu que déversait la Suissesse la berçait, indolente et détendue. Il en ressortait surtout qu'Heidi repartait pour 2 semaines de vacances travailler dans les forêts du nord.
... la forêt..... le silence..... JOE !
Mon dieu, elle avait pris son étui à cartes Louis Vuitton en lieu et place de son portable, obnubilée par Amadou. Coupée du monde depuis son départ. Vite ! Rentrer, retrouver son appartement. Et lire des nouvelles de Joe !
Un proverbe entendu lors d'une escale en Afghanistan la hantait « ألا يمكنكَ فعلُ شيء بخصوص هذا الطوفان ؟ " (traduction approximative : pour une colonie de fourmis, l'arrosoir est déluge)
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